Chiapas, la résistance
par Gloria Muñoz Ramírez
Article publié le 4 décembre 2004

Le 9 aoà»t 2003, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) décrétait la naissance des « conseils de bon gouvernement  » (Juntas de Buen Gobierno) dans les cinq zones territoriales sous son contrôle, appelées «  caracoles  ».
Que sont devenues ces structures d’autogouvernement un an plus tard ?
Gloria Muñoz Ramírez, journaliste mexicaine àLa Jornada et àRebeldia, a réalisé, àl’occasion de cet anniversaire, un long et détaillé reportage dans les cinq zones du territoire rebelle et montre comment les zapatistes mettent concrètement en pratique leur autonomie.

Caracol I La Realidad

Le Caracol de La Realidad, le premier espace construit par les zapatistes afin d’organiser leur autonomie, fête déjàson premier anniversaire. Les pluies sont àleur apogée, la boue commence àenvahir les chemins, la saison des elotes [1] est terminée et les indigènes ont déjàprocédé au pliage [2] du maïs. Sans doute que la faim n’est pas moins présente qu’auparavant, la situation est difficile sur ces terres de la forêt, mais un tour de reconnaissance dans cette zone permet de voir et de sentir quelque chose qui, il y a dix ans, lorsque nous, reporters, pénétrâmes pour la première fois dans ce territoire, n’existait tout simplement pas.

Dès l’entrée dans ce lieu emblématique qui héberge le conseil de bon gouvernement de Hacia la esperanza ("Vers l’espérance"), il y a une petite clinique de bois peinte en vert, qu’entourent des dizaines de personnes rassemblées àl’extérieur. Des pancartes blanches annoncent, en plus des différentes méthodes de contraception, une campagne de vaccination destinée aux enfants et aux adultes. "Nous sommes en train de combattre la diphtérie et le tétanos", dit avec orgueil le responsable en charge de la santé, un indigène d’âge moyen qui porte le dossier de chaque personne soignée. Dans la file d’attente, les mères ont àla main la carte de vaccination autonome de leurs enfants.

"Même avant notre soulèvement, affirme lors d’une interview Doroteo, membre du conseil de bon gouvernement, nous, les villages zapatistes, avions commencé àprendre en charge notre santé, parce que la santé est une des principales quêtes de notre lutte, parce qu’elle est nécessaire pour vivre que notre lutte est pour la vie."

Ici, dans le Caracol Madre de los caracoles del mar de nuestros sueños ("Mère des escargots de la mer de nos rêves"), célèbre dans le monde de la résistance parce que, en 1996, la lutte antimondialisation connut en ce lieu un de ses moments fondamentaux, la réussite la plus récente en matière de santé est la mise en marche d’une salle de chirurgie. Ils la possédaient depuis trois ans sans l’utiliser en raison de l’absence de médecins et, ils le reconnaissent, àcause d’un manque d’organisation des quatre communes de la région : San Pedro de Michoacan, General Emiliano Zapata, Libertad de los Pueblos Mayas et Tierra y Libertad.

"Nous venons d’opérer deux hommes, un d’une hernie et l’autre d’une tumeur, et nous avons ôté un kyste àune femme. Ce qui revient àdire que l’on est aptes pour pratiquer des opérations dans cette zone zapatiste", affirme Doroteo, alors que la femme indigène récemment opérée, de visite au Caracol, se rétablit visiblement bien. Combien de femmes indigènes ayant un kyste attendent dans cette zone une opération ? La réponse est certainement préoccupante, mais, comme on dit par ici : "Ça y est, c’est bien parti !"

La santé est l’un des domaines dont les avancées sont les plus palpables sur le territoire zapatiste. Dans cette zone forestière frontalière avec le Guatemala, non dépourvue de problèmes et d’obstacles, les uns internes et les autres externes, se multiplient les campagnes de médecine préventive. Le nettoyage des latrines àla chaux, par exemple, est contrôlé hebdomadairement par une commission de santé dans beaucoup de communautés, bien que, ils le reconnaissent, il y en ait d’autres qui "ne comprennent toujours pas l’importance de la propreté, il faut expliquer que la santé est le plus grand bien que la lutte puisse te donner, le plus précieux, enfin".

Cette zone compte un des plus grands hôpitaux autonomes existant sur l’ensemble du territoire rebelle. Il s’agit de l’hôpital La Primera Esperanza de los sin rostro de Pedro ("La première espérance des sans-visage de Pedro"), en l’honneur du sous-commandant Pedro, mort au combat le 1er janvier 1994, responsable au commandement et compañero des habitants de ces villages.

Dans la communauté de San José del Rio, séparé du village par un pont et au milieu d’une végétation luxuriante, apparaît l’hôpital qui dessert quatre communes autonomes mais qui, comme chaque projet en résistance, a causé plus d’un souci aux communautés zapatistes. Ils racontent qu’organiser les équipes de milliers d’indigènes servant de bases d’appui qui participèrent àsa construction durant trois années demanda beaucoup d’efforts. Ils reconnaissent qu’ils ont été confrontés àde nombreux problèmes pour parvenir àle faire fonctionner ; qu’ils n’ont pas eu de médecins permanents ; qu’ils viennent àpeine d’inaugurer la zone de chirurgie ; qu’une fois ils ont dà» la fermer tout un mois, qu’on a dépensé beaucoup d’argent pour la formation des promoteurs et un long etcetera d’obstacles prédits et de problèmes inimaginables.

L’hôpital existe et, qui l’aurait dit, concurrence àprésent le grand hôpital gouvernemental de Guadalupe Tepeyac, inauguré en 1993, juste avant le soulèvement, par le président de l’époque Carlos Salinas de Gortari. Ce pompeux éléphant blanc fut administré temporairement par la Croix-Rouge internationale, jusqu’àce que, le 9 février 1995, il soit scandaleusement pris d’assaut par l’armée mexicaine (sans que l’institution de Genève fasse quoi que ce soit), pour être plus tard livré au secteur officiel de la santé.

A l’hôpital de Guadalupe Tepeyac, racontent les bases d’appui, "quelques fois on ne veut pas nous soigner si nous disons que nous sommes zapatistes, ou ils nous posent beaucoup de questions pour savoir quelque chose sur notre organisation, ou ils nous traitent comme nous traite le gouvernement, c’est-à-dire avec mépris, comme ils traitent les indigènes en général. A cause de cela, nous ne voulons pas y aller et àprésent même les priistes [3] préfèrent aller ànotre hôpital ou dans nos microcliniques, parce que là-bas on s’occupe de tout le monde, zapatistes ou non, et on les traite avec respect, enfin comme des êtres humains".

Il est fréquent de rencontrer des priistes ou des membres d’autres organisations àl’hôpital autonome. Ils ont cessé d’aller àl’énorme hôpital de Guadalupe Tepeyac, parce que "en tant qu’indigènes eux aussi ils les traitent très mal ou bien on leur dit qu’il n’y a pas de médicaments". Dans les cliniques autonomes, ceux qui ne sont pas zapatistes paient seulement 10 pesos [4] la consultation, et "si nous avons des médicaments que l’on nous a donnés, alors nous leur offrons, et si nous avons seulement des médicaments que nous avons payés, alors ils paient le prix. Nous ne faisons pas de commerce avec la santé", affirme Doroteo.

Le défi de gérer la santé, non seulement des bases d’appui zapatistes mais de tous les habitants des régions où elles sont présentes, est de proportions gigantesques. Les membres du conseil affirment : "Il y a beaucoup de travail parce que le besoin est très grand, parfois on a l’impression qu’il faut beaucoup plus, on sent qu’il faudrait le double, mais d’autres fois on sent que làon avance."

L’hôpital de San José est aussi une école de promoteurs de la santé. Il a été construit grâce àl’appui d’une organisation italienne et compte aussi des cabinets de consultation dentaire et d’herboristerie, un laboratoire clinique et même une turbine électrique. De plus, il existe trois cliniques communales, une dans la commune autonome Tierra y Libertad, une dans celle de Libertad de los Pueblos Mayas et une encore àSan Pedro de Michoacan.

Dans toute cette zone, il y a actuellement 118 promoteurs de la santé s’occupant des maladies courantes dans le même nombre de maisons de santé communautaires. Tant àl’hôpital central La Primera Esperanza de los sin rostros de Pedro que dans les trois cliniques municipales et plus de cent maisons de santé, il est offert des consultations gratuites aux bases d’appui et, lorsqu’il y en a, des médicaments gratuits.

"Il y a encore quelques mois, expliquent les responsables en charge de la santé, l’hôpital fonctionnait avec des promoteurs de la santé des villages, qui recevaient une aide économique des quatre communes autonomes. On les aidait avec 800 pesos par mois chacun pour qu’ils restent àtemps complet àl’hôpital. Au total, on a dépensé plus de cent mille pesos pour ces appuis durant trois années. L’argent provenait d’un projet d’entrepôts de ravitaillement que nous avions dans la zone. Mais, àprésent, avec le conseil, nous avons décidé de lancer un appel aux villages afin de recruter des volontaires qui prennent soin àtemps complet, àl’hôpital, de la santé des villageois. Ont répondu àl’appel trois hommes et trois femmes, qui ont laissé leurs villages et leurs familles et qui déjàtravaillent comme internes. Le conseil leur fournit leur nourriture, leur transport, les chaussures et les vêtements. On leur achète leurs tee-shirts et ce qui leur faut mais on ne leur donne aucun salaire ni aucun appui économique. Ces hommes et ces femmes sont conscients qu’ils travaillent pour leur peuple et profitent de cette opportunité pour se former et apprendre beaucoup de choses en matière de santé."

Sages-femmes, rebouteuses et herboristes renforcent la médecine traditionnelle

Dans un coin du Caracol de La Realidad, on est en droit d’apprécier la construction presque terminée d’un nouvel espace. Il s’agit d’un laboratoire d’herboristerie et d’une maison de conservation des aliments, qui s’unissent àun projet de santé qui est l’orgueil de cette zone : la formation de plus de 300 femmes herboristes, rebouteuses et sages-femmes.

"Ce rêve, expliquent-ils, naquit lorsque nous nous rendîmes compte que le savoir de nos anciens et anciennes se perdait. Ils savent guérir les os ou les entorses, connaissent l’usage des herbes, savent aider les femmes àaccoucher, mais toute cette tradition se perdait avec l’usage des médicaments pharmaceutiques. Alors, nous avons conclu un accord entre les villages et lancé un appel àtous les hommes et toutes les femmes qui connaissaient la médecine traditionnelle. Cette convocation ne fut pas aisée. Beaucoup de compañeros et de compañeras, au début, ne voulaient pas partager leurs connaissances, ils disaient que c’était un don qui ne pouvait pas se transmettre parce que c’est quelque chose que l’on porte en soi. Ensuite, il y eut une prise de conscience dans les villages, les conversations avec nos responsables de la santé et on parvint àce que beaucoup d’entre eux changent de comportement et se décident àparticiper aux cours. Ils furent une vingtaine d’hommes et de femmes, personnes âgées de nos villages, qui se décidèrent àêtre professeurs de médecine traditionnelle et ils furent 350 élèves àse faire inscrire, des femmes en grande majorité. Maintenant les sages-femmes, les rebouteuses et les herboristes dans nos villages se sont multipliées ."

Le nouveau laboratoire d’herboristerie a lui aussi une histoire : "Il arriva qu’un footballeur italien décédé laissât un héritage pour que soit construit un terrain de football dans un village zapatiste. De ce terrain, seul allait en bénéficier le village de Guadalupe Tepeyac, aussi avons-nous parlé avec tout le village et leur avons expliqué qu’il y avait d’autres besoins plus urgents pour le bénéfice de tous les villages, comme, par exemple, un espace pour que puissent travailler les compañeras qui se vouent àla médecine traditionnelle. Le peuple comprit et dit que c’était bien, qu’il était juste de destiner cet argent àla santé de tous ; le second pas fut de parler avec les donateurs et, eux, au début, ne voulaient pas que l’on utilise l’argent pour autre chose, mais ensuite ils dirent que c’était bien."

Plus de 300 promoteurs d’éducation donnent des cours dans leurs villages

Un autre domaine où l’on travaille contre vents et marées pour vaincre les inerties internes et les campagnes gouvernementales de contre-insurrection, est celui de l’éducation. "Pour nous, l’éducation de nos enfants est la base de notre résistance. Cela a beaucoup servi dans nos villages et l’idée est née parce que la majorité d’entre nous n’a pas eu d’éducation ou, si nous en avons eu, elle fut très mauvaise, dispensée àl’école officielle. Il n’y avait pas d’écoles dans les communautés et lorsque nous en avions une, il n’y avait pas de professeur, et s’il y en avait il ne se présentait pas àson poste et alors il n’y avait pas de cours. C’était ainsi, avant", expliquent les autorités autonomes de cette région.

En 1997, on a commencé àélaborer des plans et programmes d’études, et sept années plus tard on compte déjàtrois générations de promoteurs d’éducation ayant les certificats d’aptitude pour donner des cours dans leurs villages. "Dans nos écoles on enseigne l’histoire du Mexique, mais l’histoire réelle, ce qui s’est passé avec les combattants de ce pays. On enseigne aussi aux enfants l’histoire de notre lutte zapatiste, qui est la lutte du peuple", affirme Fidel, promoteur d’éducation.

"La majorité des villages ont déjàleurs promoteurs d’éducation, ils nous manque seulement trente communautés et les villages des quatre communes seront au complet", signale pour sa part le conseil de bon gouvernement.

Dans cette région, exactement ici àLa Realidad, s’organisa pour la première fois l’éducation autonome zapatiste, en 1997. En 1999 et en 2001, on remit des certificats d’aptitude àdeux autres groupes de promoteurs, capables de préparer 300 indigènes pour qu’ils donnent des cours dans leurs villages. Cependant, commentent les représentants du conseil, "nous avons ce problème que quelques promoteurs célibataires se découragent lorsqu’ils se marient, ou parce que leur village ne les soutient pas beaucoup, ou bien il y en a certains qui partent travailler aux Etats-Unis. A cela, nous essayons de voir comment y remédier parce que, de fait, la désertion de promoteurs existe ".

En ce moment, pendant que se déroule l’entrevue avec le conseil, un cours de mise àniveau avec plus de 70 promoteurs, hommes et femmes, est mené àson terme àLa Realidad. "Ceux que tu vois en ce moment qui marchent dans le Caracol sont en train de suivre un cours qui leur est nécessaire pour que se nivellent les connaissances, qu’elles se mélangent ainsi, pour ensuite pouvoir passer àun deuxième niveau du certificat d’aptitude, quelque chose comme l’enseignement secondaire, mais ici nous n’allons pas l’appeler ainsi", explique Doroteo.

Dans les quatre communes rebelles de la zone forestière frontalière, il existe 42 nouvelles écoles communautaires : 10 dans la commune Libertad de los Pueblos Mayas ; 4 dans General Emiliano Zapata ; 20 àSan Pedro de Michoacan et 8 àTierra y Libertad. Les écoles ont un sol en ciment, un toit en tôle et des murs en bois. Toutes possèdent leur tableau noir, des pupitres d’écolier, le drapeau du Mexique et, bien sà»r, le drapeau zapatiste, et il y en a quelques-unes qui possèdent des magnétophones et autres matériels didactiques.

Pour s’occuper de l’éducation dans les trente communautés qui manquent de promoteurs, le conseil de bon gouvernement donnera prochainement rendez-vous aux responsables "pour leur faire prendre conscience de l’importance de ce travail. Nous n’obligeons personne, il s’agit de faire comprendre aux peuples combien c’est important et qu’ils agissent en ce sens dans leurs villages parce qu’ils sont convaincus que cela est utile".

La majeure partie des communautés de cette région possèdent deux écoles : une officielle et une autre, autonome. Et les zapatistes affirment que dans leurs écoles "nos enfants apprennent àlire et àécrire les premiers, et ils sont plus conscients. Nous ne rendons pas responsables de cela les maîtres de l’école officielle, mais c’est un fait qu’ils délaissent beaucoup leurs classes parce qu’ils ont souvent des réunions, et nos promoteurs, eux, n’ont pas de congés et ne reçoivent pas de salaires".

Le gouvernement autonome compte seulement une femme

Le conseil de bon gouvernement Hacia la esperanza est composé de sept hommes et de seulement une femme. Trois des quatre conseils autonomes ne comptent aucune femme et seule la commune autonome Tierra y Libertad a une intégrante.

D’autre part, sur plus de 100 promoteurs d’éducation, seules 6 sont des femmes (5 de la commune autonome Tierra y Libertad et 1 de San Pedro de Michoacan). Les deux autres communes de cette région, General Emiliano Zapata et Libertad de los Pueblos Mayas, n’ont pas une seule femme responsable de l’éducation.

Sur le terrain de la santé, la chance ne sourit pas plus aux femmes. Il existe uniquement 7 promotrices dans les quatre communes, 5 de Libertad de los Pueblos Mayas et 2 de Tierra y Libertad.

"Nous sommes conscients, reconnaît le conseil,que dans cette zone la participation des femmes est encore faible, mais nous voyons aussi un petit progrès, car avant on ne pouvait même pas seulement imaginer qu’une femme puisse participer. Il y a encore beaucoup àfaire mais le changement doit commencer au sein de la cellule familiale.

Nous-mêmes, affirment-ils, comme conseil de bon gouvernement, devons faire plus de travail politique dans les villages, avec les familles de nos compañeras. Malheureusement, il est encore trop ancré dans la tête de beaucoup que leurs filles, si elles sortent de leurs villages, prennent le risque de mal tourner. Cela existe encore. C’est pour cela qu’il est nécessaire de renforcer la discussion et le travail. Nous autres, ici, au sein du conseil, nous avons une compañera et elle va avec nous partout et jamais nous n’avons eu de problème, parce que nous la respectons et elle nous respecte. Beaucoup d’hommes des villages pensent encore que les femmes peuvent se créer des problèmes si elles vont travailler avec des hommes, mais ce n’est pas comme cela. Alors, donc, il faut encore plus faire prendre conscience aux époux et aux pères de ce fait, ils doivent se mettre dans la tête que nous tous, hommes et femmes, avons les mêmes droits."

Combattre le coyotage, un autre défi

Dans la communauté Veracruz, les zapatistes se servent d’un entrepôt d’approvisionnement pour livrer des centaines de petites boutiques communautaires, zapatistes et non zapatistes. L’entrepôt Para todos todo ("tout pour tous") est utile pour que les responsables des boutiques des villages économisent le voyage pour s’approvisionner àMargaritas ou àComitan. Au vu du succès commercial du local, un autre entrepôt de ravitaillement s’est créé dans le village de Betania et un autre dans celui de Playa Azul. Ces entrepôts fournissent toute la zone et commercialisent huile, jambon, sel, sucre et aussi haricots, maïs et café des villages.

Durant trois ans et demi, les gains de l’entrepôt de Veracruz ont été utilisés pour appuyer économiquement les promoteurs de la santé qui travaillent àl’hôpital central. 100 641 pesos furent attribués àcette tâche. Les gains, explique le conseil, servirent aussi àpayer les voyages des conseils autonomes et d’autres déplacements de l’organisation. Au total, 116 614 pesos furent dépensés en aides diverses.

Dans ces mêmes entrepôts est commercialisé le maïs qu’achète le conseil de bon gouvernement, dans le cadre d’un projet qui prit corps afin de combattre les intermédiaires (coyotes), qui achètent le maïs àbas prix et le vendent ensuite plus cher. Le produit de la vente est pour le travail du conseil et des quatre communes autonomes de la région.

"Cette première année, nous avons acheté plus de 500 sacs de maïs, quelque chose comme 44 tonnes. Nous en avons vendu la moitié, et le reste, nous le conservons entreposé et nous le commercialisons, y compris jusqu’àla côte", signale Doroteo.

Dans l’espace du Caracol, juste en face du bureau du conseil, une grosse semi-remorque rouge attend, en stationnement. Il s’agit du Chompiras, un camion, récente acquisition que le conseil utilise pour la commercialisation de ses produits. Le Chompiras parcourt la forêt et voyage jusqu’àla côte et les Altos afin de distribuer les marchandises. Ils ont aussi un petit bus de voyageurs qui fait le trajet de Margaritas àSan Quintin, dont les premiers gains furent investis dans la création d’une boutique épicerie-bazar régionale.

"Les difficultés n’en finissent pas, c’est comme si nous n’y arrivions jamais... Bon mais àprésent nous avons même Internet et déjànous avons appris àl’utiliser pour pouvoir gérer directement notre communication. Ce que nous ressentons, surtout, c’est que nous avons une grande responsabilité. Parfois, nous avons l’impression que le monde va nous tomber dessus, parce que gouverner est difficile, surtout si on commande en obéissant, et nous n’avons pas de recours. Quelquefois, nous pensons que nous sommes comme drogués aux problèmes, il semblerait qu’ils nous aient pris en affection, mais ici nous allons apprendre àles résoudre", concluent les trois membres du conseil de bon gouvernement interviewés.

Caracol II Oventik

Nous sommes en plein été et l’aube et le crépuscule sur Oventik est baigné d’une froide et épaisse brume qui recouvre complètement le Caracol II de la zone de Los Altos. Un lieu de zapatistes tzotziles. Région rebelle de marginalisation et de pauvreté extrême. La plus visitée de tout le territoire zapatiste par les gens du monde entier. Durant la seule première année de gouvernement autonome, quatre mille quatre cent cinquante-huit hommes et femmes arrivèrent jusqu’ici, provenant de France, d’Argentine, de Grèce, des Etats-Unis, du Japon, d’Australie, de Slovénie et du Mexique, entre autres pays des cinq continents.

Ce n’est pas par hasard que le Caracol Resistencia y rebeldia por la humanidad ("Résistance et rébellion pour l’humanité") ait le plus grand nombre de visites. C’est le plus proche de la ville de San Cristobal de las Casas et on y arrive par une route goudronnée en àpeu près une heure. Mais ce n’est pas seulement la proximité qui attire ici la société civile nationale et internationale. C’est aussi le mysticisme que l’on rencontre dans cette zone, une présence indigène particulière, une rébellion qui apparaît sur chaque visage tzotzil...

Ce Caracol est celui qui a le plus grand nombre de constructions, sans doute est-ce le plus grand des cinq zones zapatistes. Il a une longue rue centrale où apparaissent de plus en plus de nouvelles constructions (coopératives, bureaux des communes autonomes et du conseil de bon gouvernement, clinique, auditorium, et dortoirs). La rue se termine par une esplanade plus vaste et circulaire où se trouvent le terrain de basket-ball et le premier collège d’enseignement secondaire de tous les peuples zapatistes, faisant partie de l’interminable dénomination de Système éducatif rebelle autonome zapatiste de libération nationale (SERAZLN).

Le premier collège d’enseignement secondaire zapatiste

Josué et Ofelia sont diplômés du SERAZLN et actuellement membres de sa coordination générale. Ils nous expliquent que l’éducation est une des demandes de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et c’est pourquoi dès 1994 "on a recherché la manière de l’organiser dans nos villages". Au début, signalent-ils, "nous convoquions les enseignants et enseignantes qui travaillaient dans les écoles officielles, dans le but des les inviter àparticiper avec nous àun autre type d’éducation. Plus de cent enseignants vinrent lors d’une réunion que nous avons tenue, mais on se rendit compte qu’il était difficile d’organiser le travail avec eux, non parce qu’ils ne voulaient pas participer, mais parce qu’ils étaient habitués àrecevoir un salaire."

"Devant ce problème, continue Josué, on a pensé àconvoquer les jeunes garçons et filles de la zone qui arrivèrent un 12 décembre 1998, ici, àOventik. C’était des étudiants et ils n’avaient pas encore l’habitude du travail salarié. Ils furent àpeine dix-neuf garçons et filles àse réunir, et convaincus de la nécessité de l’éducation, ils se préparèrent durant deux ans avant de rentrer au collège."

Finalement, en septembre 2000, les premiers cours d’enseignement secondaire autonome zapatiste commencèrent. Des hommes et des femmes de la société civile, que l’on nomme dans cette zone, des "accompagnateurs", ont soutenu le bon déroulement des cours. L’organisation des cours fut un travail collectif. Il y eut d’interminables réunions dans lesquelles participèrent des commissions de tous les villages qui analysèrent les besoins des communautés pour, àpartir de là, organiser les cours et les programmes d’études.

Au collège d’enseignement secondaire zapatiste de Los Altos, on étudie langage et communication, mathématiques, sciences sociales, sciences naturelles, humanisme, langue maternelle (tzotzil) et production. "Le cours d’humanisme, explique Josué, traite de la philosophie zapatiste. C’est làque se déroule la réflexion sur la lutte, car l’objectif principal que nous nous fixons est que les jeunes qui achèvent leurs études aient une vision différente de la vie. Pour qu’ils n’aient pas une vie individualiste, mais qu’ils travaillent en faveur du peuple et du collectif. Pour que les jeunes comprennent mieux notre lutte, pour qu’ils sachent qui nous domine et qui nous exploite."

"Après trois années d’études, nous expliquent les coordinateurs d’éducation, nous avons constaté une meilleure compréhension de la réalité dans laquelle nous vivons, et qu’une conscience se crée, que les étudiants sortent avec une mentalité différente. Il ne s’agit pas ici de convaincre du bien-fondé de la lutte, ce qui se passe, c’est qu’ici ils acquièrent plus d’éléments et d’outils pour connaître leurs droits et se défendre. L’éducation, sans aucun doute, nous motive pour la lutte et fortifie l’autonomie de nos peuples.

L’Église nous dit que nous sommes pauvres parce que Dieu nous a créés ainsi. L’éducation officielle nous dit que s’il y a des riches et des pauvres, nous, nous avons reçu la pauvreté. Mais ce n’est pas ainsi, et pour le comprendre, l’éducation est utile", affirme catégorique Josué.

Josué et Ofelia reconnaissent que malgré tous leurs efforts, ils n’ont pas assez de moyens pour que tous les peuples aient accès àl’éducation, "mais le rêve, expliquent-ils, c’est que tous les peuples aient la possibilité d’étudier, les indigènes et les non-indigènes, les zapatistes et les non-zapatistes. Nous avons tous droit àl’éducation."

Dans la zone zapatiste de Los Altos, quand les élèves terminent les cours d’enseignement secondaire, on leur demande, ce qui fait partie de leur diplôme, qu’ils décident comment ils peuvent aider leur village. Ils et elles choisissent de réaliser des tâches d’agriculture écologique, d’éducation primaire, de soutien aux centres de commercialisation, de travail dans les pharmacies, etc. Ils ont tous l’obligation et l’engagement de "partager avec le peuple ce qu’ils ont appris, sinon, la préparation n’a aucun intérêt".

Avec ces données, voilàdeux générations qui sont diplômées. La première avec vingt et un élèves, parmi lesquels seulement trois femmes ; et la deuxième avec dix-neuf élèves et seulement cinq femmes. Très peu de femmes en somme, mais même ainsi "c’est une petite avancée pour ces peuples pour lesquels la femme n’a pas eu le droit àl’éducation"

"Certains villages pensent encore que la femme n’est bonne qu’àse marier et nourrir les enfants. Qu’elle ne peut pas étudier ni travailler hors de la maison. C’est ainsi, mais peu àpeu la femme se réveille et nous voyons que nous avons le droit de partager d’autres expériences", affirme Ofelia, coordinatrice actuelle du SERAZLN.

Et c’est bien avec l’éducation que les femmes tzotziles s’ouvrent des espaces. Dans la matière humanisme, explique Ofelia, "nous voyons le droit des femmes et la nécessité d’en changer certaines coutumes. Ainsi, l’éducation sert aussi bien pour que les hommes et les femmes prennent conscience de l’importance du travail de la femme. Ceci n’est pas facile, car il faut changer beaucoup de choses que nous avons àl’esprit, mais c’est un début."

L’éducation autonome, poursuit-elle, "est àla base de la connaissance chez nos peuples, et c’est àpartir d’elle que nous pouvons faire changer la situation de la femme indigène, qui est capable d’accomplir n’importe quelle tâche et non plus seulement d’être maman et faire de l’artisanat".

Cette zone est la seule des cinq zones zapatistes qui a commencé àorganiser l’éducation au niveau secondaire (les quatre autres ont commencé par le primaire). L’explication est donnée par Josué : "D’abord, nous devions former les promoteurs et les maîtres de primaire. Maintenant, ce sont certains des diplômés du secondaire qui font les classes de primaire récemment créées."

Durant toutes ces années, les communes autonomes qui dessinent la zona de Los Altos (San Andrés Sacamch’en de los Pobres, San Juan de la Libertad, San Pedro Polhó, Santa Catarina, Magdalena de la Paz y San Juan Apóstol Cancuc) organisèrent l’éducation primaire de manière indépendante et avec différents projets. Depuis un an, àpartir de la création du conseil de bon gouvernement Corazon centrico de los zapatistas delante del mundo ("CÅ“ur central des zapatistes devant le monde"), les communes organisèrent un seul système éducatif dans toute la zone. Aujourd’hui, plus de cent promoteurs et promoteures donnent des cours dans autant de villages.

Le problème des écoles dans ces localités est différent de celui des autres zones, car ici beaucoup d’enseignants officiels ont abandonné les écoles et celles-ci furent remises en fonctionnement par les autorités autonomes. Bien d’autres ont été construites entre-temps et d’autres sont en attente de construction.

L’école secondaire a été construite grâce au projet nord-américain Des écoles pour le Chiapas, dirigé par Peter Brown. C’est un projet aux nombreux défis qui n’est pas exempt de problèmes car, par exemple, l’école fonctionnant en internat, il faut subvenir aux besoins alimentaires des élèves et il n’y a pas de moyens, pas plus que pour le matériel didactique, ou pour les équipements. Pour réduire ces carences, l’école secondaire dispose d’un Institut de langues et idiomes mayas, où l’on donne des cours de tzotzil en faisant payer aux étrangers une petite cotisation qui est utilisée pour l’alimentation des élèves, qui en plus coopèrent en versant cinq pesos (environ 0,40 euro) par mois et un kilo de haricots secs tous les quinze jours.

Nombreux sont les problèmes auxquels s’affronte un nouveau système éducatif, mais nombreuses aussi sont les satisfactions et "joies" qu’il donne. "Nous sommes très contents car la formation des étudiants des classes secondaires porte déjàses fruits dans les primaires, où ils enseignent, car l’éducation autonome zapatiste commence depuis en bas, car c’est pour tous nos peuples et parce que la situation n’est plus la même qu’avant", nous signalent Josué et Ofelia. Et ils vont plus loin : "L’éducation autonome doit être pour tous, pas seulement pour les indigènes et pas seulement pour les zapatistes." Et pas non plus seulement pour les enfants. C’est pour cela que, dans cette zone, opère déjàun système éducatif pour adultes.

L’objectif, expliquent-ils, "c’est de changer notre situation. L’obligation des peuples est de lutter pour changer, car nous ne pouvons pas attendre que quelqu’un vienne nous prendre en charge, et dans ce sens, l’éducation est l’arme la plus puissante des peuples." Et la santé ne l’est pas moins.

Plus de cent consultations journalières àLa Guadalupana

Anastasio, un vieux zapatiste tzotzil, est le coordinateur général de la santé àla clinique centrale La Guadalupana, une des premières organisées par l’EZLN, avant même le soulèvement armé. Anastasio garde en mémoire la date exacte du début de fonctionnement : 28 février 1992, avec huit promoteurs de santé.

Anastasio a tout juste le niveau de deuxième année d’école primaire et nous raconte que depuis plus de douze ans, le village l’a nommé pour se préparer au travail dans la santé. "Moi, dit-il, j’ai accepté pour la lutte, pour le peuple, donc." Aujourd’hui, il coordonne un des projets de santé les plus ambitieux de tout le territoire zapatiste.

Il ne reste rien de la petite clinique qui soignait les insurgés et les miliciens blessés durant la guerre. Au même endroit et utilisant l’édifice antérieur, se dresse une clinique-hôpital avec bloc opératoire, cabinet dentaire, laboratoire d’analyses médicales, un service d’ophtalmologie et un autre de gynécologie, un laboratoire d’herboristerie, une pharmacie, et des chambres d’hospitalisation. Tout cela aux soins des villages.

A La Guadalupana et dans deux autres centres de formation, un situé àMagdalena et l’autre àPolho, on forme plus de deux cents promoteurs de santé qui s’occupent de leurs communautés. Ni eux ni elles, comme tous les promoteurs zapatistes ne reçoivent aucune sorte de salaire, le village les aide pour leur alimentation et le prix du billet pour aller prendre des cours. Les promoteurs se forment en anatomie, physiologie, symptomatologie, diagnostic et traitement et, surtout, en médecine préventive, hygiène personnelle et collective et stages de vaccination.

Dans les hôpitaux du gouvernement aux alentours, nous raconte Anastasio, "ils ne reçoivent pas les malades graves, ils préfèrent qu’ils aillent mourir ailleurs. Nous, oui, nous les recevons, qu’ils soient zapatistes ou pas, et ce n’est que lorsque nous voyons que nous ne pouvons plus rien faire que nous les transportons où l’on peut s’occuper d’eux. Pour cela, il nous manque une ambulance."

La clinique est appuyée par des médecins et des auxiliaires qui les aident en chirurgie et dans la formation de promoteurs. Mais "quand personne ne vient nous aider, eh bien, il faut s’occuper des patients de toute façon. C’est pour cela que nous étudions les manuels et les livres de médecine, ceux que l’on trouve", dit Lucio, promoteur de santé qui, depuis huit ans, a laissé sa communauté, sa famille et sa terre pour travailler àtemps complet àla clinique.

"Avant, continue-t-il, nous n’avions rien et il y avait beaucoup de décès, la plupart àcause de maladies que l’on peut soigner si on les prend àtemps. Beaucoup d’enfants mouraient, et c’est pour cela que nous avons commencé àorganiser nous-mêmes la santé, car nous n’espérons pas que le gouvernement nous aide de lui-même."

Aujourd’hui, il y a une clinique dans chacune des huit communes autonomes de Los Altos, ainsi que plus de trois cents maisons de santé communautaires qui disposent d’une pharmacie de médicaments de base. La consultation est gratuite pour toutes les bases d’appuis de l’EZLN, et on demande une petite coopération àceux qui viennent d’autres organisations.

Anastasio raconte que, malheureusement, on ne peut faire que de la petite chirurgie, car il manque le matériel pour faire des interventions importantes. "Nous étudions comment résoudre ce problème, car nous manquons du strict nécessaire. Mais avec ce que nous avons, nous faisons ce que nous pouvons, il n’est pas question de ne rien faire parce que nous n’avons rien", dit-il.

Cette clinique, malgré ses carences, est une des mieux organisées et des mieux équipées de tout le territoire, et c’est ainsi que nous pouvons nous occuper des bases d’appui d’autres régions, soit de la forêt, soit du nord du Chiapas.

Des projets gouvernementaux de santé ont tenté de contrarier l’organisation de la santé autonome. C’est ainsi que làoù apparaît une clinique zapatiste, peu de temps après il en apparaît une du gouvernement. Anastasio explique : "Ils font cela pour faire pression pour que les gens aillent avec eux, mais les gens n’y vont pas car dans leurs cliniques, on les traite mal, on ne les respecte pas et on ne leur donne pas de médicaments, de plus, ils construisent les cliniques mais elles sont toujours fermées. Nous, par contre, nous travaillons vingt-quatre heures sur vingt-quatre et nous nous occupons de tous avec la même attention."

La tuberculose, les problèmes respiratoires, les rhumatismes, les infections de la peau, le paludisme et la typhoïde sont certaines des maladies de la pauvreté qui ravagent ces terres où les femmes souffrent encore d’avortement àcause de la malnutrition et du manque de contrôle prénatal. Même ainsi, explique le promoteur Lucio, "maintenant, les gens ne meurent pas si facilement. Nous avons sauvé beaucoup de vies, nous hospitalisons les malades graves, nous développons des campagnes de vaccination, nous formons nos promoteurs et ainsi, petit àpetit, nous avançons".

Café, miel, artisanat : commercialisation dans la résistance

Zone productrice de café, les communautés zapatistes de Los Altos ont organisé la commercialisation au travers de coopératives autonomes : Mut Vitz ("Montagne de l’oiseau", en tzotzil) et Ya’chil Xojobal Chu’lcha’n ("La nouvelle lumière du ciel").

Mut Vitz fonctionne depuis 1997 et compte 694 associés, tous bases d’appui des sept communes autonomes de la zone. La coopérative possède un certificat de café organique et des permis légaux pour l’exportation, ainsi transporte-t-elle le produit jusqu’au port de Veracruz et de là, il part pour l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, l’Espagne, la Suisse et l’Italie.

Malheureusement, expliquent les responsables, ils n’ont pu pénétrer le marché mexicain sauf l’Etat de Puebla. Ils n’ont pas de machines pour moudre ou torréfier le café et ils exportent le grain sans écorce.

La coopérative Ya’chil Xojobal Chu’lcha’n compte environs 900 associés (desquels 600 viennent de Polho). Ils ont àpeine commencé l’exportation du café et ils s’attachent àouvrir leur marché.

Les femmes travaillent également collectivement. Réputées dans le monde de la broderie et de l’artisanat, les femmes zapatistes tzotziles qui avant la guerre proposaient leur marchandises dans les rues racistes de San Cristobal de las Casas, aujourd’hui sont organisées en coopératives au travers desquelles elles produisent et commercialisent leurs produits. Les coopératives Xulum Chon et Mujeres pour la dignidad ("Femmes pour la dignité") proposent leurs broderies àun prix équitable, obtenant une part importante des revenus de l’économie familiale.

Polho : sept années hors de chez soi, ravagés par la violence

C’est dans cette zone que se trouve le centre de déplacés de Polho, où plus de neuf mille personnes qui fuirent la violence paramilitaire, survivent sans terre àcultiver, toujours insuffisamment fournis en médicaments et en nourriture. La Croix-Rouge internationale s’est retirée de cette zone, "car ici il n’y a pas de guerre et qu’en Irak il y a beaucoup de travail". Ici, le déplacement des populations a créé de nouvelles formes de résistance et d’autonomie. L’éducation et la santé s’organisent dans des situations spéciales tandis qu’apparaissent des coopératives et d’autres moyens pour subvenir aux nécessités.

Durant la première année de gouvernement, les autorités autonomes de cette zone employèrent deux millions et demi de pesos pour l’alimentation des déplacés de Polho, somme non négligeable, mais encore insuffisante pour subvenir aux besoins des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui depuis sept ans rêvent des conditions de sécurité qui permettraient leur retour.

Il n’est pas facile d’organiser l’autonomie, et encore moins dans les conditions de Polho, affirme le conseil de bon gouvernement interviewé quelques jours après son premier anniversaire.

Nous n’avons pas fait de campagne

Après un an de travail, affirment les membres du conseil, "nous voyons que nous avons les moyens de gouverner, de travailler, de voir et de connaître les problèmes. Nous avons appris àne pas répondre aux provocations, ni àcelles du gouvernement, ni àcelles des partis. L’expérience nous apprend que celui qui lève le premier la main perd par la voie politique. Nous avons l’idée de résister par la voie pacifique, mais nous savons aussi nous défendre."

Durant toute cette année, expliquent-ils, "ce que nous avons appris le plus, c’est ànégocier, nous avons appris àcoordonner le travail du conseil avec les communes autonomes. Nous reconnaissons que nous ne pourrions agir seuls, sans l’appui de la société civile nationale et internationale. Nous travaillons du lundi au dimanche durant les vingt-quatre heures de la journée et même ainsi, nous n’arrivons pas ànous occuper de tout, mais petit àpetit nous apprenons. Obéissant et accomplissant. Ce n’est pas facile. Pas du tout facile".

Et ils ajoutent : "Nous n’avons pas fait de campagne ni de propagande pour être conseil de bon gouvernement. Le peuple nous a élus comme des personnes honnêtes et maintenant nous avons l’engagement de remplir nos fonctions. Nous n’avons pas de mandat fixe, c’est-à-dire que si le peuple dit que nous ne sommes pas efficaces, eh bien, ils nous virent et ils en mettent d’autres ànotre place. Nous rêvons qu’un jour on reconnaisse notre droit, qu’il y ait un changement total, non pas seulement avec les indigènes, mais pour tous les pauvres du monde. Ceci n’est pas terminé. De-ci de-là, naissent d’autres hommes et femmes qui ne demandent pas la permission pour construire leur propre voie. C’est cela dont nous rêvons."

Caracol III La Garrucha

La technologie appliquée àla communication est arrivée dans la forêt Lacandone de la main des zapatistes. Dans toute la vallée de Patiwitz mais aussi sur le reste du territoire en résistance, le café Internet Cyberpozol, tenu par les bases d’appui, est le seul lieu où l’Internet soit accessible publiquement. On y trouve, outre l’accès àInternet, du café de la coopérative en résistance Smaliyel, la musique de la nouvelle et déjàabondante discographie zapatiste, des vidéos, des paliacates, de l’artisanat, de l’épicerie, de l’essence et de quoi manger.

La boutique-café-Internet-réfectoire Smaliyel se trouve dans le Caracol Resistencia hacia un nuevo amanecer ("Résistance vers un nouveau lever du jour"), dans la première zone rebelle ouverte aux journalistes en 1994. C’est d’ici que le monde entier a eu connaissance des peuples indiens qui s’étaient armés et insurgés, de leurs raisons et de leurs douleurs. Aujourd’hui, plus de dix ans après, le paysage est différent.

La première fois que nous, les journalistes, nous sommes arrivés àLa Garrucha, non seulement il n’y avait pas Internet mais il n’y avait même pas d’électricité. La clinique autonome n’existait pas, ni sa consultation dentaire, ni son laboratoire d’analyses cliniques, ni l’ambulance ; l’école ne fonctionnait pas et une bibliothèque était inimaginable, pas plus que l’église du village, la seule qui se trouve àl’intérieur d’un Caracol zapatiste. Après l’assassinat de Luis Donaldo Colosio, en 1994, le futur est devenu incertain, le territoire s’est fermé et, ensuite, les projecteurs des médias ont changé de vallée.

Miguel, petit garçon d’àpeine trois ans, déambule maintenant dans la boutique zapatiste et affirme que Spiderman "est un compa". Quand passe le convoi militaire quotidien, Miguel change d’identité et devient cet homme-araignée qui, caché derrière un bougainvillier, lance ses filets sur les soldats. Sa maman le gronde et lui, en pleurant, dit sans hésiter qu’il l’accusera devant le conseil de bon gouvernement.

Les patrouilles militaires que voit passer Miguel n’existent pas officiellement mais ici, en tout cas quand nous étions là, elles sont passées quatre fois par jour. Une file de camions pleins de soldats armés en position de combat constitue la routine de ces terres militarisées.

Moises, l’indigène tzeltal qui recevait la presse il y a plus de dix ans, est maintenant un vidéaste autonome. Avec une caméra mini-dv, il enregistre les images qu’il édite ensuite sur un Mac. Pour l’instant, il travaille àla phase finale d’un film vidéo sur les femmes zapatistes et il dispose déjàd’une maison en blocs et en ciment destinée àun projet général de moyens de communication.

Comme sur le reste du territoire en résistance, une campagne de vaccination se déroule ces jours-ci dans tous les villages. Les mamans défilent avec leurs enfants sur les bras dans la clinique autonome qui fonctionne depuis 1995.

La Croix-Rouge internationale, qui opérait dans la communauté de San Miguel depuis 1994, a abandonné la zone. "Ils disent qu’ici il n’y a pas de guerre, qu’il faut des morts pour qu’ils restent", accusent les bases d’appui. Auparavant, c’était l’organisme international qui s’occupait des campagnes de vaccination. Aujourd’hui, le responsable, c’est le gouvernement autonome zapatiste et la Croix-Rouge ne s’occupe que de quelques communautés.

Afin d’organiser le service de santé pour l’ensemble des bases d’appui, toutes les familles zapatistes de cette zone ont un papier ou une carte de santé qui les identifie dans leur résistance. En présentant ce document, elles ont gratuitement accès àla consultation et àla médecine.

Dans un petit laboratoire d’analyses cliniques fonctionnel, tenu par des promoteurs de santé spécialisés, on pratique des examens sanguins, d’urine, de selles et d’autres analyses basiques. "Ce que nous faisons le plus, ce sont des examens de grosse goutte, parce que dans cette région, il y a beaucoup de cas de paludisme et de tuberculose", affirme un des indigènes chargé du laboratoire.

La clinique peinte en rose mexicain, est recouverte de fresques qui évoquent la résistance. "Ici, nous semons avec le vent de l’espoir, de la vie et de la dignité", lit-on sur une fresque dont les figures principales sont évidemment un escargot et le visage de Zapata.

Récemment agrandi et repeint, le centre de santé autonome assure àpeu près trente consultations par jour. Les maladies parasitaires, le paludisme, les infections de la peau et la tuberculose sont quelques-uns des maux les plus fréquents de la forêt tseltale. Il y a aussi une consultation dentaire, une pharmacie et des chambres d’hospitalisation inaugurées depuis peu.

Comme dans toutes les cliniques zapatistes, les indigènes du PRI sont aussi reçus par les promoteurs autonomes. "Nous faisons payer 25 pesos aux priistes pour la consultation, médicaments et tout compris, c’est ce que cela nous coà»te", expliquent les responsables.

Les quatre communes autonomes de la forêt tzeltale sont Francisco Gómez, San Manuel, Francisco Villa (le seul nom qu’on trouve dans deux zones) et Ricardo Flores Magón. Le service de santé en résistance est présent dans chacun des quatre et, rien qu’àFrancisco Gómez, soixante-dix-huit promoteurs de santé soignent les maladies les plus courantes qu’on trouve dans ces villages.

Malgré les avancées, le conseil de bon gouvernement El Camino del futuro ("Le chemin du futur") reconnaît que la situation est loin d’être idéale. La commune Francisco Villa, par exemple, ne dispose pas de clinique et encore moins d’une pharmacie, et elle est dans l’ensemble beaucoup moins développée que la commune Ricardo Flores Magón. Le travail du conseil de bon gouvernement consiste précisément àéquilibrer le développement.

La clinique centrale de la zone est soutenue par une organisation italienne et Médecins sans frontières a procuré l’ambulance. Les promoteurs ne touchent pas un sou de salaire, ils sont juste aidés pour se nourrir. Souvent, affirment les autorités autonomes, les promoteurs ne peuvent pas assister aux cours par manque d’argent pour payer le transport : "Ils rendent un service àla communauté, mais nous pensons qu’ils ont besoin de plus de soutien pour faire leur travail."

Pour résoudre ce problème et d’autres, il existe un représentant de la santé dans chacune des quatre communes autonomes. Ils se réunissent tous les deux mois dans le but de coordonner le travail de toute la zone.

La véritable éducation

Malgré les retards dans la construction des écoles et dans la préparation des promoteurs, les quatre communes disposent d’une éducation autonome dans leurs villages. "Notre éducation, affirment les membres du conseil, vient de la pensée des villages. Rien ne vient de l’extérieur et elle n’a rien àvoir avec l’éducation officielle qui ne respecte pas l’indigène ni son histoire."

Les communautés de la forêt tzeltale disposent de deux centres de formation de promoteurs de l’éducation, dont un a été inauguré il y a peu dans la communauté La Couleuvre, ralliée àla commune autonome Ricardo Flores Magón et l’autre àLa Garrucha, qui appartient àla commune de Francisco Gómez.

Julio, membre du conseil autonome de Ricardo Flores Magón, explique le sens de l’éducation autonome zapatiste : "Nous cherchons àmettre en relation l’éducation avec les treize exigences de la lutte zapatiste. Ce n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui nous dit comment les mettre en relation. C’est nous qui vivons ici, qui souffrons, qui luttons ici. Alors c’est nous qui savons comment tout est lié. Le peuple a la connaissance, il sait beaucoup de choses et c’est làque nous repêchons les connaissances et les savoirs."

Un des objectifs principaux de l’éducation, explique un autre membre du conseil de bon gouvernement, est de fortifier l’identité indigène et de répondre aux besoins des villages : "Cela n’a pas de sens d’enseigner aux indigènes comment être indigène ; cela, on le sait déjà. Ce dont nous avons besoin c’est de connaître notre histoire, notre passé... C’est le but de la véritable éducation."

"Dans nos écoles, ajoute-t-il, on s’intéresse aussi àla situation nationale, àla situation de notre lutte, àla vie de nos villages. Ce qui est essentiel dans notre éducation, c’est de ne pas sortir de la politique ni du chemin de la lutte zapatiste, de respecter chaque communauté, sa langue et tout. Les promoteurs de notre éducation réfléchissent au problème du déplacement des villages des Montes Azules, àce que veut faire le gouvernement ; au plan Puebla-Panamá ; et aussi aux problèmes que posent les semences transgéniques, les maquiladoras, la contre-offensive politique du gouvernement, la résistance de nos peuples, les Accords de San Andrés, la guerre de basse intensité ou la manipulation du gouvernement, qui achète les peuples avec des programmes comme Procede, avec des déjeuners scolaires ou par des aides àl’agriculture. Nous examinons tout cela dans nos écoles autonomes."

Le promoteur ou la promotrice est choisi par le village, qui lui demande s’il veut bien faire ce qu’on attend de lui. "Il peut accepter, mais il peut aussi dire non, parce qu’il a un autre travail, comme d’autres responsabilités, parce que l’autonomie demande beaucoup de travail, pas seulement dans l’éducation", explique Hortensia, elle-même promotrice.

Il y a des promoteurs, explique-t-elle, "qui commencent ce travail sans savoir ni lire ni écrire. Ceux-làcommencent àpartir de rien... Certains ont commencé très jeunes comme promoteurs, ils ont grandi et appris ici et puis ils sont rentrés chez eux. Il y a aussi les volontaires, ceux qui ne sont pas élus par le village mais qui se présentent d’eux-mêmes. Il y en a qui ne savent rien, qui ne savent pas parler en castillan ni rien, ici ils apprennent tout."

Comme dans toutes les zones indigènes, zapatistes ou non, les femmes souffrent toujours du retard et de l’inégalité. La majorité des promoteurs et des élèves des écoles autonomes sont encore des hommes parce que, explique Hortensia, "cela coà»te de changer les choses. Dans nos villages, les femmes qui s’absentent de chez elles pour participer aux formations sont l’objet de moqueries et on se moque aussi des maris et des parents, en leur demandant pourquoi ils ont laissé faire leur fille, en leur disant qu’elle ne fait pas de bonnes choses ou en inventant d’autres sottises, parce que, selon la coutume, la femme ne quitte pas son village. Mais nous ne nous perdons pas le moral, même si on se moque de nous ou qu’on invente des mensonges. Comme promotrices, nous devons suivre le chemin. Nous devons donner plus envie de voir jusqu’où nous allons, puisque c’est vraiment notre droit. Si nous abandonnons notre travail, cela veut dire que la moquerie nous a vaincues".

"Les femmes, insiste-t-elle, sont les premières àdéfendre leur village quand l’armée arrive, ce sont les premières àfaire face, alors si elles sont capables de défendre, elles sont aussi capables d’étudier. Nous ne pouvons plus garder le silence parce que, comme ça, la situation ne change pas. Nous sommes ainsi en train de créer une éducation très différente."

Et c’est précisément une femme, appelée Rosalinda, qui a été chargée du discours politique du premier anniversaire de ce conseil de bon gouvernement : "Nous n’avons plus àdemander la permission pour nous gouverner. Nous avons vu que nous pouvons le faire nous-mêmes et nous avons beaucoup appris pendant cette première année de travail. Nous sommes là. Nous ne nous sommes pas vendus." Ce furent les paroles de la seule femme qui fasse partie du gouvernement autonome.

Location de bicyclettes et atelier de fabrication de chaussures

Une donation de bicyclettes est arrivée au Caracol Resistencia hacia un nuevo amanecer. Aujourd’hui, au bout du Caracol, un local autonome propose un service de location et de réparation de bicyclettes dont les bénéfices reviennent àla commune.

Il y a aussi un atelier de fabrication de chaussures, qui fonctionne depuis quelques années : l’Atelier libre de l’art de la chaussure Francisco Gómez. Sur les murs de l’atelier, on a peint une grande fresque de Zapata avec un livre ouvert où on peut lire : Imagination, créativité, informalité, improvisation...

Au fond du troisième Caracol de la résistance zapatiste, il y a un vieux moulin àcafé et, sur un côté, le campement pour la paix qui reçoit toute l’année des centaines de personnes venues du monde entier. Trois coopératives de femmes, un dortoir général, deux épiceries, la clinique, une école et une bibliothèque complètent les installations.

C’est ainsi que les zapatistes construisent leur autonomie. Ce processus, comme dit Julio, "vient de notre histoire, de nos propres coutumes, de notre système de justice, de nos cultures... Un processus qui est comme celui de marcher seul. Nous savons bien marcher, bien que nous nous trompions parfois ; mais ces erreurs viennent de nous, ce ne sont pas d’autres qui nous les imposent", conclut l’autorité autonome.

Caracol IV Morelia

Une allée de pins mène au quatrième Caracol zapatiste, situé dans la communauté Morelia, près d’Altamirano. C’est la région Tsots Choj ("tigre courageux", en tzeltal), région peuplée d’éleveurs et de paramilitaires, et c’est làque l’armée fédérale viola une femme indigène et c’est làaussi que, en 1994, trois miliciens de l’EZLN furent torturés et massacrés.

Le Caracol se situe àl’écart du village, dans une clairière au milieu des pins làoù fut édifié, en 1996, ce que l’on appelait alors l’Aguascalientes IV, un espace de rencontre politique et culturel. Aujourd’hui, ce lieu n’a plus rien àvoir avec celui d’alors : àl’entrée, un atelier de technologie, au centre un atelier de fabrication de chaussures et les dortoirs, plus loin l’auditorium et, sur le côté, le bureau du conseil de bon gouvernement avec sa connexion satellitaire àInternet.

Comme danstous les Caracoles zapatistes, les constructions en bois et en ciment sont couvertes de peintures murales aux images révolutionnaires. Sur les murs de l’un des dortoirs, on peut voir une peinture dédiée aux martyrs de Morelia, assassinés le 7 janvier 1994 lorsque, en plein conflit, les soldats de l’armée prirent le village d’assaut, firent sortir de chez eux les hommes qu’ils trouvaient, les rassemblèrent au centre du village, les torturèrent et leur donnèrent ensuite le coup de grâce. Cette histoire, bien qu’ancienne, est encore présente dans la mémoire de tous.

Aujourd’hui,l’ambianceestbien différente. Un groupe de Catalans du Collectif de solidarité avec la rébellion zapatiste est arrivé et, profitant de la présence des promoteursd’éducation, venus pour une formation en mathématiques, ils préparentun spectacle de marionnettes avec des chansons révolutionnaires et des contes pour enfants.

La construction la plus récente, c’est la cafétéria El Paliacate, située au fond du Caracol où l’on peut en plus de se restaurer trouver les dernières éditions locales de la région autonome. C’est d’ailleurs dans cette région que l’on a commencé àcréer des éditions qui donnaient la parole aux villages. Il y a quelques années, il s’agissait d’une petite revue qui envoyait ses reporters indigènes couvrir les manifs et les mobilisations zapatistes. Aujourd’hui, on publie, sous le nom d’Ediciones autónomas en rebeldía, un bulletin qui relate l’histoire du centro de comercio Nuevo Amanecer del arco iris et un autre qui parle de la lutte des femmes zapatistes, celles des villages et les insurgées.

Ici, on est fier du centro de comercio Nuevo Amanecer del arco iris. Il se trouve au carrefour de Cuxuljá, dans la communauté Moisés Gandhi, précisément àl’endroit qu’occupait avant l’une des sept positions militaires dont le retrait fut revendiqué par l’EZLN. Actuellement, "dans l’endroit même où nous avons lutté courageusement contre la présence militaire", s’élève le résultat de cet effort collectif qui a survécu malgré les menaces d’expulsion de la police de sécurité publique et le harcèlement des priistes et des partisans du PRD (Parti de la révolution démocratique). Cet espace représente les premiers travaux collectifs organisés par les sept communes autonomes de la région, avant même l’existence du conseil de bon gouvernement. Les sept communes sont : Primero de Enero, Olga Isabel, 17 de Noviembre, Ernesto Che Guevara, Vicente Guerrero, Miguel Hidalgo et Lucio Cabañas.

L’autre signe distinctif des communautés de la région c’est le travail des femmes. La désormais célèbre commandante Esther incarne le résultat de plus de dix années de travail politique dans ces villages où, en dépit d’une inégalité persistante, les avancées sont indéniables. Par exemple, ce conseil de bon gouvernement est le seul qui ait une femme au sein de chacun de ses conseils autonomes. Le conseil compte vingt-huit participants, vingt et un hommes et sept femmes, de sorte qu’àchaque réunion il y a toujours une femme qui représente àelle seule le quart du gouvernement autonome. C’est peu, mais en comparaison avec d’autres conseils, cela représente la plus forte participation des femmes dans le gouvernement.

Les femmes tzeltales, tzotziles et tojolabales des sept communes sont aussi des pionnières du travail collectif. Dans les villages se multiplient les collectifs pour les plantations, la couture et la broderie, la fabrication de bougies et de pain. "Les bénéfices de ce travail, explique Maria, sont très peu répartis individuellement, la plupart sont utilisés pour les biens communautaires."

La participation des femmes dans l’économie familiale les place dans des espaces nouveaux au sein de la communauté et elles gagnent ainsi le respect de leurs parents, de leurs époux, de leurs frères et de leurs fils.

Assise au milieu de six hommes dans le bureau du conseil de bon gouvernement, la seule femme de la réunion affirme : "Il faudrait davantage de participation. Certains hommes qui comprennent la lutte sont en train de découvrir que les femmes sont aussi capables que les hommes pour tout type de travail, mais ce n’est pas le cas de tous... Il y a beaucoup d’hommes qui ne laissent pas leur femme ou leur fille participer aux cours ou aux travaux en dehors du village. Dans les villages où les hommes ont une manière de penser bonne, les femmes font bien leur travail."

L’influence des femmes indigènes zapatistes qui s’engagent dans le travail est perceptible dans d’autres organisations. Maria raconte : "Dans mon village les hommes priistes ont commencé àlaisser sortir leur femme car elles faisaient valoir que nous, les femmes zapatistes, nous pouvions le faire. Ces femmes ont dit àleur mari qu’elles aussi pouvaient gagner de l’argent honnêtement et elles se sont mises àtravailler."

Education pour la paix et l’humanité

Pendant que je fais cette interview dans les bureaux du conseil, dehors une équipe de promoteurs d’éducation joue au basket contre une équipe de promotrices. L’inégalité des sexes dans le domaine de l’éducation se retrouve aussi au niveau des promoteurs, éducateurs ou délégués (on les appelle de ces trois manières) ; en revanche, dans les écoles des communautés il y a presque le même nombre de garçons et de filles. La plupart des instituteurs sont des hommes, mais le groupe d’élèves est équilibré. Les filles vont maintenant àl’école et on leur demande de moins en moins de rester àla maison pour garder leurs petits frères et sÅ“urs ou pour faire les tortillas.

L’éducation autonome fonctionne depuis 1995 et actuellement un total de 280 délégués d’éducation donnent des cours à2 500 élèves des sept communes. C’est également la seule région àposséder un centre de formation de promoteurs dans chaque commune autonome, au lieu de n’en avoir qu’un seul qui s’occupe de toute la région.

Ici, comme dans le reste du territoire zapatiste, les enfants n’apprennent pas seulement àlire et àécrire mais aussi, c’est le plus important, "àlutter, àdéfendre l’environnement, àrespecter la nature et àêtre fiers de leur culture". Les matières qui leur sont enseignées sont les suivantes : production, éducation politique, éducation artistique, culture, lecture et écriture, santé, éducation physique, mathématiques, histoire et langues (l’espagnol et leur langue maternelle). Ce programme a été élaboré au cours de dizaines de réunions de travail par 200 éducateurs indigènes des sept communes.

Un élément curieux qui montre comment fonctionne l’autogestion éducative est que pour s’inscrire àl’enseignement primaire chaque enfant doit apporter une poule et, grâce àce système, les promoteurs ont maintenant un élevage de poules qui produisent des Å“ufs pour l’alimentation des élèves. De même, chaque école primaire a été construite avec les moyens de la communauté, sans aide extérieure, de sorte qu’il y a des écoles primaires en parpaings et d’autres en bois. Les promoteurs travaillent aussi dans des maisons qui leur sont prêtées ou encore dehors, sous une bâche en plastique. L’école, disent-ils, "ce n’est pas un bâtiment".

Le programme éducatif de la région, comme tous les noms zapatistes porte un nom assez recherché : Organisation pour la nouvelle éducation autonome indigène pour la paix et l’humanité. Ni plus ni moins.

Le succès le plus récent en matière d’éducation c’est que cette année ont débuté les cours d’enseignement secondaire. Des cinq zones zapatistes, c’est la seule qui compte un niveau secondaire dans chacune de ses sept communes autonomes. La première génération d’enfants est déjàsortie du primaire et ils ont reçu des cours de mise àniveau pour accéder au niveau suivant. "Avant, avoir une école nous semblait impossible et maintenant, nous avons plus de cent écoles primaires et sept secondaires", déclarent les autorités autonomes.

Beaucoup de carences et la consultation gratuite

Les villages zapatistes de cette région utilisent de moins en moins les médicaments chimiques et encouragent àtravers des campagnes d’information l’usage d’infusions et de pommades élaborées avec des herbes et des plantes médicinales. La médecine naturelle prend de plus en plus d’importance et elle utilise des remèdes àbase de romarin, de camomille, de citronnelle et plein d’autres.

Un total de cent cinquante promoteurs de santé donnent des soins aux zapatistes et non-zapatistes dans une centaine de dispensaires communautaires, qui ont chacun deux armoires àpharmacie, l’une de médicaments pharmaceutiques, l’autre de remèdes naturels. "La médecine naturelle n’est pas payante, et les produits pharmaceutiques ne sont vendus qu’àprix coà»tant", expliquent les membres du conseil.

Il existe également sept cliniques municipales où la consultation est gratuite pour toutes les bases d’appui, comme dans tout le territoire en résistance. De plus, un laboratoire d’analyses cliniques a commencé àfonctionner grâce àdes promoteurs spécialisés.

Les manques sont énormes. Par exemple, il n’y a pas dans cette région de cabinet dentaire, ni de bloc opératoire, ni d’hôpital, ni d’ambulance. Lorsque quelqu’un tombe gravement malade, il doit être transféré àl’hôpital de San Carlos d’Altamirano, qui est dirigé par les religieuses qui, en 1994, avaient été menacées de mort par les caciques et les éleveurs locaux qui les accusaient du terrible délit de s’occuper de tous ceux qui arrivaient.

Malgré toutes ces insuffisances, les bases d’appui zapatistes apprécient àleur juste valeur les résultats obtenus car, disent-ils, "dans les cliniques de l’Etat, on nous donnait des médicaments périmés, on ne nous traitait pas avec respect et en plus on nous faisait payer la consultation et les médicaments àun tarif particulier".

De plus en plus, dans cette région, les indigènes priistes sont reçus dans les cliniques et les dispensaires autonomes et Hilario, priiste de la commune Miguel Hidalgo, reconnaît : "Il y a des fois où ils ne nous font même pas payer la consultation, il est vrai que nous non plus n’avons pas d’argent. Parfois, ils nous donnent des pommades et ils ne nous les font pas payer et je crois que c’est bien pour les urgences."

De son côté, le conseil signale : "On ne peut pas refuser ce service. La santé c’est pour tout le monde. L’argent que le gouvernement donne aux priistes, ils le dépensent pour se saouler et après ils n’ont plus rien, ni pour manger ni pour se soigner. Pour nous la santé c’est très important et eux, comme indigènes, ils ont aussi besoin de ce service."

Chaque commune autonome dispose d’une commission de santé chargée d’analyser la situation de toutes ses communautés. Avant l’existence des conseils de bon gouvernement, reconnaissent les autorités, "beaucoup de communautés n’avaient pas de dispensaire, mais maintenant il y en a partout. Nous avons un plan général de travail pour la santé et tous les trois mois les commissions se réunissent et font un état des lieux pour voir où il manque des armoires àpharmacie, pour étudier les maladies qui se manifestent et pour soutenir les initiatives".

Les promoteurs font des campagnes dans les villages environnants, pour la lutte contre les parasites, pour les vaccins, pour l’hygiène afin d’éviter certaines maladies. "C’est important d’éduquer le peuple sur l’origine des maladies, sinon nous allons passer notre temps àsoigner", remarque Daniel du conseil de bon gouvernement.

Fin de l’usage des insecticides et des engrais chimiques

La terre est l’une des choses qui préoccupent le plus les villages et on a donc commencé àorganiser la production, non sans difficultés. En ce moment, une commission de production travaille dans chaque commune, dans le but d’organiser des projets d’élevage et d’agriculture. On forme également des promoteurs aux techniques d’agriculture écologique et aux soins vétérinaires.

Par exemple, quelques paysans nettoient désormais les terres touchées par des épidémies "àcoups de machette", sans insecticides ni pesticides, et utilisent des engrais organiques et non chimiques.

Le conseil de bon gouvernement travaille depuis un an déjà, mais ici il y a bien plus longtemps que cela que le travail est collectif. Les zapatistes continuent àapprendre : "Nous continuons àapprendre ànous gouverner nous-mêmes et àrésoudre nos problèmes. Les villages apprennent àcommander et àsurveiller notre travail et nous, nous apprenons àobéir. Le peuple est sage et il sait quand on se trompe ou quand on sort de notre rôle. C’est comme ça que nous travaillons", concluent les autorités autonomes.

Caracol V Roberto Barrios

En plein Caracol, deux groupes de neuf singes hurleurs se disputent le territoire. Le spectacle attire l’attention des membres du conseil de bon gouvernement Nueva Semilla que va a producir ("Nouvelle graine qui va produire"), des personnes des campements pour la paix venues d’Argentine, de Barcelone et de France, d’une équipe d’indigènes chargés d’un projet de communication autonome et d’un groupe de Nord-Américains qui construisent des collèges zapatistes.

Au milieu de cette forêt toujours exubérante, les singes hurleurs viennent s’abreuver dans cet endroit situé tout près des belles cascades si convoitées par les investisseurs nationaux et étrangers, dans ces terres meurtries par le groupe paramilitaire le plus sanguinaire de tout le territoire zapatiste : Paz y Justicia.

L’espace destiné au Caracol, qui se trouve àenviron une heure de Palenque, est en construction permanente. La salle d’Internet est quasi prête, d’où la parole zapatiste s’envolera directement et où celle du monde entier sera reçue. La maison du conseil de bon gouvernement est déjàen place ; faite de ciment et de parpaings, elle est décorée avec d’énormes fresques zapatistes colorées.

Le Caracol Que habla para todos ("Qui parle pour tous"), de la zone Nord du Chiapas, comprend six communes autonomes déjàconstituées, plus trois autres qui vont bientôt être inaugurées. Dans cette région, la nature est généreuse "et c’est pour cela qu’il faut la défendre", affirme Pedro, membre du conseil de bon gouvernement, après avoir expliqué que l’autonomie des peuples commence par la protection de la terre.

Et justement, pour sauvegarder les ressources naturelles, les zapatistes ont mis en place un programme d’amélioration du sol, qui comprend, entre autres, l’élimination progressive de la technique de la culture sur brà»lis, l’utilisation d’engrais organiques et l’abandon des insecticides, afin de récupérer la fertilité des terres. "Ce n’est pas simple, car le gouvernement donne aux priistes des fertilisants, des herbicides et des insecticides, alors les gens continuent àmaltraiter la terre. Heureusement, les compas se sont rendu compte que l’on peut développer les cultures autrement sans diminuer la qualité", explique le représentant de l’autorité autonome.

Grâce aux campagnes d’amélioration de l’environnement, de plus en plus de zapatistes utilisent des insecticides biologiques car "il ne s’agit pas d’éliminer les insectes mais de les éloigner". Ainsi, ils utilisent de l’arnica, qui est àla fois insecticide et fertilisant, ils font des composts avec des engrais organiques et refusent, bien entendu, l’utilisation de graines transgéniques.

Les enfants n’ont jamais zéro

L’emploi de l’agriculture biologique n’est pas nouveau dans ces lieux, tout comme le système d’éducation autonome, qui a débuté il y a cinq ans "lorsqu’on a réalisé la nécessité pour les communautés de prendre en charge l’éducation. Les compas de la zone de La Realidad le faisaient déjà, alors nous nous sommes décidés aussi".

Ainsi ont commencé les cours des promoteurs d’éducation grâce au programme autonome Semillita del sol ("Petite graine de soleil"). Cinq années se sont écoulées depuis et quatre générations de promoteurs ont été formées. La graine s’est développée et maintenant des communautés de Huitiupan, Sabanilla et Tila y participent.

Grâce àl’éducation autonome, ajoute un autre membre du conseil, "les parents zapatistes ont une alternative àl’école gouvernementale. Beaucoup nous critiquent, en disant que nous ne faisons pas bien notre travail. Mais le fait est que nous avons 352 promoteurs d’éducation qui assurent les cours dans 159 écoles en résistance, dont 37 nouvellement créées, àquelque 4 000 enfants zapatistes."

Dans les écoles officielles, les cours sont uniquement en espagnol. Les zapatistes expliquent que là-bas, "les enfants apprennent àne plus être indigènes, alors que dans nos écoles, on est fier de soutenir notre identité". Voilàpourquoi, dans la zone Nord, les cours sont en espagnol, zoque, tseltal et chol, "et nous parlons de notre lutte pour que les enfants développent leurs idées".

Ici, "les enfants qui ne savent pas leur leçon n’ont pas zéro. Le groupe n’avance pas tant que tout le monde n’a pas compris. Personne ne redouble". De plus, àla fin des cours, les promoteurs indigènes organisent une série d’activités auxquelles les parents assistent, valorisant ainsi l’apprentissage des enfants, mais sans donner de notes.

Le processus éducatif dans cette région est de plus en plus indépendant. Les première et deuxième générations de promoteurs ont été formées par des membres de la société civile, alors que les troisième et quatrième générations l’ont été par les générations précédentes, sans intervention extérieure. Sur le plan de l’éducation, les zapatistes font de moins en moins appel àl’aide extérieure, même si cette dernière est toujours demandée pour l’élaboration de matériels didactiques. En outre, l’alimentation des promoteurs pendant la période des cours ne dépend plus des projets, elle est désormais prise en charge par les communautés.

Actuellement, il existe deux centres de formation des promoteurs : l’un àRoberto Barrios et l’autre àAk’abal Na. Les matières enseignées dans le primaire sont : mathématiques, langues, histoire, vie et environnement, et intégration, où toutes les connaissances sont reliées aux demandes zapatistes.

L’histoire que les enfants apprennent n’est pas celle des livres scolaires officiels, mais celle de leurs propres communautés et de leur lutte. Les promoteurs et les enfants vont chercher leur histoire dans leurs communautés. Grâce àun axe temporel, ils suivent les diverses histoires dans les écoles en résistance. Selon un promoteur, "les enfants questionnent les anciens des communautés et ensemble ils construisent leur propre matériel didactique".

Le défi au niveau de l’éducation est maintenant de relier tous les projets. Ainsi, des cours de santé et d’agriculture biologique pourraient être donnés dans les écoles. Dans la commune autonome Benito Juárez, par exemple, les enfants sèment, tout en protégeant l’environnement, et réfléchissent àdes questions d’hygiène et de prévention des maladies. Les promoteurs partent aussi explorer la montagne et la rivière avec les enfants, qui apprennent àrespecter l’environnement.

Les autorités autonomes parlent avec fierté d’un projet d’école secondaire (le bâtiment a déjàété construit, juste derrière le bureau du conseil de bon gouvernement), où il y aura les mêmes cours qu’en primaire plus un cours de culture. En fait, plutôt que d’une école secondaire, il s’agit d’un centre culturel d’éducation technologique autonome zapatiste.

D’après les responsables, l’objectif de ce centre serait de s’adapter àla réalité indigène, car "il ne faut pas étudier pour cesser d’être indigène, mais pour rester des indigènes et avoir plus d’idées". Ensuite, "il restera àréaliser le rêve d’une université zapatiste. Avant, tout cela était aussi un rêve et, regardez, le rêve est devenu réalité."

Voici les six communes autonomes de cette région : El Trabajo, Ak’abal Na, Benito Juárez, Francisco Villa, La Paz et Vicente Guerrero. Trois autres communes, organisées d’une manière autonome et sur le point d’être formellement déclarées, ainsi que d’autres communautés isolées, participent au processus. Dans toute la zone, un million six cents mille pesos a été apporté et un million de pesos est sorti. Très peu, si l’on prend en compte l’étendue du territoire et l’ensemble des carences. Mais, c’est une somme importante si l’on considère que tout profite àtous.

L’aide de La Garriga, une petite ville prospère de Catalogne, a été décisive. Elle est jumelée avec El Trabajo depuis longtemps et travaille actuellement avec les autorités du gouvernement autonome dans des projets d’éducation, de santé et d’agriculture biologique dans d’autres communautés de la zone.

La santé... il reste encore beaucoup àfaire

La santé est un des aspects les plus problématiques ici, ainsi que le soulignent les zapatistes : "Nous sommes àpeine en train d’organiser ce service au niveau des communautés et des régions. La santé est une urgence dans les communautés en résistance. Tout s’organise dans les villages pour pouvoir bénéficier de notre propre système de santé communautaire et autonome."

Depuis un an déjà, au moment de l’inauguration des Caracoles et de la prise en fonction des conseils de bon gouvernement, "les centres de santé du gouvernement officiel ont intensifié le harcèlement envers nos bases d’appui, leur posant beaucoup de questions sans leur donner de bons soins. Voilàpourquoi les gens avaient même peur d’aller dans les cliniques officielles", affirment les responsables du gouvernement autonome, qui élaborent en coordination avec les villages un plan de prévention sanitaire.

Dans cette zone Nord, un petit groupe de femmes physiothérapeutes, provenant de la Catalogne, réalise un travail considérable : elles proposent, dans une petite salle prévue àcet effet, des massages qui soulagent certaines maladies, sans avoir recours aux médicaments. L’échange culturel lors de ces massages est étonnant, car ni les hommes ni les femmes indigènes des villages ne sont habitués àce qu’on les "touche" àdes fins thérapeutiques, et encore moins en étant entièrement dénudés. Ces jeunes femmes, professionnelles et enthousiastes, passent de village en village, offrant des massages et des cours pour que d’autres reprennent ces pratiques quand elles partiront.

Il y a quelques mois encore, le travail lié àla santé "était très inégal" dans les villages. Chaque commune se chargeait de ses besoins séparément. Certains villages n’avaient rien, ni maison de santé ni promoteurs. Aujourd’hui, chacune des six communes déclarées compte une clinique et des cours pour les promoteurs pour prendre soin de toutes les communautés. Comme dans les quatre autres Caracoles du territoire zapatiste, des cours de médecine àbase de plantes et d’allopathie sont assurés.

Les cliniques autonomes, comme dans la plupart des centres sanitaires communautaires, n’ont ni docteur ni infirmière. Il y a cependant des promoteurs de santé des villages qui mènent aussi les campagnes de vaccination et de médecine préventive. La commune autonome El Trabajo est la seule qui a actuellement un docteur dans la clinique de Roberto Barrios. Il s’agit d’un étudiant de médecine qui fait son stage de titularisation. Les 35 promoteurs de santé d’El Trabajo et les 41 de Benito Juárez soignent actuellement les maladies parasitaires et respiratoires, les infections de la peau et la fièvre, entre autres. Par ailleurs, dans la commune de Francisco Villa, les promoteurs travaillent sur un projet de plantes médicinales ; dans les autres communes, un diagnostic de la situation sanitaire est en train d’être mené.

En même temps, des campagnes de nettoyage des lettrines, de maintien des animaux hors des maisons, d’hygiène individuelle et communautaire sont réalisées. "Tout cela demande du travail, mais les camarades tiennent bon", affirme un promoteur de santé.

Des vidéastes autonomes

Moy, jeune zapatiste de la région, travaille dans un système de moyens de communication autonome qui inclut une station de radio régionale, la réalisation de vidéos sur l’histoire, les fêtes et traditions des communautés, et des témoignages de violation des droits de l’homme. Ainsi, la vidéo La Guerre de la peur : Paz y Justicia, qui narre la violence du groupe paramilitaire responsable de massacres et de différents crimes dans la zone Nord du Chiapas, est née de ce travail.

Rosaura est animatrice àla seule station de radio communale gérée par des bases d’appui (Radio Insurgentes, commandée par des insurgés et non par des villageois). C’est une radio locale qui avait reçu au début le nom de Radio Résistante et qui est écoutée dans un petit périmètre, en attendant l’installation d’un émetteur plus puissant.

On peut y écouter des contes pour enfants, des annonces de campagnes de santé, des interviews de femmes travaillant dans des coopératives et des nouvelles locales, lorsque l’émetteur fonctionne grâce àun groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes des communautés.

Les femmes de la zone Nord

Devant l’entrée principale du Caracol se trouve le campement pour la paix où des dizaines d’hommes et de femmes de diverses nationalités accompagnent la communauté Roberto Barrios, harcelée en permanence. A côté du campement, une construction multicolore : c’est làqu’un groupe de femmes multicolores elles aussi brodent des blouses et des espoirs.

La première coopérative est née indirectement àcause du harcèlement des paramilitaires. A certains moments, les hommes devaient cesser le travail pour venir protéger le Caracol (àl’époque appelé Aguascalientes) et donc l’économie familiale s’est réduite.

Les femmes se sont alors organisées et ont commencé un projet qui leur a permis depuis de "subvenir aux besoins de leur famille".

Au fur et àmesure des années, le travail dans les coopératives s’est considérablement développé et, maintenant, différents projets sont dirigés par des femmes, comme un élevage de porcs et de poulets, une boulangerie, des petites épiceries, des coopératives artisanales, des ateliers de couture et des potagers. La commune Benito Juárez est celle qui a impulsé le plus les groupements collectifs, avec àla tête 33 femmes.

Il reste néanmoins des choses àfaire. Le conseil de bon gouvernement reconnaît qu’il reste encore àéquilibrer le travail entre hommes et femmes ; qu’en matière de santé, les objectifs ne sont pas atteints ; que tous les villages n’appliquent pas les normes de l’agriculture biologique, bien que 54 promoteurs aient été formés ; que le collège ne fonctionne pas encore ; que les paramilitaires de Paz y Justicia continuent àsévir ; que la commission fédérale d’électricité leur coupe la lumière ; qu’il n’y a pas d’argent... "Il nous reste encore du travail, et quelquefois la tâche nous semble immense, mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Rien n’est plus comme avant", racontent Pedro, Soledad, Leonel, Concepción, Walter, Sofía, Rodolfo et Enrique, l’équipe complète du conseil de bon gouvernement.

Notes :

[1Epis de maïs doux.

[2Après la récolte du maïs doux, arrive le moment où l’on "plie" les tiges encore sur pied. On casse le haut de la plante pour que la partie qui porte l’épi s’incline vers la terre, ce qui lui permet de mà»rir et sécher, toujours sur pied dans la milpa (le champ), sans pourrir sous la pluie.

[3Partisan du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) au pouvoir au Mexique pendant plus de 70 ans avant d’être battu, en 2000, par le PAN (Parti d’action nationale).

[4Environ 1 euro.

Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), supplément ’Masiosare’, México, 19 septembre 2004 & Rebeldia (http://www.revistarebeldia.org), n°23, septembre 2004.

Traduction : Martine, Chantal, Christine, Antoine, Michelle et Julio, pour le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (http://cspcl.ouvaton.org/).

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