La question du parti au temps du gouvernement Lula
La récente constitution d’un nouveau parti socialiste au Brésil - le Parti du socialisme et de la liberté (PSoL) - à partir de dissidences du Parti des travailleurs (PT) et du Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU), a déclenché au sein de la gauche brésilienne un vif débat sur les possibilités et la justesse du choix de construire de suite un nouveau parti.
La revue Inprecor a rassemblé différents points de vue. Tout d’abord un reportage qui relate l’acte fondateur de ce nouveau parti sous la forme d’une interview de HeloÃsa Helena, sénatrice de l’État d’Alagoas, militante de la tendance Démocratie socialiste, exclue du PT en décembre dernier. HeloÃsa Helena est actuellement présidente du PSoL.
Les trois autres articles critiquent cette initiative sous des angles différents : le premier émane d’un dirigeant du courant ’Articulation de gauche’ du PT, le second est l’éditorial d’un hebdomadaire édité par des animateurs de la gauche catholique, qui ont des liens très étroits avec les mouvements sociaux combatifs du pays, le troisième enfin a été publié par le mensuel de la ’Tendance Démocratie Socialiste’ du PT (qui regroupe en son sein les militants se réclamant de la IVe Internationale - troskiste).
DES DISSIDENTS SE RASSEMBLENT DANS LE PSoLL POUR DEFENDRE L’IDEAL SOCIALISTE
par MaurÃcio Hashizume
Agência Carta Maior, 13 juin 2004.
BrasÃlia, le 13 juin 2004
Un nouveau parti de gauche, dirigé par des parlementaires exclus du PT, a connu une avancée significative le week-end dernier. A l’occasion de la Première rencontre qui s’est tenue dans la capitale fédérale, Brasilia, près de 700 militants de diverses régions du pays ont participé au choix du nom, à la définition des statuts et à l’approbation du programme provisoire du Parti du socialisme et de la liberté (PSoL, sigle qui se prononce " sol " en référence à l’astre solaire).
L’organisation, qui se veut une alternative au sein du spectre des partis de gauche, a déjà une présidente : la sénatrice HeloÃsa Helena, élue sous les couleurs du PT dans l’État d’Alagoas et actuellement sans parti officiel. A ses côtés, le nouveau groupe parlementaire comptera les députés fédéraux "ex-pétistes" Babá (de l’État du Pará), João Fontes (de l’État de Sergipe) et Luciana Genro (de l’État de Rio Grande do Sul), qui est, par ailleurs la fille du ministre de l’Éducation, Tarso Genro. Tous ont subi un processus d’isolement politique après avoir voté contre la réforme de la Sécurité sociale au Congrès - processus qui a culminé avec leur exclusion pour indiscipline et non-respect des consignes partidaires lors de la réunion de la direction nationale du PT de décembre 2003.
La plupart des présents à la rencontre fondatrice du PSoL sont soit originaires du courant Démocratie socialiste (DS) du PT - et qui se sont regroupés dans la nouvelle organisation dans une tendance appelée Liberté rouge -, soit constitués de dissidents du Parti communiste du Brésil (PCdoB) et du Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU) ou encore de cadres des syndicats de fonctionnaires (de professeurs surtout), du mouvement paysan Terre, travail et liberté (MTL) et de groupes indépendants. Selon l’un des 16 membres de l’exécutif de la nouvelle force politique, il s’agit pour la majorité des militants de " l’ultime tentative " de construction d’un parti institutionnel. Parmi les " personnalités " qui ont adhéré au nouveau groupe figurent le sociologue Chico de Oliveira et le professeur Paulo Arantes.
Pour pouvoir participer pleinement aux élections, le PSoL a encore besoin de réussir sa " campagne de légalisation " - c’est-à -dire de recueillir les signatures nécessaires à son enregistrement. " Le jour des élections municipales, en novembre 2004, des "brigades du PSoL" parcourront tout le Brésil pour consigner les 438 000 signatures. Nous tiendrons des séminaires dans tous les États - à la fois dans le but de satisfaire aux formalités et "lourdeurs bureaucratiques" auxquelles nous sommes soumis et pour affiner le programme provisoire et les statuts que nous avons adoptés. Enfin, en janvier [2005], nous tiendrons notre deuxième Rencontre nationale lors du Forum social mondial de Porto Alegre ", affirme la présidente du nouveau parti.
La sénatrice, qui dit avoir consacré " les meilleures années de sa vie " à contribuer à construire le PT, critique le gouvernement en ce qu’il contribue désormais à " l’approfondissement des politiques néolibérales, celles-là mêmes qui étaient limitées par la participation du PT à l’opposition, que ce soit dans les mouvements sociaux ou au Parlement ". " Nous nous sentons donc obligés de construire un refuge politique, pour sauvegarder la bannière des classes travailleuses, et la somme des élaborations idéologiques et programmatiques accumulées tout au long de l’histoire de la gauche socialiste " poursuit-elle. Nous reproduisons ci-dessous, des extraits de l’interview que la sénatrice HeloÃsa Helena - candidate virtuelle à la Présidence de la République pour le PSoL en 2006 - a donnée à l’Agence Carta Maior (ACM) peu après la clôture de la première Rencontre nationale du plus jeune parti du pays.
Agence Carta Maior : Quelle est la principale différence entre le programme du PSoL et ceux des autres partis de gauche déjà existants ?
HeloÃsa Helena : Aujourd’hui, les autres partis se comportent comme des instruments de la propagande triomphaliste du néolibéralisme, parce qu’ils soutiennent d’une façon ou d’une autre le projet néolibéral tel qu’il est mis en Å“uvre par le gouvernement Lula. Toute personne de bon sens, qu’elle soit socialiste ou capitaliste, qui voudrait faire une analyse précise de l’action du gouvernement Lula, percevra la subordination persistante aux parasites que sont le Fonds monétaire international (FMI) et les autres institutions financières multilatérales, les distorsions des finances publiques qui font la part belle (à hauteur de 60 %) à la spéculation, les réformes qui n’ont rien à voir avec les réformes de l’appareil d’État que nous avons toujours défendues.
Nous sommes partisans de la réforme de cet État brésilien qui a été privatisé au service d’une minorité. A l’inverse, les réformes de l’État engagées par le gouvernement Lula, à l’instar de celui de [son prédécesseur] Fernando Henrique Cardoso, ne sont que des contre-réformes libérales qui ont recours au seul mécanisme de la diminution des budgets sociaux pour compenser l’augmentation des dépenses financières, fruit de leur politique économique et de leur orthodoxie monétariste. Les travailleurs de la fonction publique sont sacrifiés - comme ce fut le cas lors de la réforme du système de retraites - au profit du jeu des spéculateurs. Les ressources publiques sont littéralement pillées - 20 % du budget de la répartition fédérale furent détournés de leur destination pour garantir l’excédent budgétaire.
Tout ceci est-il irréversible ? N’y a-t-il aucune chance que des tensions sociales puissent modifier l’orientation du gouvernement Lula ?
J’espère - pour le bien du Brésil et de ses millions d’opprimés, d’exclus et de marginalisés - que les forces vives de la société vont pouvoir, de façon organisée, faire pression pour obtenir des changements. Mais, malheureusement, nombre de mouvements sociaux sont bureaucratisées, assumant des responsabilités dans la structure gouvernementale, et sont avant tout désireux de paralyser leur base pour empêcher de telles tensions sociales.
Il est évident que je veux que les choses changent, mais au vu des mesures déjà mises en Å“uvre par le gouvernement, je ne crois pas à la possibilité objective d’un changement de cap. Si je peux imaginer un Dieu qui soit immatériel et non localisé géographiquement, vous pensez bien que je crois en la force du peuple brésilien et en sa capacité de lutter pour contraindre le gouvernement à changer de cap. Malheureusement, l’analyse que je fais des membres du gouvernement, c’est qu’ils ont changé de bord. C’est pour cela que nous nous sentons obligés de créer un "refuge" pour la gauche. Pour que, même s’ils ont changé de bord, ils ne le fassent pas en captant la légitimité des traditions de gauche. Ils auraient dà » convoquer un Congrès [du PT] pour y renier leurs racines socialistes, et se définir comme néolibéraux ou comme des cyniques épris de la "Troisième voie" ou de tout autre conception programmatique. A partir du moment où ils sont passés de l’autre côté, ils ne sont plus autorisés par le peuple brésilien - et encore moins par la gauche brésilienne -à anéantir et piétiner les bannières historiques qui ont été consacrées non par telle ou telle personnalité politique, tel ou tel parti politique, mais par les luttes héroïques, par le sang, la sueur et les larmes de la classe laborieuse et des militants socialistes au Brésil, en Amérique Latine et dans le monde.
Ces repères historiques et les conceptions programmatiques qui en résultent, ne sont la propriété d’aucun parti, y compris de notre nouveau parti, le PSoL, ni d’aucune personnalité politique. Si un instrument politique, conçu pour promouvoir ces objectifs historiques dans l’imaginaire des classes populaires, vient à faillir, notre devoir est de construire un nouveau parti. Justement pour continuer à disputer dans l’imaginaire populaire ces bannières historiques qui osent défier la pensée unique.
Espérez-vous que davantage de parlementaires et de cadres du PT en sortent pour venir grossir les rangs du PSoL ?
Le PSoL, notre cher parti du Socialisme et de la Liberté, recevra les camarades de tous les partis de gauche qui voudraient nous rejoindre avec plaisir et beaucoup d’affection, avec solidarité et respect. Nombre des combattants et combattantes du peuple qui ont quitté le PT, le PCdoB, le PSTU et d’autres partis sont avec nous. Mais je ne dépenserai pas une goutte de sueur et de mon énergie à tenter de débaucher les militants des autres partis, et encore moins des parlementaires. Ne serait-ce que parce que les parlementaires savent exactement ce qui se passe. Je dis toujours pour plaisanter que le plus innocent d’entre eux ne marche pas, mais plane.
Si ces gens se décident à quitter le gouvernement et viennent nous rejoindre, ils seront reçus à bras ouverts. Nous tenons à préserver certains des liens affectifs que nous avons tissés au cours de notre histoire commune, mais il ne s’agit plus de faire la politique ensemble. Ceux avec lesquels les liens affectifs ont été rompus, ils l’ont été parce que ces liens n’étaient ni très forts, ni suffisamment sincères pour être maintenus malgré les désaccords idéologiques et programmatiques de la vie militante.
Sincèrement, je savais déjà qu’il y avait une vie socialiste, faite de dignité, de courage et de générosité, en dehors des structures partidaires qui existent aujourd’hui - et j’en ai acquis la certitude au cours de cette traversée du "désert" pour construire un nouveau parti, en y rencontrant des compagnons de route. Cela a été pour moi un véritable apprentissage. Je vais me consacrer davantage à la conquêtes de ces gens-là plutôt qu’à la tentative de convaincre des militants et parlementaires des autres partis.
Par Valter Pomar [1]
Le gouvernement Lula est le produit d’au moins vingt ans d’accumulation de forces au sein de la gauche brésilienne. Aujourd’hui, notre gouvernement applique une politique économique qui perpétue l’hégémonie du capital financier, de l’industrie agro-alimentaire et du secteur de l’exportation. Cette contradiction entre ce qui a fait président Lula et ce que le président Lula fait permet d’expliquer l’ambivalence politique de la bourgeoisie face au Gouvernement fédéral : d’une part elle applaudit Palloci [2] des deux mains et, de l’autre, elle prépare la défaite de Lula. Finalement, le gouvernement actuel n’est, malgré tout, pas fiable du point de vue de la bourgeoisie, c’est la raison pour laquelle il est peu probable que Lula à la fois maintienne la politique économique actuelle (qui corrompt sa propre base sociale, électorale et idéologique) et gagne les prochaines élections.
Si la droite l’emportait, que ce soit électoralement ou " de l’intérieur " (en obtenant la rupture définitive du gouvernement avec tous ses engagements vis-à -vis du mouvement dont il est originaire), cela placerait la gauche socialiste devant une nécessaire réorganisation, qui s’étalerait sur des décennies.
Quel qu’en soit le motif, une défaite du gouvernement Lula signifierait " objectivement " un renforcement de la droite. Voilà pourquoi il est risqué de considérer comme étant de " gauche " quiconque travaille pour battre ou faire tomber ce gouvernement - attitude qui est différente d’une activité politique, y compris publique, pour défaire l’orientation actuellement hégémonique en son sein.
Le récent Parti du socialisme et de la liberté (PSoL) prétend construire une opposition de gauche au gouvernement Lula. Évidemment, il ne s’agit pas d’une opposition " constructive " pour faire pression, de l’extérieur, dans le sens d’un changement de cap. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de différence de fond entre la position du PSoL et celle de la gauche du PT ; il n’y aurait que davantage de liberté et moins de contraintes pour ceux qui, de l’extérieur, critiquent le cours du gouvernement.
Le PSoL cherche à construire une opposition " destructrice ", agissant comme s’il était possible de battre simultanément le gouvernement Lula et la droite, offrant ainsi au pays un gouvernement de gauche, socialiste et véritablement démocratique et populaire.
La réalité est qu’il n’y a pas et qu’il ne semble pas devoir se produire - aussi loin que porte l’analyse - de vague de luttes qui puisse donner naissance à un nouveau pôle socialiste, démocratique et populaire, suffisamment fort pour dépasser par la gauche le PT, le gouvernement Lula et la droite traditionnelle.
C’est pourquoi de larges secteurs de la gauche brésilienne ont opté pour une critique des objectifs du gouvernement Lula. Ce n’est qu’en les modifiant que nous nous inscrirons dans la continuité de la vague politique qui vient de la fin des années 1970. Dans toutes les autres hypothèses - qu’il s’agisse de la poursuite de la politique économique actuelle ou du retour de la droite traditionnelle - nous vivrons une défaite et une dispersion bien plus profondes que ce que nous avons connu après le coup d’État de 1964.
Le surgissement du PSoL est un signe que cette dispersion a déjà commencé ; paradoxalement, le nouveau parti semble avoir suivi un modèle d’organisation "pétiste". Ce qui est naturel pour quiconque prétend peser, ici et aujourd’hui, dans la lutte des classes en cours dans le pays : il faut avoir une base de masse, une présence parlementaire et participer au échéances électorales.
Pourtant, au contraire du PT - qui est né "petit" mais porté par une onde vigoureuse de luttes politiques -, le PSoL surgit dans une période de faibles luttes. De même, à l’inverse du PT qui dans ses premières années a donné peu d’importance à la lutte institutionnelle, le PSoL valorise excessivement les figures de ses parlementaires et lance d’ores et déjà une candidate à la Présidence de le République, reproduisant de façon caricaturale, la tragique dépendance que le PT lui-même a créée vis-à -vis de la candidature Lula.
En clair, le processus politique et social qui a pris plus de deux décennies pour altérer profondément le projet politique et social du PT, marque déjà profondément le PSoL dès sa fondation. Cela sera également le cas pour tous les secteurs qui voudront rompre maintenant avec l’expérience du PT et du gouvernement - mis à part ceux qui sont près à investir de l’énergie dans la construction à long terme d’une autre alternative stratégique, fusse au prix d’une intervention politique réduite dans la période actuelle.
La mutation intervenue dans le positionnement du PT, au cours des dix dernières années, a été la version "accélérée" dans les années 1990 du mouvement que la social-démocratie européenne a accompli au cours d’un siècle d’existence : de la révolution à la réforme, du socialisme au capitalisme, du capitalisme social-démocrate au capitalisme néolibéral (éventuellement via la prétendue "troisième voie " ou le centre-gauche).
Notre problème aujourd’hui ne se résume pas aux objectifs politiques du PT et/ou du gouvernement Lula ; le souci est de parvenir à reconstruire, dans la classe travailleuse brésilienne, l’impulsion démocratique, populaire et socialiste qui l’a animée à la fin des années 1970 et au cours des années 1980.
Aujourd’hui une grande partie du mouvement social brésilien, à commencer par le syndicalisme, est sous l’hégémonie des secteurs modérés du PT et de la Centrale unique des travailleurs (CUT). Une autre partie est animée par des militants tellement critiques vis-à -vis de l’action partidaire, qu’ils agissent comme si les "mouvements sociaux" étaient capables de résoudre les problèmes de la conquête du pouvoir et de la construction du socialisme.
Est-il possible de changer le pays sans résoudre la question du pouvoir, de l’État ? Est-il possible de résoudre le problème du pouvoir, sans luttes et organisation politico-partidaire ? Comment éviter, dans les conditions politiques que nous vivons, qu’un parti de gauche soit coopté par l’ordre bourgeois ? Ou qu’il soit réduit à la condition de "minorité éternelle", comme la majorité des partis socialistes et révolutionnaires ?
Nous ne répondrons pas à ces questions en transformant l’impatience en argument théorique, ni en oubliant que notre ennemi est la droite. Nous avons besoin de force politique et sociale, pour matérialiser une stratégie et un programme alternatifs. Une telle force ne sera pas le produit d’une défaite de notre gouvernement. En fait, une déroute du gouvernement Lula, si elle se produit, causera une réduction brutale des forces du socialisme et de la liberté sur la scène politique brésilienne. C’est pour tout cela, tout en respectant le choix de ceux qui ont préféré suivre un autre chemin, que nous continuerons - tant que c’est possible - à lutter pour transformer les objectifs du gouvernement et du PT.
Par Correio da Cidadania [3]
19 juin 2004.
Les personnes qui ont constitué le Parti pour le socialisme et le liberté (PSoL) méritent le respect de la Nation. Il s’agit de militants politiques sérieux et courageux, qui refusent la dérive à droite du Parti des travailleurs (PT). Pourtant, malgré tout le respect qu’ils méritent, il ne semble pas qu’ils aient fait le bon choix politique.
Le déviation manifeste de la posture idéologique du PT et l’inutilité de la lutte pour son redressement au sein des structures du parti (étant donné la majorité monolithique qui s’est constituée autour d’une véritable machine politico-électorale) ne constituent pas des raisons suffisantes pour créer un nouveau parti socialiste au Brésil.
Il y a une tâche préalable qui pâtirait de la précipitation à légaliser prématurément un sigle pour disputer les élections. Avant de lancer un nouveau parti, il faut déterminer précisément les causes de la dérive du PT. Il s’agira là d’un long débat contradictoire, qui ne nécessitera pas seulement l’effort d’analyse intellectuelle, mais aussi l’expérimentation de nouvelles formes d’action politique, pour ne pas courir le risque de reproduire les erreurs qui ont conduit le PT dans la situation actuelle.
C’est une chose de débattre de ces questions sans être obligé d’écrire un programme politique et de s’inscrire dans un calendrier électoral conçu par les adversaires du socialisme, c’en est une autre de le faire sous les contingences qu’impose un tel calendrier. Nous ne devons jamais oublier que la participation des socialistes aux institutions bourgeoises constitue une contradiction qui ne se résoudra que lorsque le socialisme se sera substitué au capitalisme en tant que forme d’organisation de l’économie et de la société. D’ici là , la participation des socialistes à la politique institutionnelle bourgeoise ne connaîtra que des solutions partielles et temporelles, qui seront fonction des circonstances concrètes.
Né peu après la défaite de la stratégie de lutte armée, le PT proposait une stratégie de lutte institutionnelle, basée sur deux piliers : la participation aux élections et la pression directe de masse, souvent aux limites de la légalité. Pour différentes raisons, cette stratégie n’a pas donné de résultats. Mais, pendant ce temps, la conjoncture pendant laquelle cette stratégie a été formulée s’est transformée complètement du fait des changements intervenus dans le capitalisme tant au Brésil qu’à l’échelle mondiale.
Il ne nous semble pas prudent, dans ces circonstances, de tout recommencer de nouveau, sans éclaircir auparavant, au moyen d’un grand débat national avec les forces sociales concernées, la manière de faire une nouvelle proposition socialiste au peuple brésilien.
Il ne s’agit pas, par cette critique, de " tirer sur " le PSoL ou de bloquer le débat fraternel que les socialistes doivent mener en leur sein s’il veulent affronter unis la crise gravissime qui menace le pays. Au contraire, nous reconnaissons la pureté des intentions des fondateurs de ce parti, leur objectif étant d’ouvrir le dialogue par la création d’un nouveau regroupement.
Il va sans dire que les colonnes du Correio sont ouvertes aux opinions contradictoires.
Par Jornal Democracia Socialista [4]
Juillet 2004.
Les députés fédéraux Babá, Luciana [Genro] et João Fontes annonçaient sa formation avant même d’être expulsés du PT. Maintenant le " nouveau parti " a un nom : Parti du Socialisme et de la Liberté [PSoL]. La sénatrice HeloÃsa Helena est la principale porte-parole du nouveau regroupement.
Les forces militantes essentielles du PSoL proviennent surtout des courants politiques Movimento de Esquerda Socialista (MES, Mouvement de la gauche socialiste) et Corrente Socialista dos Trabalhadores (CST, Courant socialiste des travailleurs). Ces deux organisations font partie de la tradition du trotskisme moreniste. Ils sont restés dans le PT, encore unifiés, comme le CST, quand la majorité d’alors de Convergence Socialiste a formé le Parti socialiste des travailleurs unifié (PSTU).
Des ex-militants et dirigeants du PSTU, tels Junia Gouvêa et Martiniano Cavalcante, qui ont quitté ce parti à des moments distincts, intègrent la direction du PSoL. Un groupe modeste de militants, qui n’ont pas respecté les décisions de la Conférence Nationale de la Tendance Démocratie Socialiste (DS), se sont regroupés dans "Liberdade Vermelha" ("Liberté Rouge") et se sont prononcés en faveur du PSoL. Ils n’ont soumis cette décision à aucun débat collectif au sein de la DS.
Milton Temer et Carlos Nelson Coutinho - qui nous ont enseigné Gramsci et le concept de processus dans la révolution - sont également au sein de ce nouveau parti, ainsi que Francisco de Oliveira.
Le désenchantement provoqué par le gouvernement Calmar et le mécontentement devant l’évolution du PT peuvent conduire différentes traditions politiques à se réunir et à proclamer un nouveau parti. Mais à la lumière de l’expérience du PT, nous savons que pour construire un outil politique il faut bien davantage. Et nous ne parlons pas des 438 000 signatures exigées pour obtenir l’inscription sur le registre électoral [5] mais de l’absence d’un environnement social et politique assez "chaud" pour fusionner les différentes conceptions dans un programme commun à même de produire une action politique transformatrice.
La 7ème Conférence Nationale de DS, de novembre 2003, a approuvé la résolution suivante :
" Nous considérons valable la poursuite de la défense des valeurs positives issues de l’histoire du PT (la contribution programmatique ; le droit de tendances et la démocratie interne ; les conquêtes féministes ; la synthèse des expériences et des forces de la gauche). Dans ce cadre il est également nécessaire de renouer les liens entre l’organisation partisane et l’ample mouvement politico-social autour du PT.
Nous cherchons à intervenir dans la bataille d’orientation au sein du PT en nous basant sur la légitimité de la défense du projet historique et stratégique d’un parti socialiste et démocratique. Face au développement d’un conflit au sein du parti, il est plus nécessaire que jamais de mettre en avant la construction d’un grand courant de gauche qui soit le pôle de référence de la reconstruction et du fonctionnement du PT en tant que parti socialiste et démocratique.
La construction de ce courant et la lutte pour la reconstruction socialiste du PT représentent une alternative aussi bien face aux pressions aiguë s visant à l’abandon de son caractère programmatique, que face à ceux qui veulent quitter le PT et s’orientent vers un projet de parti sectaire, car ces deux orientations renoncent à l’expérience de la construction d’un parti socialiste et démocratique de masse. "
[1] Valter Pomar, le troisième vice-président national du Parti des travailleurs (PT), est membre de la coordination du courant Articulation de gauche du PT. Articulation de gauche, issue de la rupture au sein du courant historique du PT au début des années 1990, constitue le second - après Démocratie socialiste - grand regroupement de la gauche socialiste au sein du PT. Les deux tendances ont récemment renforcé leur coopération, tenant des séminaires programmatiques communs.
[2] Antonio Palloci, ministre des finances du gouvernement Lula, est considéré comme le chef de fil de l’orientation néolibérale et pro-FMI.
[3] Nous reproduisons ici l’éditorial de l’hebdomadaire Correio da Cidadania n°402 (daté de la semaine du 19 au 26 juin 2004). Impulsé par la gauche catholique, Correio da Cidadania est très lié aux mouvements sociaux radicaux brésiliens.
[4] Nous traduisons cet article du mensuel publié par la tendance Démocratie socialiste (qui regroupe au sein du Parti des travailleurs les militants se réclamant de la IVe Internationale - trotskiste), Jornal Democracia Socialista n° 4 de juillet 2004.
[5] Une loi votée sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso a modifié les conditions de formation des partis politiques. Si les anciens partis, inscrits sur le registre électoral avant le vote de cette loi (et dont l’existence est parfois très virtuelle), continuent à jouir du privilège de la légalité et peuvent à ce titre présenter des candidats aux diverses élections, les nouveaux partis doivent réunir un nombre impressionnant de signatures (438 000 à l’échelle de la fédération brésilienne !) pour être autorisés à prendre part aux joutes électorales... Notons que lors de la fondation du Parti des travailleurs les conditions de légalisation d’un parti politique étaient bien moins draconiennes.
Source : Inprecor (http://www.inprecor.org), n° 497, septembre 2004.
Traduction : M.C. (Inprecor).