Dix ans de mouvement piquetero : le changement social en marche
par Raúl Zibechi
Article publié le 9 septembre 2005

Quand un mouvement social atteint dix ans d’existence, le recul est suffisant pour évaluer son impact sur la société. Dans le cas du mouvement piquetero [1] en Argentine, on peut certifier qu’il est devenu un nouveau sujet social.

« Maintenant, le climat est différent, aujourd’hui on insulte les piqueteros, mais il y a seulement deux ans, on les applaudissait. Nous étions mieux préparés àla répression qu’àaffronter une politique comme celle de Kirchner  », constate Alberto Spagnolo, ancien prêtre et un des referentes [2] du Movimiento de Trabajadores Desocupados (MTD - Mouvement des travailleurs sans emploi) de Solano, au cours d’une récente rencontre entre intellectuels et mouvements sociaux qui s’est tenue en juin dernier àBuenos Aires. La réflexion du referente de Solano (beaucoup de groupes rejettent le mot dirigeant et utilisent plutôt « referente  ») atteste du fait que le président Néstor Kirchner a planté un décor qui pose de nouveaux défis àun mouvement actuellement divisé. « Parmi nous, il y a eu très peu de réflexion sur la manière de faire face àla nouvelle situation. Mais les gens commencent àvoir les choses différemment, sans autant d’enthousiasme. Ils nous disent maintenant que chez eux ils ont un peu plus de polenta [3] et de riz mais qu’en réalité rien n’a changé.  »

L’opinion majoritaire est que le mouvement piquetero va se perpétuer, car il est l’un des plus importants sujets sociaux que la société argentine devra prendre en compte. Jusqu’il y a quelque temps, surtout dans la première année de gouvernement de Kirchner (qui est devenu président de la République le 25 mai 2003), certains analystes croyaient qu’une réduction drastique du chômage pourrait provoquer la fin du mouvement. Néanmoins, ces six dernières années, le mouvement piquetero a surpassé le mouvement syndical tant par le nombre de conflits auquel il a pris part qu’en termes de capacité àarticuler la protestation sociale.

Des premiers pas au mouvement de masse

Au milieu des années 1990, quand la bulle spéculative et consumériste provoquée par les privatisations du gouvernement de Carlos Menem [4] commença àse dégonfler et que le chômage augmentait sans cesse jusqu’àatteindre les 18,5% en juillet 1995, il existait déjàune grande quantité de groupes de base, dispersés, qui travaillaient sur les questions sociales les plus diverses. Ces groupes étaient un nouvel acteur social étranger aux partis politiques, aux syndicats, aux églises et àl’État, mais étroitement lié aux besoins quotidiens de la population dans les quartiers où ils intervenaient. Les syndicats et les partis organisaient les travailleurs « actifs  » [du secteur formel], mais personne ne prenait en charge les chômeurs, en particulier les jeunes et les femmes. C’est pourquoi ils durent s’organiser de manière autonome, inventant même de nouveaux mots, comme « auto-organisation  » ou « auto-convoqués  », pour parler de ce qu’ils faisaient. Il s’agissait de collectifs de radios communautaires, de groupes culturels (théâtre, communication, carnaval), de soutien aux enfants, de droits de l’homme, pour le logement, de femmes, d’éducation populaire et bien d’autres encore.

Au sein de cette énorme variété de groupes, qui était le reflet d’un nouvel activisme de base et d’une effervescence sociale intense, quelques collectifs de chômeurs commencèrent àapparaître vers le milieu de l’année 1995. Les premières actions ne furent pas les blocages de routes mais des soupes populaires pour répondre au besoin le plus basique, manger, alors que le chômage atteignait 50% dans les quartiers populaires. Les gens avaient l’impression que, tout d’un coup, on leur coupait l’accès au travail, que les usines commençaient àfermer en masse, que les hommes de 40-50 ans se retrouvaient àla rue et que leurs enfants ne pouvaient même plus accéder aux postes d’apprentis avec lesquels ils avaient l’habitude de commencer leurs propres carrières professionnelles. Ce furent d’abord les soupes populaires, ensuite les manifestations, toujours par petits groupes d’habitants. Les barrages arriveraient plus tard : en 1996 en province, en 1997 àBuenos Aires.

On dit qu’une province du Sud, Neuquén, fut le berceau du mouvement. Au début des années 90, la privatisation de l’entreprise pétrolière publique, YPF [5], l’employeur principal de la province, servit de détonateur. C’est dès la fin de 1994 qu’eut lieu le premier barrage routier dans le village de Senillosa où sont nées les premières « commissions de chômeurs  ». En général, il s’agissait d’hommes qui ne se reconnaissaient pas comme chômeurs et qui se définissaient comme « ex ouvriers de...  », dans ce cas-ci, de la construction. En aoà»t 1995, le gouvernement de la province approuva la première loi (loi 2.128) qui accordait une allocation de 200 pesos mensuels (200 dollars àl’époque) pour tout chef de famille au chômage. Comme les versements n’arrivaient pas, la mairie fut occupée jusqu’àce que les fonds soient libérés (Oviedo, 2001). C’est àpartir de làque se stabilisa la Coordinadora de Desocupados de Neuquén (Coordination de chômeurs), qui cherchait àaugmenter le nombre de ceux qui pourraient bénéficier de la loi et àaugmenter le montant des allocations.

Simultanément, àBuenos Aires (dans sa banlieue), le mouvement faisait ses premiers pas. À Bahía Blanca, en septembre 1995, les premiers « planes de empleo  » (nom donné aux allocations) furent obtenus grâce àun sit-in de 800 chômeurs qui s’installèrent pendant une semaine devant la mairie. À La Matanza, se souvient Toty Flores, tout commença au milieu de cette année, lorsque des groupes d’habitants se réunirent pour dénoncer les factures d’électricité très élevées qu’ils recevaient (l’entreprise publique avait été privatisée). Ils avaient très peur de la répression (la dictature avait fait 30.000 disparus) et éprouvaient surtout un sentiment de culpabilité parce qu’ils n’avaient pas de travail. Cela les amena àde longues et dures discussions. « Les partis politiques de gauche nous considéraient comme le "lumpen" et ils nous disaient d’aller travailler àl’usine. Mais évidemment, les usines n’existaient déjàplus.  » [6]

C’est le 1er mai 1996 que les premières commissions de chômeurs réalisèrent une action sur la place de Mai [7], en réponse àla convocation des groupes de La Matanza, Solano, San Martín, Avellaneda et La Plata. Deux mille personnes y participèrent et une messe Å“cuménique fut célébrée. C’est de làque sont issus les premiers MTD, qui réclamaient des sacs de nourriture et des allocations. « Le MTD apparut spontanément comme une forme de solidarité entre habitants qui partageaient un même problème  », se rappelle Toty Flores. Dans certains quartiers, comme La Matanza, ce fut l’impossibilité de payer l’électricité ; dans d’autres, ce fut quelque escroquerie des entreprises privées ou quelque abus de la municipalité ; dans presque tous les quartiers, la faim les poussa àmettre en place des soupes populaires auxquelles assistaient pas moins de cent habitants en moyenne. Pendant les hivers 1995 et 1996, il y eut des milliers de soupes distribuées dans les principales villes argentines.

Les premières grandes actions publiques du mouvement furent les « puebladas  » [8] de 1996 et 1997, surtout àCutral Co (au sud, àNeuquén) et àGeneral Mosconi (au nord, àSalta). Ces deux populations avaient souffert de la privatisation de YPF qui était leur principale source de travail. En juin 1996, àCutral Co, des milliers de chômeurs barrèrent la route pendant une semaine, repoussèrent les attaques de la gendarmerie et obligèrent le gouverneur de la province à« descendre  » jusqu’aux barricades pour négocier. Les revendications principales des chômeurs furent satisfaites : le rétablissement de l’électricité et du gaz pour ceux qui en avaient été privés parce qu’ils ne pouvaient pas payer, et le versement de centaines d’allocations. L’événement eu un impact national. Il représentait de fait l’irruption des chômeurs sur la scène publique, et contribua àrelever l’estime de soi des millions d’Argentins sans emploi.

Comme le gouvernement ne respecta pas les accords, en mars de l’année suivante, la mobilisation fut bien plus forte. Une grève paralysa la province de Neuquén, les ponts furent occupés ainsi que l’aéroport, et les accès àYPF furent barrés. La gendarmerie mit trois jours àdégager les routes, et ce àun prix très élevé : elle affronta très violemment quelques 15.000 personnes (Cutral Co compte 33.000 habitants) et provoqua la mort de la chômeuse Teresa Rodríguez, qui allait bientôt devenir un symbole national. La répression ne fut pas efficace : elle provoqua la réaction massive de la population qui finit par expulser les gendarmes et se retrouva maîtresse de la ville.

Ces faits se répétèrent, àquelques détails près, àMosconi en mai de cette année clé que fut 1997, et très peu de temps après, àCruz del Eje (Córdoba) et àJujuy. Les grands « piquetes  » commencèrent àBuenos Aires, ce qui donna au mouvement une ampleur sans précédent. Pendant une semaine, début novembre 2001, des milliers de personnes barrèrent les routes de la capitale, obtenant des milliers d’allocations, administrées cette fois par les groupes eux-mêmes et non plus par les municipalités. La vague du mouvement piquetero ne s’arrêta pas, elle s’étendit et grossit sans arrêt jusqu’àse convertir, le 19 et 20 décembre 2001 [9], en une explosion nationale, chassant le Président Fernando de la Rúa [10]. En chemin, elle laissa des dizaines de morts et quelque quatre mille poursuivis par la justice.

Le mouvement piquetero passa en quelques années des marges au centre de la scène sociale et politique. Il dépassa le mouvement syndical en devenant le mouvement argentin le plus important. Alors que les grèves (la forme principale de lutte des syndicats) déclinaient depuis 1989, les piquetes firent irruption en 1997 et atteignirent leur apogée en 2002. Bien que leur nombre ait diminué, ils continuent àoccuper une place importante. En 1998, il y eut 949 grèves et conflits de travail. Ils baissèrent jusqu’à125 en 1997, puis remontèrent légèrement pour redescendre à123 grèves en 2003, bien qu’en 2004 leur nombre s’éleva à226. A la même période, les piquetes passèrent de 140 en 1997 à51 en 1998, ils atteignirent le chiffre de 252 en 1999, de 514 en 2000 et montèrent à1.383 en 2001, l’année de la chute du président Fernando de la Rua. L’année suivante, ils atteignirent leur maximum historique avec 2.336 barrages routiers, pour descendre de façon drastique pendant la première année de gouvernement Kirchner à1.278 et à1.181 en 2004 [11]. Malgré ce déclin, le blocage de routes continue àêtre la forme principale de protestation sociale.

De l’éclatement àla coordination

Comme cela a été le cas dans le monde entier pour les groupes de femmes, les chômeurs durent expliquer et s’expliquer àeux-mêmes, au début, pourquoi ils s’organisaient àl’écart des autres travailleurs. Pour la culture politique hégémonique d’un pays de longue tradition syndicale comme l’Argentine, le chômage était une situation transitoire. L’idée d’un chômage structurel et permanent, qui concernait, de plus, la moitié de la population en âge de travailler, était quelque chose d’impensable dans un pays qui avait été une des nations les plus industrialisées du monde. Mais la réalité disait tout le contraire : en Amérique latine, le nombre de chômeurs et de travailleurs précaires (dans le secteur informel, àtemps partiel, indépendants, etc.) est supérieur depuis déjàvingt ans à50% de la population active, et dans plusieurs pays, il est près de 80%. Les nouveaux chômeurs des années 90 ont dà» accepter que l’emploi stable, avec des droits sociaux garantis et un salaire négocié, était devenu une exception réservée àune minorité des travailleurs.

Comme cela arrive àtous les groupes subalternes, ils durent passer outre leur sentiment de culpabilité. Juan Carlos Alderete, de la Corriente Clasista y Combativa (CCC), se rappelle qu’en 1996, les chômeurs vivaient leur situation « en silence, en ayant honte de dire qu’ils étaient au chômage, en ayant honte quand on venait leur couper l’électricité parce qu’ils ne pouvaient pas payer.  » [12]. De son côté, Toty Flores s’en souvient ainsi :

« Un des premiers problèmes qu’ont dà» affronter les chômeurs qui désiraient dépasser leur condition d’exclus, ce fut la culpabilité. Coupables d’être restés sans travail, parce qu’ils étaient vieux, parce qu’ils étaient jeunes et sans expérience, parce qu’ils étaient des femmes, parce qu’ils étaient étrangers, parce qu’ils n‘avaient pas fait assez d’études... C’était la culpabilité qui les empêchait de s’organiser les uns et les autres pour trouver, ensemble, une solution aux problèmes. C’était la culpabilité qui faisait qu’il était difficile de percevoir le chômage comme un problème social.  » [13]

Seul le fait d’avoir ouvertement débattu sur ces sujets dans les réunions collectives, d’avoir pu mettre en commun le problème de la perte de l’estime de soi, a permis de poser les bases pour dépasser cette culpabilité. Mais cela commença bientôt àdiviser les différents courants du mouvement.

L’univers piquetero est complexe, contradictoire, et c’est surtout un magma en reconfiguration permanente, bien que, ces dernières années, il se soit stabilisé. Plusieurs courants ou tendances peuvent être distingués au sein du mouvement. D’une part, quand un mouvement s’installe dans une société, différentes franges apparaissent, des plus institutionnelles aux plus autonomes. Dans le cas piquetero, il y a un fort courant « syndical  » qui considère le mouvement comme un « bras  » du syndicalisme. La Federación de Tierra y Vivienda (FTV) est la fédération de chômeurs de la centrale syndicale Central de los Trabajadores Argentinos (CTA), tandis que la Corriente Clasista y Combativa (CCC - organisée également comme un syndicat) a une section de chômeurs ou de piqueteros. Ce sont les groupes les plus importants en nombre, qui sont structurés au niveau national et provincial, et utilisent, comme les syndicats, le terme d’« affilié  ».

Viennent ensuite les profils politiques. La FTV et Barrios de Pie (Quartiers debout) sont proches du gouvernement de Kirchner, ils ont une certaine teinte péroniste. La CCC, de tendance maoïste, fut proche du parti au pouvoir mais elle est passée, ces dernières années, dans l’opposition. D’un autre côté, on trouve une grande quantité de groupes de taille moyenne liés àdes partis de gauche, soit trotskistes (Polo Obrero, Movimiento Socialista de los Trabajadores) soit communistes (Movimiento Territorial de Liberación), ainsi que beaucoup de petits groupes, certains implantés au niveau local, opposés au gouvernement actuel. Il y en a certains qui commencèrent en étant autonomes et passèrent ensuite des alliances politiques, comme le Frente Darío Santillán qui regroupe une partie de ce qui a été la Coordinadora Aníbal Verón. Enfin, il y a les groupes autonomes (les MTD de Solano et de La Matanza, le Movimiento Teresa Rodríguez) qui prétendent rompre leur relation de dépendance avec l’Etat et procurer du travail, au-delàdes allocations, comme le MTD Aníbal Verón.

Un troisième aspect majeur qui différencie les groupes piqueteros est leur attitude envers les « planes  » ou allocations. L’État octroie quelque deux millions d’allocations mensuelles de 150 pesos, en plus d’un soutien aux initiatives les plus diverses. Un peu plus de 10% des allocations sont gérés par des centaines de groupes de chômeurs, grâce àla pression qu’ils exercent depuis 1997 pour les soustraire àla gestion clientéliste des municipalités. Il y a des groupes qui prétendent juste utiliser les allocations pour la survie en attendant que la crise soit passée et qu’apparaissent de nouveaux emplois stables. À l’extrême opposé, les autonomes sont en train de créer, dans leurs quartiers, des formes de travail indépendantes sans pour autant renoncer aux allocations, mais tout en cherchant des alternatives de production qu’ils conçoivent eux-mêmes.

D’autre part, le blocage de routes comme méthode de lutte a acquis une légitimité dans la société et est maintenant une forme d’action sociale habituelle employée non seulement par les piqueteros mais aussi par les syndicats et par tout collectif en lutte. Les derniers conflits du travail montrent comment le syndicalisme a adopté des formes de lutte issues d’autres secteurs, comme les blocages de routes et les escraches [14]. En décembre, dans le cadre d’un conflit salarial, les syndicats des entreprises privatisées de téléphonie (Telefónica et Telecom) ont occupé des bâtiments, ont organisé des piquetes et des escraches festifs devant les maisons des présidents des entreprises [15]. Début juin, au cours d’une lutte salariale, quelque mille ouvriers de la métallurgie ont coupé pendant trois heures l’autoroute Panamericana, la voie d’accès àBuenos Aires, provoquant ainsi des embouteillages gigantesques [16]. Fin juin, les employés municipaux de Caleta Olivia, village pétrolier du sud, ont bloqué les routes pendant des heures pour réclamer des augmentations salariales. C’est aussi ce qu’ont fait les étudiants du secondaire pour exiger que les bâtiments soient restaurés.

Ce sont àpeine une poignée d’exemples qui montrent que le piquete n’est plus l’apanage des seuls piqueteros. Mais les piquetes ont changé de format. Jusqu’en l’an 2000, c’était des blocages complets de routes et de rues, qui ne laissaient aucun passage possible et dans lesquels on se préparait àun affrontement imminent avec la police. Les piqueteros y portaient des cagoules et des bâtons, ils évoluaient en formation et brà»laient des pneus. Les blocages duraient plusieurs jours, jusqu’àce que leurs revendications soient satisfaites, ce pourquoi des cuisines et des tentes y étaient installées. Maintenant, ce sont des barrages plus « légers  » : ils durent quelques heures, ils laissent des voies libres pour que les voitures passent, il n’y a souvent pas de feux, les manifestants sont àvisage découvert et, dans la plupart des cas, ils ne portent pas de bâtons. Parfois, cela leur a été imposé par les juges comme conditions pour ne pas interrompre leurs marches. La situation a changé et maintenant les classes moyennes rejettent les piquetes. C’est pourquoi beaucoup de groupes, conscients de leur isolement, ne font que sortir dans la rue, quand ils n’ont pas le choix : quand leurs allocations « disparaissent  » ou qu’elles ne leur sont pas renouvelées.

Changement social : la nouvelle place des femmes

Un des aspects les plus intéressants du mouvement piquetero, est qu’il a réussi àmodifier la place sociale d’une partie considérable de ses membres. On estime qu’entre six et sept membres du mouvement sur dix sont des femmes. L’immense majorité n’a jamais eu d’expérience professionnelle, ni syndicale, ni politique. Elles ont adhéré au mouvement par besoin, poussées par la faim de leurs enfants. Il s’agit de femmes très pauvres, qui vivent àla périphérie des villes. Beaucoup savent àpeine lire et écrire, sont très jeunes et ont entre quatre et sept enfants en moyenne. Jusqu’àce qu’elles fassent partie du mouvement, elles étaient femmes au foyer, soumises àleurs maris. Les témoignages de ces femmes révèlent la difficulté du passage du statut de femmes au foyer àun nouveau statut social, celui de sujet-protagonistes de leur propre vie. En tant que femmes et en tant que mères.

Dans l’extrême pauvreté des villes latino-américaines, on enregistre une profonde déstructuration des familles, dont souffrent le plus les femmes et les enfants mais dont sont aussi victimes les hommes qui se réfugient dans l’alcool et la violence, et abandonnent leurs responsabilités familiales. Les femmes, en tant que mères, ne renoncent pas ànourrir leurs enfants et sortent lutter dans la rue. Elles politisent leur situation, elles sont porteuses d’une interpellation radicale qui rompt la relation public-privé pour rendre la faim visible, comme les Mères de la place de Mai rendirent visible, il y a presque trente ans, la disparition forcée de leurs enfants par la dictature.

Le premier pas des femmes dans le mouvement est une extension du rôle qu’elles tiennent au sein du foyer : elles prennent soin des autres tandis que les hommes s’occupent de la représentation publique. Ainsi, elles font àmanger, elles s’occupent des enfants dans les blocages de routes et pendant les assemblées, et eux parlent devant les médias et prennent en charge la coordination avec d’autres groupes de chômeurs. Mais, dans tous les groupes, on assiste àdes changements notables, peut-être comme conséquence de ce « politiser la vie  » qui caractérise les lutteuses sociales argentines qui, année après année, réalisent des rencontres auxquelles participent plus de 15.000 femmes issues de toutes les classes sociales. Les changements se manifestent sous trois aspects : l’attitude envers la violence domestique, le rôle des femmes dans la représentation et celui qu’elle joue en matière de sécurité.

Bien que la violence domestique soit très élevée, les piqueteras ne font jamais appel àla police. Les violences augmentent quand les femmes sortent bloquer les routes, quand elles vont àdes réunions du mouvement ou simplement quand elles vont retrouver d’autres compañeras. Elles sentent un changement une fois qu’elles sont dans le mouvement. La plupart des femmes ne connaissaient rien d’autre que les quatre murs de leur maison précaire. « Sortir est une révolution  », dit Viviana, 33 ans, mère de cinq enfants et membre du MTD Aníbal Verón. Quand une femme est agressée par son compagnon, les autres réagissent. Dans le Polo Obrero, elles ont des « piquetes de convencimiento  » (littéralement, de conviction, pour convaincre) pour parler avec les agresseurs. Au MTD Verón, les femmes ont expulsé de chez lui, devant les caméras de télévision, un homme qui frappait sa femme. Un modèle d’action commune àtous les groupes est celui que plusieurs piqueteras ont résumé cette année dans la revue Proyectos 19/20  :

« Une fois que la compañera ose parler de ce qu’elle est en train de vivre - ce qui n’est pas fréquent - ce qu’il faut d’abord faire, c’est parler avec l’homme qui la frappe. En général, ce sont plusieurs femmes qui y vont. Elles lui exposent la souffrance de son épouse, elles lui parlent des groupes pour hommes violents, elles insistent sur le fait qu’il doit consulter quelqu’un. L’objectif : lui faire savoir que ses coups ne sont plus silencieux. S’il continue, l’avertissement est beaucoup plus énergique. Et si cela ne suffit pas, un groupe l’expulse de chez lui. En général, il s’agit d’hommes qui ne font pas partie de l’organisation.  »

Pour en arriver àl’action collective contre la violence domestique, elles ont dà» passer des années àsuivre des ateliers sur la question du genre dans les mouvements, àparticiper aux rencontres nationales de femmes et àfaire des efforts concrets pour combattre le machisme des autres et le leur. Parce que, comme le signale une jeune du MTD Almirante Brown, « il y aussi en nous une tendance àdonner plus de valeur àla parole d’un homme qu’ànous-mêmes pour une question culturelle qui fait que, dès la naissance, la parole de l’homme est toujours prioritaire.  » [17] L’évolution intérieure, l’empowerment [18] des femmes, passe par mille réunions, des assemblées et surtout des ateliers réalisés par les mouvements où elles osent/ s’encouragent toutes àparler. Elles s’y font moins remarquer que dans les blocages de routes, mais ce sont néanmoins des espaces où le vrai changement social mà»rit petit àpetit.

En deuxième lieu, les piqueteras font pression depuis la base, dont elles constituent l’immense majorité, pour partager les espaces de représentation qui sont en général l’apanage des hommes. « C’est toujours eux qui racontent notre histoire  », dit Carla du MTD Aníbal Verón, organisation qui a publié un livre de photos, Tierra piquetera, dans lequel les personnages sont les femmes du mouvement. Plusieurs mouvements ont créé des assemblées plénières et des groupes de femmes afin d’aborder des thèmes qui ne sont pas évoqués dans les assemblées, surtout ceux liés àl’avortement, qui reste un sujet délicat. Peu àpeu, elles commencent àgagner de la place, surtout les plus jeunes, qui sont également les plus formées. Des dizaines de femmes porte-parole de leurs mouvements font leur apparition.

En troisième lieu, la sécurité a cessé d’être le monopole des hommes. Les tâches des membres du service de sécurité, qui dans les marches et les blocages de routes portent des bâtons et sont masqués avec des mouchoirs ou des passe-montagnes, est de surveiller qu’il n’y a pas d’infiltrés, que l’on ne consomme pas d’alcool et que l’on abandonne pas les colonnes. Une autre tâche, délicate, est d’éviter les provocations de la police et, parfois, de riverains furieux àcause du blocage de la rue. Analía, du MTR, explique sa tâche en disant que « si l’on est en situation de répression, nous ne devons pas courir, nous devons rester pour que les compañeras et les compañeros puissent se retirer. C’est cela l’adrénaline.  » [19]

Changement social : de chômeurs àtravailleurs autonomes

Une des caractéristiques du mouvement piquetero, et qui l’apparente aux mouvements féministes et indigènes, est qu’il pratique le changement social « ici et maintenant  », sans attendre qu’un jour l’État résolve les problèmes. Les mouvements prennent en main l’éducation et la santé, qu’ils abordent selon des critères propres, àtel point que certains groupes ne reproduisent pas les normes du système. Dans l’éducation, ils appliquent les méthodes participatives de l’éducation populaire. Dans la santé, ils cherchent àéviter la dépendance au savoir médical et aux médicaments, chers, difficiles àtrouver et aux résultats incertains.
Un bon exemple du travail dans la santé est le MTD de Solano, où ont été lancés des groupes de « réflexion  ». Dans ces groupes, selon ce qu’affirme une participante, «  on apprend àne plus avoir peur. La peur est une maladie.  » Pour ce qui est de la dépendance aux médecins et aux spécialistes, ils considèrent que « la verticalité rend malade  » et que « la santé c’est de nous rencontrer  ». [20] Le récit d’un psychologue social qui participe au mouvement et coordonna la première réunion dans un quartier très pauvre, qui fait partie du MTD de Solano, se suffit àlui-même :

« Après les présentations, nous avons commencé la réunion par une question ouverte : quelqu’un veut-il dire quelque chose ? Ce fut comme ouvrir un robinet. Presque tout de suite une femme commença, péniblement, àraconter que lorsqu’elle était enfant elle avait été victime d’abus sexuel par son père. Le récit était entrecoupé de sanglots au milieu des phrases, elle réussit àcomposer un tableau courant des foyers pauvres de la province, rejetés aux abords de la grande ville. Harcèlement, promiscuité, hommes et femmes dormant dans la même pièce, et les viols qui en découlaient, comme faisant partie de la vie familiale. Quand elle termine son douloureux récit, il y a un silence intense, un silence fait de quelques 70 bouches fermées, un silence de ne pas savoir quoi faire tous ensemble face àtant de douleur ancienne qui vient d’éclater maintenant, quarante ou cinquante ans plus tard, dans ce cadre, àla recherche de quelqu’un qui aurait une réponse ou un écho ou de la compréhension ou un pardon ou simplement une oreille. Le groupe, cette assemblée, se sent responsable de devoir consoler d’une manière ou d’une autre ce geste de la compañera, et il ne sait pas comment. Enfin, je trouve quelque chose àsignaler : que la compañera nous fait participer àsa douleur et qu’il faut voir ce que nous pouvons faire avec ça. Seulement une petite remarque, mais qui permet de donner la parole àd’autres voix. Il y a des mots de consolation, de compréhension, des embrassades, des gestes de solidarité, souvent de la part de gens qui se reconnaissent dans cette douleur et dans d’autres.  » [21]

Un troisième aspect lié au changement social a trait au passage du statut de travailleurs dépendants àcelui de travailleurs autonomes. Il faut dire que tous les mouvements piqueteros ne le voient pas comme cela. Certains, comme ceux qui sont liés àdes syndicats et àdes partis de gauche, pensent que mettre en Å“uvre des initiatives de production est une action proche de l’ « assistentialisme  » parce que cela ne résout pas les problèmes de fond. Néanmoins, il y a de plus en plus de groupes qui, après avoir débuté avec des cantines et des buvettes où ils distribuent les aliments donnés par l’État, commencent àproduire non seulement des aliments mais aussi une large gamme de produits.

L’UTD de General Mosconi, un village de 15.000 habitants, qui vivait de l’entreprise pétrolière publique privatisée par Menem et qui fut un des berceaux du mouvement piquetero, est passé àune étape sans précédent : elle a 31 potagers, une ferme entière, un système de recyclage de bouteilles, des pépinières, des ateliers métallurgiques et de charpenterie dans lesquels sont fabriqués des chaises et des lits, une colonie agricole de 150 hectares, un élevage de porcs et d’autres animaux ; ils ont construit une cantine communautaire pour les indigènes de la zone et des salles de premiers soins. Il y a 2.000 personnes liées aux projets de l’UTD, établis dans des relations communautaires et horizontales, sur une population active de 8.000 personnes [22].

Un progrès notable est celui effectué par le MTR, un des groupes de taille moyenne. Roberto Martino indique qu’il a en charge 117 cantines et 60 buvettes qui distribuent 73.000 kilos d’aliments secs que « nous arrivons àobtenir du gouvernement  » et 5.000 kilos de farine que « nous obtenons de producteurs. Les aliments frais, nous les produisons dans nos propres potagers.  » Le MTR, d’obédience guévariste, promeut une économie sociale solidaire et, pour cela, il a mis en marche des ateliers de coutures et de confection de chaussures, des fabriques de pain, des pharmacies, des coopératives de logement et des élevages de lapins [23].

Aux boulangeries, qui existent dans presque tous les mouvements, s’ajoutent les potagers, mais aussi les élevages de lapins, de poules et de porcs. Dans de nombreux groupes, on trouve des ateliers de charpenterie et de métallurgie, et presque tous ont des maçons qui construisent les bâtiments des mouvements et beaucoup d’ateliers textiles. En général, ils n’arrivent jamais àl’autosuffisance alimentaire mais ils gagnent peu àpeu une certaine autonomie matérielle de même que l’estime de soi. Dans quelques quartiers, ils commencent àcultiver des plantes médicinales pour dépendre moins des médicaments.

Cependant, il y a deux autres aspects qui montrent la profondeur des changements. Beaucoup d’anciens ouvriers affirment qu’ils ne retourneraient pas travailler àl’usine sous les ordres d’un contremaître. Les piqueteras sont particulièrement sà»res qu’elles n’iront jamais travailler dans les centaines d’usines textiles clandestines dans lesquelles il faut travailler 13 heures debout pour des salaires très bas. « Je veux travailler, mais ici, dans le hangar (du mouvement), je travaille  », dit Viviana du MTD de Lugano. [24]

D’autre part, la division du travail est presque inexistante. De manière naturelle, dans les activités productives piqueteras (mais aussi dans les usines récupérées et dans les travaux des assemblées de quartier) on cherche àrendre vraie cette phrase : « entre tous, tout  » qui implique de partager des savoirs, d’éviter les hiérarchies et les divisions rigides du travail. La petite usine textile qui marche dans le MTD de La Matanza, dans laquelle travaille les femmes du mouvement, a évolué de façon peu conventionnelle : « On a socialisé les savoirs appris et on a mis les machines de l’atelier àdisposition des voisins qui voulaient s’entraîner dessus  » [25]. Les mouvements autonomes refusent particulièrement la figure du contremaître, même s’ils ont des coordinateurs par secteur de travail. Il est certain que le travail est peu productif si on le mesure àl’aune des paramètres de la productivité des entreprises. Mais il est fait dans une logique autre, qui cultive ses différences de façon implicite : ce qui compte ce n’est pas combien ils produisent mais comment ils le produisent.

Le « comment  » est une des clés du changement social que représentent les femmes, les enfants et les hommes depuis les marges des villes et de la société. Alberto Spagnolo, referente du MTD de Solano, fit la réflexion suivante sur les différents styles d’organisations, qui laissa l’auditoire pensif : « La verticalisation et l’institutionnalisation des mouvements sont les nouvelles formes qu’adoptent la contre-insurrection  ». Parce que ce sont les façons de neutraliser le potentiel de changement social qu’ils renferment.

Références

Colectivo Situaciones-MTD Solano (2002) La hipótesis 891. Más allá de los piquetes, De mano en mano, Buenos Aires.
Dillon, Marta (2004) “Rebelión en el piquete”, Página/12, 2 juillet.
Di Marco, Graciela y Palomino, Héctor (2004) Construyendo sociedad y política, Jorge Baudino Ediciones, Buenos Aires.
Enero, Autónomo (2003) “El movimiento en conjunto es quien cura”, Taller de Salud, en www.lavaca.org
Ferrara, Francisco (2004) ¿La clínica en el galpón ? (Buenos Aires : non-publié).
Flores, Toty (2002) De la culpa a la autogestión, Editoria MTD La Matanza, Buenos Aires.
Korol, Claudia (2003) “Tiempo de guerras y emancipaciones en las tierras del petróleo”, en www.rebelion.org
Oviedo, Luis (2001) Una historia del movimiento piquetero, Rumbos, Buenos Aires.
Proyectos 19/20 (2005) “Conciencia de género en las organizaciones piqueteras”, Buenos Aires, année 3, No. 13, mars-avril.
Svampa, Maristella y Pereyra, Sebastián (2003) Entre la ruta y el barrio. La experiencia de las organizaciones piqueteras, Biblos, Buenos Aires.
Zibechi, Raúl (2003) Genealogía de la revuelta. Argentina : una sociedad en movimiento Letra Libre, Buenos Aires.

Principales organisations piqueteras

- Liées àdes syndicats

Federación de Tierra y Vivienda (FTV) : www.cta.org.ar/institucional/ftv

- Liées àdes partis politiques

Corriente Clasista y Combativa (CCC) : www.cccargentina.org.ar
Barrios de Pie : www.barriosdepie.org.ar
Polo Obrero (PO) : www.po.org.ar
Movimiento Sin Trabajo-Teresa Vive (MST) : www.mst.org.ar
Movimiento Independiente de Jubilados y Desocupados (MIJD)*
Movimiento Territorial de Liberación (MTL)
Federación de Trabajadores Combativos (FTC)

- Autonomes

Movimiento Teresa Rodríguez (MTR) : www.elteresa.org.ar
Frente Darío Santillán*
MTD Solano : www.solano.mtd.org.ar
MTD Aníbal Verón*
Unión de Trabajadores Desocupados de Gral. Mosconi (UTD)*
MTD La Matanza*

Pour les organisations qui n’ont pas de site Internet, s’informer sur : www.anred.org ; www.lafogata.org ; www.lavaca.org ou www.argentina.indymedia.org

Notes :

[1Les piqueteros, du terme « piquete  », désignent les groupes organisés de travailleurs sans emploi. (ndlr).

[2Littéralement, personnage de référence (ndlr).

[3Plat àbase de maïs (ndlr).

[4Carlos Menem, président « péroniste  » de l’Argentine de 1989 à1999. Son gouvernement est associé àla corruption et àl’imposition de politiques néolibérales agressives (ndlr).

[5Yacimientos Petrolíferos Fiscales, l’entreprise publique de pétrole, rachetée par la transnationale espagnole REPSOL (ndlr).

[6Flores, Toty (2002) De la culpa a la autogestión, Editorial MTD La Matanza, Buenos Aires, p. 24.

[7La place de Mai est une des places principales de la ville de Buenos Aires. Les manifestations ont l’habitude de converger vers cette place (ndlr).

[8En Argentine, on appelle « puebladas  » de grandes mobilisations qui prennent parfois une tournure insurrectionnelle.

[9Consultez le dossier « Argentinazo  » sur RISAL (ndlr).

[10Président de l’Argentine de 1999 à2001, àla tête de l’ « Alliance  » entre l’Unión Cívica Radical et le Frepaso, un parti de centre gauche qui a quasiment disparu. A démissionné de son poste suite au soulèvement populaire de décembre 2001, connu sous le nom d’Argentinazo (ndlr).

[11Données de l’Instituto Nueva Mayoría.

[12Svampa, Maristella y Pereyra, Sebastián (2003) Entre la ruta y el barrio. La experiencia de las organizaciones piqueteras, Biblos, Buenos Aires, p.39.

[13Ibid., Flores, pp. 17-18.

[14Ce sont des manifestations devant les maisons de responsables de la répression pour les dénoncer devant leurs voisins. Les syndicats ont commencé àfaire des « escraches  » devant les maisons de leurs patrons ou des cadres et parfois ce sont des femmes qui le font làoù vit ou travaille un violeur ou un agresseur.

[15Lo novedoso en el conflicto de los telefónicos”, sur www.lavaca.org.

[16Clarà n, 8 juin 2005, sur www.clarin.com.

[17Proyectos 19/20, 2005.

[18Appropriation ou réappropriation de son pouvoir. Voir entre autres la définition sur http://1libertaire.free.fr/PuissancedeSoi.html (ndlr).

[19Proyectos 19/20, 2005.

[20El movimiento en conjunto es quien cura”, Taller de Salud, Enero Autónomo en www.lavaca.org 2003.

[21Ferrara, Francisco (2004) ¿La clínica en el galpón ? Buenos Aires : non-publié.

[22Korol, Claudia “Tiempo de guerras y emancipaciones en las tierras del petróleo”, 2003, en www.rebelion.org.

[23Colloque International “De la exclusión al vínculo”. “Desafíos actuales de los movimientos sociales”, sur www.lavaca.org.

[24Dillon, Marta “Rebelión en el piquete”, Página/12, 2 juillet 2004.

[25Di Marco, Graciela y Palomino, Héctor (2004) Construyendo sociedad y política, Jorge Baudino Ediciones, Buenos Aires. p. 67

Source : IRC Programa de las Américas (http://americas.irc-online.org), juillet 2005.

Traduction : Marie-Anne Dubosc , pour RISAL (www.risal.collectifs.net).

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
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