Paraguay
La voie est libre pour la monoculture de soja
par Igor Ojeda
Article publié le 20 septembre 2006

Dans une rue du quartier de Sajonia, dans la zone ouest d’Asunción [la capitale du Paraguay, ndlr], un homme et une femme sont assis sur la marche devant leur porte et discutent en guarani, la seule langue parlée par 79% des 6,5 millions de Paraguayens, selon le dernier recensement de 2002. 20% parlent guarani et espagnol, alors que 1% ne parle que l’espagnol. « Sur ce 1%, explique Carlos Rolón du SERPAJ-PY, 99% font partie de l’élite dominante  ».

Une élite dominante composée essentiellement de grands propriétaires terriens. Des éleveurs de bétail et des producteurs de soja. Au Paraguay il n’y pratiquement aucune industrie. C’est un pays agro exportateur. Selon Orlando Castillo, également du SERPAJ-PY, 77% des terres paraguayennes sont entre les mains d’1% de la population. Et depuis les années 90, c’est le soja qui sustente l’économie. Alors qu’auparavant elle occupait les champs proches des frontières avec le Brésil et l’Argentine, cette culture avance de plus en plus vers l’intérieur du pays.

Edilberto Salcedo, dirigeant de la Centrale nationale des organisations paysannes et indigènes du Paraguay (Cenocip) pour le département de Concepción, estime que pour la saison 2006-2007, la surface occupée par le soja - « presque totalement transgénique  » - va doubler par rapport à2003-2004. A mesure que la frontière agricole avance, elle élimine la petite propriété de production familiale : les paysans vendent leurs terres, ou bien en sont expulsés. Résultats : il y a entre 200 et 300 mille familles sans terre dans le pays, selon Castillo, et un grand flux migratoire vers les villes, contribuant ainsi àla création de ceintures de pauvreté dans les zones urbaines.

Les « Brésiguayens  »

Pour Castillo, les fazendeiros [grands propriétaires terriens, ndlr], brésiliens sont les principaux responsables de ce processus. « Comme le Paraguay n’a pas de loi de sécurité frontalière, ceux que l’on appelle les « brésiguayens  » achètent de grandes extensions de terre, utilisées principalement pour la culture du soja  », explique-t-il. Ce n’est certainement pas une coïncidence si les actions militaires et paramilitaires se concentrent dans les régions du territoire paraguayen où les paysans sont les mieux organisés et où il y a le plus grand nombre de conflits agraires, entre petits propriétaires et latifundiaires. D’après ce que racontent les leaders sociaux interviewés par la mission internationale [1], ces derniers ont recours àune entreprise de sécurité privée, dénommée Guardias Rurales SA, (Gardes ruraux SA), pour expulser les paysans de leurs terres, en grande partie non régularisées. Et l’Etat ferme les yeux sur tout cela.

Les dirigeants paysans n’ont pas hésité àaffirmer que l’intention évidente de la répression est de retirer les paysans de la campagne, et de libérer plus d’espace pour le soja, rappelant que les hommes politiques du Parti Colorado, au pouvoir depuis six décennies, sont profondément liés aux latifundiaires du secteur, quand eux-mêmes ne sont pas de grands propriétaires ruraux. Par ailleurs, le gouvernement de Nicanor Duarte tire profit des devises générées par l’exportation du soja et sustente le modèle économique agro exportateur.

L’association de l’image des paysans àla guérilla et àdes groupes terroristes peut compter de plus sur la grande contribution de la presse paraguayenne. Mais, selon Aristides Ortiz, du Syndicat des journalistes du Paraguay (SPP), ce type de comportement n’a rien de surprenant : « Les principaux journaux et télévisions du pays appartiennent àdes familles de l’oligarchie rurale  ».

Notes :

[1[NDLR] Mission d’observation internationale dans le pays, àl’initiative de la Campagne pour la démilitarisation des Amériques (CADA), réseau hémisphérique d’organisations contre la militarisation du continent.

Source : Brasil de Fato (www.brasildefato.com.br), 24 juillet 2006.

Traduction : Isabelle Dos Reis, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).

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