Forts de 2,2 millions de membres, les Cercles bolivariens sont le pilier de la révolution démocratique en cours au Venezuela. Après le coup d’État soutenu par Washington en avril 2002 contre le président Hugo Chávez, ce sont les Cercles bolivariens qui aidèrent à organiser la rébellion qui a replacé au pouvoir le président des pauvres. Ce sont aussi les Cercles bolivariens qui ont mis sur pied la résistance massive contre la tentative des cadres et syndicalistes corrompus de détruire l’industrie pétrolière du pays.
Le docteur Rodrigo Chávez, coordinateur des Cercles bolivariens au Venezuela, a été interviewé par Tom Burke, du Comité de solidarité avec la Colombie, à Chicago.
Que sont les Cercles bolivariens ? Quelles idées défendent-ils et que font-ils ?
Les Cercles bolivariens constituent la forme fondamentale de participation au processus démocratique en cours au Venezuela, même si ce n’est pas seule forme de participation. Il existe aussi des associations de voisins et des coopératives, entre autres.
La différence entre les Cercles bolivariens et les autres organisations populaires réside en ce que les Cercles expriment leur engagement à défendre la révolution et la constitution bolivarienne de 1999. Une constitution qui fut élaborée par le peuple et approuvée par 86% du vote populaire. Les Cercles bolivariens s’occupent aussi de questions nationales et internationales, ce que les associations de voisins ne font pas nécessairement.
Quelle est la relation entre les Cercles bolivariens et le gouvernement du président Hugo Chávez ?
Le président Chávez appelle sans cesse les gens à s’organiser et à lutter pour leurs droits. Les partis politiques n’ont pas été la meilleure garantie de participation populaire dans le processus démocratique, à cause de leur luttes intestines pour des positions de pouvoir. Pensant à cela, en 2000, le président en a spécifiquement appelé à la création de Cercles bolivariens et a donné mandat à Diosdado Cabello, alors vice-président de la République, de prévoir tout l’appui nécessaire pour former les Cercles, en tant que cellules indépendantes de soutien à la révolution.
Comme les Cercles bolivariens ont été créés à l’invitation présidentielle, les gens pensent qu’ils dépendent du gouvernement. En réalité, ils sont autonomes et ne reçoivent aucun subside gouvernemental. Les Cercles bolivariens ne sont pas des « corporations », si bien qu’ils ne peuvent accéder directement au financement. Par contre, ils enseignent aux gens et aux communautés les démarches pour accéder au crédit auprès de diverses institutions. Ils permettent aussi à des gens partageant des intérêts communs de créer des coopératives, des associations, des organisations sans but lucratif, etc.
Le 11 avril 2002, les grands propriétaires terriens et les grands patrons du Venezuela, soutenus par le président américain George Bush et la CIA, ont tenté de renverser le président démocratiquement élu. Comment les Cercles bolivariens ont-ils répondu au coup d’État ?
Les Cercles bolivariens ont joué un rôle crucial dans le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Venezuela. Ce fut un mouvement spontané, sans orientation gouvernementale. Ce sont les Cercles bolivariens qui, grâce à leur organisation et leur compréhension de la nécessité de défendre la démocratie, ont commencé à reprendre le contrôle des différentes partie du pays, pour finalement, avec l’aide de militaires pro-constitutionnels, renverser le coup d’État. Pour la première fois dans l’histoire, un président renversé était remis au pouvoir en moins de 48 heures.
Comment les Cercles bolivariens ont-ils réagi pendant le récent sabotage de l’industrie pétrolière nationale par des cadres criminels et des dirigeants syndicaux corrompus de l’industrie ?
Les Cercles bolivariens ont travaillé gratuitement, formant des groupes pour défendre les installations et contacter d’anciens travailleurs de l’industrie. En outre, de nombreux travailleurs pétroliers sont eux-mêmes membres de Cercles bolivariens, si bien qu’ils ont mis sur pied un réseau de soutien qui a permis de réactiver la production en un temps record.
Les Cercles bolivariens ont-ils travaillé avec les syndicats ?
Comme je viens de le dire, de nombreux membres des Cercles bolivariens sont syndiqués ou sont des dirigeants syndicaux. Les Cercles bolivariens leur donnent un espace permettant d’intégrer les membres du syndicat au reste de la communauté. En fait, pour unir le mouvement syndical et le mouvement populaire en un seul mouvement.
Nous savons qu’il y a des différences entre les luttes du mouvement syndical et celles, par exemple, d’une communauté pour améliorer l’éducation. Mais nous avons pu trouver les points communs, plutôt que les différences, entre les divers mouvements.
L’intégration des luttes et revendications du mouvement syndical avec celles de la communauté est un facteur fondamental dans le processus actuel visant à créer un nouveau type de syndicalisme. En fait, les plus grands syndicats ont abandonné la Confédération de travailleurs du Venezuela (CTV), putschiste, et ont récemment créé l’Union nationale de travailleurs (UNT) en réponse à la corruption de la CTV.
Qu’est-ce qui vous motive à organiser et lutter pour l’autodétermination du peuple vénézuélien ? Pourquoi se concentrer sur les Cercles bolivariens ?
En tant que médecin, j’ai vu combien la santé se limitait simplement au traitement des maladies. Je crois en une approche plus holistique. Je crois en l’éducation et la prévention. Mais plus je me suis impliqué dans ce travail, plus je me suis convaincu que seuls les gens eux-mêmes peuvent résoudre leurs problèmes. Et les problèmes de santé n’étaient qu’une expression de plus des maux de notre société. De là à comprendre la nécessité des Cercles bolivariens, il n’y avait qu’un pas.
Quels sont les objectifs du mouvement bolivarien ? Le socialisme est-il à l’ordre du jour ?
Le but est de défendre le processus révolutionnaire pour bâtir une société dotée de justice sociale, de justice économique, offrant la garantie de la participation politique réelle de tous. Ce dernier point mérite d’ailleurs d’être souligné. Je ne parle pas d’aller voter tous les quatre ou cinq ans, peu importe le cycle électoral. Je veux parler de la capacité des gens à élaborer directement leurs projets de développement, à les superviser et à les mener à bien, sans intermédiaire, sans personne qui les représente.
Grâce aux Cercles bolivariens, les associations de voisins et les coopératives, les gens se représentent eux-mêmes auprès des mairies et des gouverneurs. L’assemblée de citoyens est un droit inscrit dans la constitution. Les articles 166 et 172 stipulent que les gouverneurs et les maires doivent permettre aux communautés de participer à l’élaboration et l’application des budgets. Comment appelez-vous cela ? Du socialisme ? Du communisme ? Du populisme ? Choisissez. Peu nous importe le nom, tant que le processus fonctionne. Nous, nous appelons cela le bolivarianisme et la démocratie participative.
Bien sà »r, au Venezuela les problèmes sont similaires à ceux d’autres pays d’Amérique latine et du monde. Nous devrions recevoir tout le soutien du monde, car nous essayons de résoudre nos problèmes d’une manière qui n’a jamais été tentée avant, et nous sommes confrontés à de puissantes forces qui cherchent à maintenir le statu quo.
Un tel soutien ne s’est pas encore matérialisé et, au mieux, nos efforts ont été accueillis avec scepticisme. Mais nous continuons contre vents et marées, à essayer de créer un modèle alternatif pour le Venezuela et d’autres pays. Nous sommes certains que l’idée d’une Amérique latine unifiée est plus proche que jamais, car seul le peuple peut unir le peuple. Les intérêts des grandes corporations et des riches nous ont maintenus séparés dans des pays différents, alors que nous sommes un peuple unique. L’unité de l’Amérique latine est un élément fondamental de nos idées.
Le mouvement bolivarien a-t-il des relations avec des mouvements d’autres pays ?
Nous entretenons des relations avec des mouvements qui cherchent la paix et la justice sociale et économique, qui luttent pour les droits des peuples indigènes, des pauvres et des travailleurs. C’est pourquoi nous sommes proches des mouvements indigènes d’Équateur, de Bolivie, d’Argentine, du Canada et du Guatemala. Nous commençons des relations avec les Zapatistes du Mexique. Mais nous sommes aussi en contact avec des mouvements progressistes d’Afrique, d’Asie, d’Europe, des États-Unis, ainsi qu’avec le Parti des travailleurs du Brésil et le processus révolutionnaire de Cuba.
Quelles sont les leçons importantes que vous aimeriez partager avec vos lecteurs ?
Nous savions que nous étions confrontés à de puissants intérêts, de puissantes forces. En fait, nous ignorions combien elles étaient puissantes. Elles continuent à tenter de renverser le gouvernement, à mettre un terme à notre lutte. Plus de 100 dirigeants communautaires ont été assassinés, surtout pendant les quelques jours du coup d’État.
La solution a été l’organisation et la participation communautaire au processus de prise de décision. Nous n’avons pas de grands leaders individuels et nous ne cherchons d’ailleurs pas à en créer. Nous pensons que les communautés ont leurs propres dirigeants et que de nouveaux leaders apparaissent tout le temps. Les gens ne suivent pas un leader. Ils travaillent à leurs propres projets, afin de construire un avenir qui soit à eux.
Hugo Chávez est sans conteste un leader pour toutes les communautés, mais nous ne dépendons pas de lui. Nous acceptons son leadership sur le plan national, comme quelqu’un qui a ouvert l’espace politique et nous a permis, à nous les oubliés, les laissés-pour-compte, les opprimés, d’être capables de défendre nos droits.
Que peut-on faire, ailleurs dans le monde, pour soutenir la lutte des travailleurs du Venezuela ?
Tout d’abord, essayer de mieux s’informer sur ce qui se passe vraiment au Venezuela. Chercher à en savoir plus sur notre constitution et tenter d’appliquer des réformes similaires dans les autres pays. Et même créer des Cercles bolivariens !
Aux États-Unis, la plupart de gens s’opposent à l’intervention de leur gouvernement dans les affaires d’autres pays et dénoncent l’image tronquée que les médias donnent de la lutte, au Venezuela et ailleurs, contre les tentatives des grandes corporations de s’emparer de leurs ressources et de dominer leur politique.
Traduction : Gil B. Lahout, pour RISAL.
Article original en anglais : "The Bolivarian Circles
", Znet, 30 juillet 2003.