Venezuela : médias au-dessus de tout soupçon... de RSF
par Thierry Deronne , Benjamin Durand
Article publié le 22 juin 2004

Au Venezuela, Reporters Sans Frontières appuie depuis deux ans des médias complices de nombreuses violations des droits de l’homme... et appuie sur l’accélérateur dans la campagne mondiale contre le gouvernement de Hugo Chavez. Quels sont ces médias dont RSF valide les informations ? Pourquoi cette stratégie politique d’une organisation supposée impartiale ?

Caracas, juin 2004. La récente découverte d’une cache d’armes dans des locaux appartenant a la chaîne TV Venevisión, rappelle ce dont les médias commerciaux, quasi monopolistiques au Venezuela, co-organisateur du putsch militaire d’avril 2002, sont capables en termes de déstabilisation politique. Le directeur de la chaîne affirme qu’il s’agit "d’armes rouillées". La même chaîne de télévision avait, quelques semaines auparavant, comme François Meurisse dans Libération, affirmé que la découverte de 91 paramilitaires colombiens dans une propriété d’un des dirigeants de l’opposition vénézuélienne, était, elle aussi, une manipulation du président Chavez. Un peu vite peut-être : le lendemain, le gouvernement colombien, pourtant peu suspect d’estime pour le président vénézuélien, dénonçait cette invasion et dépêchait sa ministre des affaires étrangers pour superviser le rapatriement des recrues en Colombie.

Venevisión est la propriété d’un ami personnel de George Bush et Jimmy Carter, Gustavo Cisneros. Auteur du premier coup d’Etat médiatique de ce siècle, ayant fait croire au monde pendant 24 heures que Hugo Chavez avait fait tirer sur son peuple, le Murdoch latino coordonne le putsch en avril 2002, accompagné de l’élite patronale dans son bunker de Caracas et offre son jet aux militaires putschistes pour évacuer le président. Pendant ce temps, Venevision, Globovisión, et l’ensemble des chaînes privées célèbrent sur un ton jubilatoire le décret des putschistes abolissant
parlement, constitution, défenseur du peuple, et autres institutions démocratiques. En 48 heures de putsch, des médias qui ne cessaient de parler de sauver la liberté d’expression au Venezuela, montrent leur vrai visage. Leurs « journalistes  » mènent la chasse aux opposants en direct, sur un ton haletant, en compagnie de la police politique, tout en imposant le black-out sur la résistance croissante de la population civile. Cible privilégiée, les médias associatifs sont persécutés, certains de leurs membres arrêtés : on ne lira aucune protestation de RSF àce sujet.

Les médias tels que Venevisión, présentent une longue liste de complices dans les violations de droits de l’homme. Ces implications n’ont pas cessé, comme le montrent les campagnes médiatiques actuelles contre des dirigeants paysans liés àla réforme agraire du gouvernement Chavez, traités d’envahisseurs, de guérilleros, certains assassinés par la suite.

En aoà»t 2003, lorsque la Commission nationale des Télécommunications, dans une opération qui serait routinière aux Etats-Unis ou en France, applique la loi et retire quelques relais d’émetteurs installés sans permis légal par Globovisión, celle-ci lance une campagne violente contre cette « nouvelle atteinte àla liberté d’expression  » (que RSF relaie aussitôt) appelant les citoyens àrésister àla dictature qui s’installe au Venezuela. Alors qu’àaucun moment Globovisión n’interrompt ses programmes, puisque sa fréquence légale et habituelle ne fait pas problème, les fonctionnaires de la Commission sont conspués et une grenade est lancée par un commando nocturne contre leurs bureaux.

Liberté d’expression ou dictature médiatique ?

Malgré l’échec de leur putsch, tous ces médias continuent quotidiennement àappeler les militaires à« agir vite  » pour renverser le président, et accentuent leur pression sur le Conseil électoral, àquelques semaines du referendum présidentiel. Au sein des programmes la contradiction politique est pratiquement nulle. « Que Chavez s’en aille  » est le refrain quotidien répété sur toutes les ondes par les politiques, journalistes, experts, bien d’accord entre eux.

Venevisión, RCTV, Televen, CMT, Globovisión, la radio privée, qui occupent 95% du spectre hertzien, et neuf journaux sur dix, appartiennent àl’opposition. Comme hier au Chili ou au Nicaragua, ils se servent de « la liberté d’expression  » comme axe central de la guerre médiatique contre un gouvernement anti-néolibéral, qui a rétabli la souveraineté sur le pétrole, et qui gène beaucoup l’administration Bush. Des médias par ailleurs racistes (Chavez, certains de ses ministres, voire les ambassadeurs et présidents africains qui le visitent, sont traités de « singes  », ce qui a suscité des protestations diplomatiques auprès d’une des chaînes, RCTV, en mars 2004). Le gouvernement Chavez, pour sa part, n’a emprisonné aucun journaliste, fermé aucun média, censuré aucun article. Pourquoi, dès lors, les rapports de Reporters Sans Frontières font-il de Chavez une de ses cibles et valident-ils les allégations des médias privés selon lesquelles le gouvernement Chavez réprime la liberté d’expression ?

La stratégie de RSF au Venezuela

Dès ses premiers rapports en 2000, RSF parle de Hugo Chavez comme d’un futur Castro. On découvre alors que la correspondante choisie par RSF àCaracas, Maria José Pérez Schael, est ... conseillère de l’opposition. Dans El Universal, en 2002, l’honorable correspondante de RSF parle des putschistes : « mon coeur vibre àla vue des militaires insurgés, de ces hommes vertueux qui défilent sous nos couleurs nationales  ». Face aux protestations RSF se résigne àchoisir un autre collaborateur.

Mais RSF continue de valider sans contre-enquête la version des médias d’opposition. Et omet de dire, par exemple, que des tribunaux vénézuéliens ont établi un lien entre des militaires putschistes et les « auto-attentats  » comme celui de Globovisión destinés ànourrir une image mondiale répétitive àsouhait. A contrario, lorsque la télévision
associative Catia Tve, dont les programmes sont fabriqués directement par les habitants des barrios (quartiers populaires) et qui émet sur tout l’Ouest de Caracas, est fermée en juin 2003 par un maire d’opposition, RSF, visiblement gêné par le fait que le seul media ferme au Venezuela l’ait été par l’opposition, annonce précipitamment, en septembre 2003 sa « réouverture  ». C’est faux. A l’heure où nous écrivons (juin 2004), Catia
TVE n’a toujours pas repris ses émissions.

La journaliste Naomi Klein s’est étonnée que RSF fasse du gouvernement Chavez une menace pour la liberté d’expression. Selon elle, la plus grave menace provient, dans la réalité, de médias capables d’organiser un coup d’Etat et de groupes transnationaux dont le propriétaire, Gustavo Cisneros, ne cache pas son désir de devenir le futur président du Vénézuéla. Récemment le cinéaste argentin Solanas et l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, qu’on ne peut suspecter de naïveté en matière de droits
de l’Homme, ont témoigne de "l’incroyable liberté d’expression en vigueur au Venezuela". Curieusement les médias français, comme Le Monde ou Libération, mais aussi Charlie Hebdo récemment, emboîtent le pas aux médias privés vénézuéliens. Seul Le Figaro, paradoxalement, a échappé jusqu’ici àcette hystérie. Le patron de RSF Robert Ménard, lui, relaie et renforce les campagnes des empires médiatiques contre une démocratie transformée en « futur Cuba  ». Dans la nouvelle revue « Médias  » (la revue
de ceux qui ne veulent pas critiquer les médias), détenue en partie par RSF, Robert Ménard signe récemment avec Pierre Veilletet un long article plein de fiel sur le thème «  La guérilla des altermondialistes contre
l’info  »
. Les auteurs pestent contre Bourdieu, Ramonet, PLPL, Halimi, puis écrivent : « Les "alters" ont toutes les indulgences pour l’ex-putschiste Hugo Chavez, ce caudillo d’opérette qui ruine son pays mais se contente - pour l’instant ? - de discours àla Castro sans trop de conséquences réelles pour les libertés de ses concitoyens  ». Ménard reproche ensuite àRamonet de « passer sous silence les discours virulents d’Hugo Chavez
contre la presse, les débordements et les réactions de ses partisans, l’impunité dont ils bénéficient  »
.

RSF n’existait pas encore quand Armand Mattelard analysant l’alliance des grands médias et de la SIP (association de propriétaires de médias) dans le renversement d’Allende, écrivait : « L’enquête judiciaire sur l’administration du journal El Mercurio, accusé d’irrégularités fiscales,
a servi de prétexte pour dénoncer de soi-disant mesures coercitives contre la "presse libre". (...) Le message émis par la presse de la bourgeoisie chilienne revient àsa source, renforcé par l’autorité que lui confère le fait d’avoir été reproduit àl’étranger. (...) Nous sommes en présence d’une SIP tautologique. Sa campagne n’est qu’un immense serpent qui se mord la queue.  »
Au moment où s’effrite en France l’aura d’intellectuels médiatiques et experts en « droits de l’Homme  » qui ont appuyé une guerre
dont la barbarie était prévisible, il est temps d’enquêter sur la stratégie politique de Robert Ménard, àtravers RSF, au Venezuela.

Source : Acrimed (www.acrimed.org) ; Alia2 (http://www.alia2.org), juin 2004.

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