Référendum au Venezuela : entretien avec Hugo Chavez, président du Venezuela
par Panorama
Article publié le 7 juillet 2004

Président, quelle est votre opinion sur l’état d’esprit de l’opposition et la campagne pour le référendum révocatoire ?

En premier lieu, je veux souligner l’importance du référendum [1], je crois que c’est une occasion mémorable pour le pays, pour notre système démocratique qui est en train de se construire.

Hugo Chavez (Venpres)

L’opposition vénézuélienne est engagée, depuis plusieurs années, dans une campagne dont le but est de chasser ce gouvernement. Elle a tenté un coup d’Etat, puis un sabotage pétrolier. Elle est arrivée àun tel niveau de désespoir qu’elle a été jusqu’àsolliciter une intervention étrangère.

Actuellement, l’opposition, même si l’on ne doit jamais sous-estimer n’importe quel adversaire, est en train de récolter les fruits amers qu’elle a semés ; une semence faite de haine, de provocation, de violence. Je pense qu’ils ont perdu une bonne partie de leur base sociale. Ce fut évident lors de la mobilisation pour le référendum.

Certains d’entre eux ont même pensé que Hugo Chavez, ce "tyran", n’accepterait jamais le référendum et aujourd’hui qu’ils l’ont obtenu, ils ne savent plus que faire.

Ils se préparent, mais je crois qu’ils ne gagneront pas. Leur dynamique est àla baisse, ils n’ont ainsi pas, àce que je sache, mis en place une direction de campagne, une proposition élaborée qui va plus loin que le "dehors Chavez". Ils montrent de grandes contradictions, et s’ils sont effectivement en campagne, une campagne qui n’a ni pied ni tête, c’est avec de profondes contradictions. Bref, l’opposition est àpeine en train de tenter d’articuler une campagne.

Si, comme vos partisans le déclarent, l’opposition n’obtient pas le nombre de votes nécessaires pour parvenir àvous révoquer, alors, àquel jeu joue-t-elle : le suicide politique ou la fraude ?

Je ne dis pas, parce que ce ne serait pas correct, que nous avons déjàgagné cette bataille. Nous sommes ici dans l’Etat du Zulia, le "repaire" des "Aigles" (une équipe de base-ball, ndlr) et la partie ne se gagne pas tant qu’on n’a pas eu le "out 27" et que, de plus, l’arbitre [2] désigne le vainqueur, parce qu’il arrive parfois que l’on pense que c’est "out" tandis que l’arbitre garde le silence, c’est pour cela qu’il faut attendre avant de crier victoire.

Si nous parlons en termes de chiffres et de mathématique, nous sommes certains que les 3 millions 700 mille votes en notre faveur d’il y a trois ans [3], et qui ont augmenté depuis lors, seront au rendez-vous.

Quant àl’opposition, je pense qu’elle n’est pas très sà»re que ses votes aient augmenté. Les mathématiques le prouvent : en 1998, elle a obtenu 2 millions 600 mille voix et cinq ans plus tard, elle a péniblement obtenu 2 million 500 mille voix et cela avec quelques doutes sur l’authenticité puisqu’ils n’arrêtent pas de mobiliser les morts en leur faveur [4].

Mais bon, admettons qu’ils aient bel et bien obtenus 2 millions 500 mille votes, soit 100.000 en moins qu’aux précédentes élections. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Je ne l’invente pas, cela est démontré de manière objective. Il leur sera difficile de remonter une telle pente.

Ce qu’ils n’ont pas obtenu en quatre années d’erreur, de coups d’état, de terrorisme, vont-ils l’obtenir en deux mois ? Cela paraît bien improbable. Cependant, comme je vous l’ai déjàdit, nous n’allons pas minimiser les possibilités de l’adversaire, nous sommes en train de travailler très dur pour renforcer nos positions.

Je préfère penser que l’opposition vénézuélienne - et lorsque je parle de l’opposition en ce moment, je pense tout particulièrement àsa direction, comme je l’ai déclaré àMonsieur Gustavo Cisneros [5] au cours d’une rencontre qui a provoqué pas mal de spéculations ; - Souhaitons que tous ceux qui ont mené des coups d’Etat, qui ont attaqué les institutions de manière perverse et soutenue, qui ont tenté de déstabiliser le pays et ont fait tant de mal àl’économie, qui ont semé pas mal de terreur au sein d’une bonne partie de la population vénézuélienne, souhaitons qu’ils acceptent le fait qu’il y a ici une Constitution, que nous puissions disposer d’une opposition démocratique, réellement démocratique, une opposition sérieuse, rationnelle, qui pense, qui mesure les conséquences de ses actes, que ses dirigeants deviennent les leaders d’un groupe important de Vénézuéliens que nous n’ignorons pas.

Je reconnais, en tant que président de tous les Vénézuéliens, qu’il y a dans ce pays des courants politiques qui s’affrontent au projet bolivarien, le projet que j’incarne ensemble avec la majorité de tous les Vénézuéliens. Nous devons les respecter, et nous voulons qu’ils occupent la place qui leur revient, mais dans le cadre de la Constitution.

J’aime àpenser qu’ils sont entrés dans une phase de réflexion, qu’ils acceptent la réalité et qu’ils construiront une opposition sérieuse et loyale envers le pays. La Constitution n’est pas un mandat exclusif en faveur des chavistes, c’est une obligation pour tous les Vénézuéliens.

Si Chavez gagne le référendum, quelle sera l’évolution politique du pays ?

Il faut relier le référendum du 15 aoà»t avec les élections régionales de septembre. Ces deux événements vont être fortement imbriqués, ce qui fait que la campagne ne va pas se terminer avec notre victoire du 15 aoà»t, elle se poursuivra au contraire pendant un mois et demi encore. Il faudra donc attendre encore un peu avant de mieux évaluer le scénario àvenir, le nouvel échiquier politique vers lequel nous, Vénézuéliens, nous nous acheminons dans cette dernière phase de la période constitutionnelle de gouvernement [6].

Avez-vous pensé àorganiser des élections générales en septembre au cas où vous seriez révoqué ?

C’est une possibilité. Je dirais qu’elle est fort minime, mais il ne faut jamais écarter aucune option, aucun scénario. J’aspire àce que, après que le peuple vénézuélien émette le 15 aoà»t d’une manière forte et tranchée son opinion dans un sens favorable àmon projet, selon ce que je crois, certains secteurs se ressaisissent et acceptent la réalité, qu’ils acceptent enfin ce qu’ils n’ont encore jamais accepté jusqu’àaujourd’hui : l’opinion de la majorité. Qu’ils acceptent enfin que pour participer au jeu démocratique, il faut respecter les règles, les institutions.

Je leur adresse de nouveau un appel, je leur tends la main afin de dialoguer, pour parler, pour récupérer la capacité de nous critiquer, mais avec dignité, pas en lançant des pierres, mais bien en respectant nos différences, en construisant le modèle politique qui est contenu ici (dans la Constitution).

Il y aura donc de nouvelles rencontres avec l’opposition ?

Oui, je suis disposé àce qu’il y en ait encore.

Y compris avant le 15 aoà»t ?

Cela serait difficile. Il faut rappeler qu’après que le coup d’Etat [7] d’avril (avril 2002, ndlr) et mon retour, la première chose que j’ai faite a été d’appeler au dialogue...

Mais cela n’a donné aucun résultat...

Malheureusement, en effet, une bonne partie de l’opposition a interprété ce geste comme un signe de faiblesse. Ils ont pensé : "Nous avons frappé Chavez et comme le boxeur est tombé, il suffit de compter jusqu’àneuf et le frapper encore parce qu’il est àterre." Et ils se sont de nouveau trompés dans le diagnostic !

Il y a un phénomène psychologique souligné par les experts et par ce grand spécialiste qu’est le peuple : il y a des gens qui finissent par croire en leurs propres mensonges.

Depuis l’année 2001, lorsque la conspiration a débuté, ils ont commencé par essayer de faire croire àcette légende de la chute de Chavez. Selon eux, Chavez était àterre, il avait perdu tout appui populaire, l’armée ne le soutenait pas, etc. Les militaires putschistes ont répété qu’ils représentaient 90% des Forces armées. Je pense qu’ils y croyaient vraiment.

Ils ont alors tenté un coup d’Etat et ont eu la surprise de leur vie mais même par la suite ils n’ont pas été capables de reconnaître la vérité et ils ont fini par avaler leurs propres mensonges, surtout celui qui disait que Chavez était revenu àMiraflores (le Palais présidentiel, ndlr) non parce qu’il était en position de force, mais àcause des erreurs de l’opposition, àcause des erreurs de Carmona. [8]

En fin de compte, ils ont clairement démontré leur incapacité àreconnaître la réalité tout en montrant une grande capacité àse tromper eux-même. Ils ont donc continué àconspirer et ont mené un sabotage économique qui devait également s’accompagner d’un coup d’Etat. (décembre 2002 et janvier 2003, ndlr)

Mais avec tous ces "coups" àrépétition, les plus "sonnés" maintenant ce sont eux. Ils lancent "coup" sur "coup" mais ces derniers leur reviennent toujours en pleine figure. J’espère qu’ils apprendront quelque chose de tous ces revers, qu’ils en finissent avec cette incapacité d’analyser la réalité, qu’ils arrêtent d’accepter les diktats de Washington, de cette ultra-droite irrationnelle qui envahit des pays, qui assassine, qui bombarde. Parce que l’opposition a toujours été au service de Washington, ce sont eux qui lui ont donné le feu vert et l’ont utilisé comme chair àcanon. Cela aussi, il faut le dire ! Il serait bon que l’opposition vénézuélienne acquière son indépendance.

Que pensez-vous du changement d’opinion de l’opposition par rapport aux "missions" [9] ?

Cela révèle nettement l’absence d’éthique, l’absence de projet et de leadership de l’opposition parce qu’il y a àpeine quelques mois ils n’arrêtaient pas d’agresser les médecins cubains. Ils disaient que ces derniers n’étaient pas de véritables médecins, qu’ils étaient en train de tuer des enfants, qu’ils exerçaient une infiltration castro-communiste.

Ce changement d’attitude envers les missions reflète le peu de cohérence d’une opposition qui n’ose pas avouer quel est son véritable projet. Car, en fait, il n’est pas totalement vrai qu’ils n’aient pas de plan. On a entendu parler il y a peu du "Consensus Pays" [10]. Quelle ressemblance avec le "Consensus de Washington" (les dogmes néolibéraux, ndlr) !

Le plan de la très mal nommée "Coordination démocratique", qui n’a aucun leadership ni morale, est le plan de Washington, c’est un projet néolibéral qui veut entre autres privatiser la société pétrolière PDVSA, brader tous les avoirs de Corpozulia et les privatiser, idem avec la CVG. C’est un projet qui veut réduire les Forces armées àun rôle de police destinée àne protéger que les grands capitaux parce que, selon eux, àquoi sert une armée nationale si l’on a le Commandement Sud (les Etats-Unis, ndlr) qui nous protège tous. C’est un projet destiné àbrader la souveraineté nationale du pays, pour dollariser l’économie de toute l’Amérique latine.

Tel est leur plan, et il est clair qu’il ne vient pas d’eux, mais de Washington. Ils n’osent pas l’avouer. Certains, il est vrai, parce qu’ils l’ignorent, mais les sommets dirigeants de l’opposition savent, eux, parfaitement la vérité.

On a déjàpu voir un bout de ce projet au moment du coup d’Etat d’avril 2002. L’une des premières déclarations de Carmona fut de dire que "le Venezuela quittera l’OPEP". Tiens, donc ! C’est justement ce que souhaite Washington !

Lorsqu’il y a près d’un an, nous avons lancé la Mission Robinson et avons promis un million de personnes alphabétisées, ce curé de l’opposition - alors que la majorité du clergé est avec le processus, avec le peuple - a déclaré àla télévision que ce serait un "miracle", que personne ne pouvait réaliser cela.

Et il avait raison car ces missions sont pratiquement miraculeuses. Dans la Mission Robinson, nous avons déjàalphabétisé 1 million 250 mille personnes. Le Venezuela frôle déjàle seuil au-dessous duquel, d’après les normes de l’UNESCO, nous pourrons bientôt la proclamer comme "zone libre de l’analphabétisme".

L’opposition avait récemment déclaré de manière démagogique et irresponsable, dans le seul but de tromper l’opinion publique, qu’elle poursuivrait l’oeuvre des Missions (si elle arrivait au pouvoir). Mais, même s’ils le voulaient réellement, ils ne pourraient le faire. Car, en admettant qu’un éclair de lucidité les a frappés et qu’ils admettent que cette pauvreté accumulée depuis deux cent ans au Venezuela est le produit de l’égoïsme - parce qu’il y a toujours eu ici des richesses qui permettaient, àcondition qu’elles soient bien administrées, d’obtenir une situation de stabilité et de relative égalité sociale - ; s’il s’avère même qu’ils se sont transformés en êtres humains sensibles, ils ne pourraient rien faire, même s’ils le voulaient, parce qu’on ne leur permettrait jamais cela.

Car le projet prévu par Washington pour cette opposition, dans le cas douteux où ils reviendraient au pouvoir, est un projet néolibéral et ce dernier suit certaines règles dont l’une d’elles est de réduire au minimum les dépenses sociales.

Ce projet néolibéral implique que le prix du pétrole descende au-dessous des 10 dollars le baril, et c’est pour cela que le Venezuela devra alors quitter l’OPEP et produire beaucoup d’or noir. Pour éviter le déficit, le FMI nous tombera dessus pour octroyer des prêts parce que ce qui les intéresse, c’est un pétrole àbas prix.

Après le "bushisme", est-ce au tour du "kerrysme" ?

Au-delàde la question des individus, l’impérialisme est dans une sorte de Quatrième Guerre mondiale, il a de nouveau montré ses dents et ses griffes.

Ceux qui rêvaient d’une espèce de "pater imperim", un empire moins mauvais, virtuel et qui disaient que les forces dominantes dans le monde n’avaient plus besoin d’envahir quiconque, de ne conquérir aucun territoire, la réalité leur a offert un cinglant démenti : les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan, ils ont envahi l’Irak et ont mis leurs mains sur le Venezuela.

C’est la vieille stratégie impérialiste contre laquelle s’était heurté Bolivar, c’est cette vieille stratégie qui a mené au démantèlement des territoires qui composaient la Grande Colombie. Qui avait provoqué cela ? Les Etats-Unis.

Avec Kerry, les choses pourraient-elles changer ?

En premier lieu, je n’oserai pas affirmer qui sera le prochain président des Etats-Unis àpartir de novembre, il s’agit làd’un choix des seuls Etats-uniens.

Ce que l’on attend par contre, indépendamment du fait que Monsieur Bush poursuive son mandat, au-delàdes gestes virtuels, c’est que la société états-unienne voit la réalité, se ressaisisse et, comme c’est le cas au Venezuela où a émergé une vague populaire de conscience humaniste, et comme c’est arrivé en Europe dans le rejet massif àla guerre qui a liquidé Aznar et amené au pouvoir Monsieur Rodriguo Zapatero, que surgisse également une force qui fasse pression sur son gouvernement, quel qu’il soit, dans le but que ce dernier respecte les droits humains, les autres nations, qu’il respecte notre droit àl’autodétermination et àprendre notre propre chemin...

Notes :

[1Consultez le dossier de RISAL sur le referendum :
http://risal.collectifs.net/theme_mot.php3?id_mot=124 (ndlr)

[2Chavez fait reference au Conseil national électoral. (ndlr)

[3Lors de l’élection présidentielle de 2000. (ndlr)

[4Le processus de collecte de signatures pour convoquer un referendum a été marqué par de nombreuses frauds. Plusieurs milliers de morts y ont « participé  ». (ndlr)

[5Riche homme d’affaire et magnat de la presse vénézuélien, opposant radical du gouvernement. (ndlr)

[6S’il n’est pas révoqué le 15 aoà»t, le mandat de Chavez se terminera en 2006. (ndlr)

[7Consultez le dossier de RISAL sur le coup d’Etat :
http://risal.collectifs.net/mot.php3?id_mot=135 (ndlr)

[8Le président auto-proclamé de l’opposition au moment du coup d’Etat. (ndlr)

[9Les missions sont les programmes sociaux impulsés par l’administration Chavez. (ndlr)

[10Il s’agit d’une commission de la Coordination démocratique, plate-forme regroupant les partis et associations de l’opposition, qui a rédigé plusieurs rapports détaillant son projet politique. (ndlr)

Source : Panorama, juin 2004, Maracaibo, Venezuela.

Traduction : Ataulfo Riera, pour le RISAL.

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