Devant le rejet par plusieurs gouvernements et mouvements populaires latino-américains de la Zone de libre-échange des Amériques [1], les Etats-Unis ont opté pour négocier des accords bilatéraux avec les plus faibles et serviles régimes de la région. C’est le cas en Amérique du Sud avec la Convention andine de promotion du commerce, un instrument avec lequel le colosse du Nord a fissuré la libre intégration sud-américaine, enchaînant à la fois la Colombie, le Pérou et l’Equateur avec les ainsi dénommés traités de libre-échange (TLC, sigles en espagnol).
Les gouvernements des deux premiers pays ont déjà conclu les négociations. Il ne reste plus qu’à leurs congrès respectifs à marquer leur approbation et à signer, des aspects considérés comme purement formels.
L’Equateur, pour sa part, est sur le point de conclure les négociations. Cependant, tant dans ce pays qu’au Pérou, la fête pourrait être gâchée pour Washington. Au Pérou, car les possibilités de triomphe aux prochaines élections du candidat présidentiel Ollanta Humala [2], qui se dit être un ferme opposant au traité avec les Etats-Unis, sont chaque jour plus grandes. Et dans la patrie de Eloy Alfaro [3], à cause de la mobilisation populaire, convoquée par la Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (Conaie, principal mouvement indigène), qui s’est amplifiée ces derniers jours. Plus de 15 provinces se sont jointes au mouvement. Des blocages de routes paralysent la région andine, le centre et le nord du pays. Le désapprovisionnement sur les marchés se fait déjà ressentir.
Le mouvement n’exige pas seulement la suspension immédiate des négociations du traité, mais aussi que Quito se distancie des desseins de George W. Bush et d’Alvaro Uribe [le président colombien] d’impliquer l’Equateur dans le conflit colombien et l’annulation de l’accord sur la présence militaire états-unienne sur la base aérienne de Manta [4], ainsi que l’expulsion de l’entreprise pétrolière Occidental (Oxy) - accusée de violer les lois et les normes contractuelles -, la nationalisation du pétrole et la convocation urgente d’une assemblée nationale constituante [5].
La Conaie est sorti très affaiblie de son appui à Lucio Gutierrez comme candidat présidentiel. Cela l’a empêchée de jouer un rôle actif dans son renversement, quand la trahison de ses promesses de campagne et son alliance avec Washington sont devenues évidentes [6]. Mais la déjà ancienne organisation indigène, dirigée maintenant par Luis Macas [7], a mené à bien une restructuration et semble être confiante quant à la récupération de son pouvoir de veto contre les gouvernements « anti-populaires  », une capacité reconnue antérieurement et manifeste depuis qu’elle a fait chuter Jamil Mahuad [8] de son siège présidentiel. Elle pourrait même aller au-delà de ce pouvoir de veto et influer sur le destin national. Ce qui est certain, c’est que la Conaie a annoncé que les manifestations s’étendraient sur tout le territoire et se radicaliseraient si elle n’obtient pas satisfaction. Un de ses principaux dirigeants, Humberto Cholango, a expliqué ainsi ce que signifierait un traité de libre-échange avec les Etats-Unis : « Il ne détruira pas seulement le secteur agricole national mais il s’agit d’un vol du savoir ancestral des peuples indigènes et un embargo sur les richesses du peuple équatorien qui en moins de deux ans n’aura plus accès à la santé, à l’alimentation, aux services sociaux de base et ne pourra plus profiter de ses richesses  ». Cela, dans un pays où la moitié des enfants indigènes souffrent déjà de dénutrition infantile. Macas a averti que si le président Palacios approuve le traité, il devra rentrer chez lui, une menace traduite dans la consigne reprise de plus en plus : « TLC firmado, Palacios derrocado  » (« TLC signé, Palacios renversé  ») :
Les revendications de la Conaie vont dans le sens de la défense de la souveraineté, l’indépendance et le bien-être pas seulement des indigènes mais de tout le peuple équatorien. On sait que Washington essaie d’impliquer l’armée équatorienne dans la lutte contre la guérilla colombienne, dont la base de Manta est un premier pas. L’exigence d’expulsion d’OXY et la nationalisation du pétrole symbolise le rejet par les peuples indigènes équatoriens du vol et de la déprédation écologique de leurs terres par les transnationales pétrolières et minières, mais cela reflète aussi leur conscience que l’usufruit des ressources naturelles doit bénéficier à la collectivité. L’Assemblée constituante est l’instrument conçu par le mouvement indigène et des secteurs populaires équatoriens pour refonder l’Etat national sur des bases authentiquement démocratiques, sur lesquelles seraient reconnus le caractère plurinational de l’Equateur et donc les droits culturels, politiques et sociaux des peuples indigènes et des grandes majorités du pays.
[1] [NDLR] à rea de Libre Comercio de las Américas - ALCA ; Free Trade Area of the Americas - FTAA ; Zone de libre-échange des Amériques - ZLEA.
Consultez le dossier « L’ALCA en panne » sur RISAL.
[2] [NDLR] Lire Ernesto Tamara, Le Pérou entre le nationalisme indigéniste et le retour de la droite, RISAL, 10 mars 2006.
[3] [NDLR] Ancien président équatorien à la tête d’une « révolution  » libérale et anticléricale (1897 - 1901 et 1906 - 1911).
[4] [NDLR] En 1999, les gouvernements équatorien et états-unien signaient une convention octroyant, pour une période de 10 ans renouvelables, l’usage de la base militaire de la côte pacifique de Manta à l’armée nord-américaine. Les bases navale et aérienne de Manta, en Équateur, sur la côte, à une heure de vol de la frontière colombienne sont sous la juridiction exclusive de Commandement Sud (US SouthCom) des forces armées états-uniennes. Manta est un centre de commandement de la marine et de l’aviation, dirigeant notamment des opérations clés des mercenaires de la Dyncorp.
[5] [NDLR] Consultez le dossier « L’Amazonie équatorienne, butin des entreprises pétrolières  » sur RISAL.
[6] [NDLR] Consultez le dossier « La trahison de Lucio Gutierrez  » sur RISAL.
[7] [NDLR] Raúl Zibechi, Equateur : vers une renaissance du mouvement indigène ?, RISAL, 18 janvier 2005.
[8] [NDLR] Elu à la présidence de la République en 1998, ce démocrate-chrétien Jamil Mahuad sera renversé le 21 janvier 2000 par les mouvements indigènes alliés notamment à un secteur de l’armée.
Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx/), 16 mars 2006.
Traduction : Frédéric Lévêque, pour RISAL (www.risal.collectifs.net/).