La Bolivie semble mieux respirer suite à l’approbation par la population des questions référendaires soumises par le Président Mesa à propos de l’exploitation des richesses gazières du pays. La crise politique n’est pas réglée pour autant, puisque, d’une part, les interprétations divergentes sur la signification des résultats obtenus sont loin de laisser présager un mandat d’action clair pour le gouvernement et, d’autre part, les différents acteurs de l’opposition semblent maintenir et consolider leur base d’appuis. Bref, le référendum, loin de constituer la solution miracle afin de rétablir la paix sociale, semble être la source de nouvelles opportunités politiques susceptibles d’enflammer la Bolivie à court et moyen termes.
La Bolivie, un pays d’instabilité et de révolutions.
Tel était le constat des analystes sur le parcours historique, la situation économique et politique de ce petit pays enclavé d’Amérique du Sud, lors du long et
pénible transfert des pouvoirs des autorités militaires
aux représentants civils au début des années quatre-vingt. [1] Élevée temporairement au rang d’élève
modèle au tournant de la décennie quatre-vingt dix
par les institutions financières internationales, suite à l’application d’une thérapie de choc ayant entraîné le
contrôle de l’hyperinflation et la relance de la croissance, la Bolivie a toutefois renoué avec la morosité économique et l’instabilité politique au cours des dernières années.
Le pays fait maintenant face à une série de soulèvements populaires. Les populations autochtones, les paysans et les syndicats ouvriers ont occupé l’avant-scène politique en se mobilisant autour d’enjeux touchant les politiques d’éradications de la feuille de coca [2], la privatisation des services publics [3] et les réformes fiscales recommandées par le Fonds monétaire international (FMI). Le dernier enjeu en date, celui du gaz naturel, se distingue toutefois des autres crises politiques, puisque son ampleur est le reflet de profondes transformations politiques. À la différence des soulèvements populaires spontanés observés ailleurs en Amérique latine, l’instabilité actuelle de la Bolivie est le résultat d’un processus d’organisation en profondeur, mené depuis plusieurs années, à l’encontre de réformes économiques aux résultats mitigés et de l’instabilité politique. Ainsi, la tenue même d’une consultation sur l’exploitation des ressources gazières est le résultat direct des pressions soutenues en provenance de la rue, dont certaines composantes sont maintenant transformées en mouvement politique.
Les origines du référendum
C’est la révolte populaire qui a eu raison du président
Gonzalo Sanchez de Lozada et c’est elle qui est Ã
l’origine du référendum sur l’exploitation des ressources gazières. L’appui politique au chef d’État s’était évaporé suite à la répression sanglante du mouvement de contestation contre l’exportation du gaz naturel. Répondant par la force, le gouvernement bolivien d’alors avait transformé le siège du gouvernement, La Paz [4], en véritable ville assiégée alors que les affrontements entre l’armée et les protestataires avaient paralysé la ville pendant plusieurs jours. Au total, la répression des forces de
l’ordre causa plus de 80 morts et 400 blessés et, par le
fait même, elle entraîna l’effritement du gouvernement de coalition dirigé par Sanchez de Lozada. [5]
Si plusieurs avaient craint que l’intervention des forces armées ne conduise ces dernières à prendre la
relève du chef d’État démissionnaire, c’est plutôt
l’ordre constitutionnel prévoyant l’accession du vice-président à la tête de l’État qui a prévalu. Faisant écho aux pressions de la rue, Carlos Mesa promettait un gouvernement de transition dont la mission
principale allait être d’organiser, dans les plus brefs
délais, une consultation populaire sur l’exploitation
des richesses gazières du pays.
Afin de mettre en lumière les véritables origines du
référendum, il importe de souligner deux points
importants à propos des réformes économiques qui ont
affecté le secteur énergétique et ces points touchent Ã
l’adoption de deux lois, Ã savoir : la Ley de
capitalización 1564 et la Ley de hidrocarburos 1689.
De plus, il importe de saisir la portée de ces lois promulguées lors du premier gouvernement de Gonzalo Sanchez de Lozada en 1996, puisque ces législations sont à l’origine des revendications de la société civile dans le dossier de l’exportation du gaz. D’ailleurs, le référendum de juillet dernier donnait au gouvernement le mandat de modifier ces lois controversées.
La privatisation de YPBF
La Ley de Capitalización 1564 privatisa partiellement
quatre secteurs stratégiques dans lesquels le gouvernement était l’actionnaire principal : le secteur
énergétique, les télécommunications, le transport
aérien et ferroviaire. Avant la promulgation de la loi,
en 1996, les entreprises provenant de ces secteurs
représentaient 60% des revenus du gouvernement. Le
secteur pétrolier, par l’entremise de Yacimiento
Petroliferos Fiscales Bolivianos (YPFB) comptait Ã
lui seul pour 80% de la part des revenus issus des
entreprises publiques. [6] L’ouverture des entreprises publiques au capital privé allait suivre un nouveau modèle de privatisation, où une part des actions devait être vendue sur les marchés internationaux, et l’autre, confiée à un fonds de gestion constituant l’actif permettant de financer les retraites des Boliviennes et des Boliviens. YPFB fut alors scindée en trois entreprises indépendantes, Chaco et Amaco pour l’exploration et la production, ainsi que Transredes pour le transport. Une part de YPFB devait demeurer publique, avec le but de faire l’exploration, l’exploitation et la commercialisation des hydrocarbures.
Cette privatisation hétérodoxe des entreprises
publiques avait pour objectif d’attirer 4 milliards
$ÉU, de créer 250 000 nouveaux emplois et de
soutenir la croissance du PIB de 4 Ã 10 points de
pourcentage par année sur une période d’au moins 6 Ã
7 ans. [7] Dans le cas de YPFB, l’objectif était de stimuler la prospection dans le secteur gazier, où
l’entreprise publique n’arrivait pas à rassembler les
investissements nécessaires, afin de faire face au
déclin des réserves. Trois ans plus tard, suite aux
investissements dans le secteur de l’exploration, les
réserves de gaz connues devaient passer de 5,7
trillions de pieds carrés (TCF) à 32,2 TCF. [8] En 2003, les réserves s’établissaient à un niveau de 54,2 TCF. [9]
Il apparaît plus difficile de mesurer l’effet de ces investissements sur le climat économique bolivien.
Une chose demeure certaine toutefois : l’effet sur
l’emploi de ces nouveaux investissements n’a rien eu de positif. Plutôt que de créer de nouveaux emplois,
ces privatisations entraînèrent une importante
stratégie de rationalisation de la main d’oeuvre. Entre
1996 et 1999, au plus fort des investissements, le
secteur pétrolier a réduit ses effectifs de 2300
travailleurs, soit d’un peu plus de 40% de la main
d’oeuvre totale du secteur . Il importe aussi de
mentionner que, malgré l’importance des investissements, le taux de croissance du pays n’a jamais surpassé 5% par an, loin des projections initiales. Qui plus est, cette croissance s’est rapidement essoufflée, pour n’atteindre que 0,3% en 1999, et elle n’a jamais réussi à reprendre un rythme de croisière permettant d’améliorer le niveau de vie de la population. (Voir tableau 1 en annexe)
La libéralisation du secteur des hydrocarbures
Sous le prétexte d’attirer de nouveaux
investissements productifs permettant de tirer profit
de la demande croissante et urgente de la part du
Brésil au milieu des années quatre-vingt dix , la Ley
de hidrocarburos 1689 et les décrets qui y sont
rattachés ont transformé le régime fiscal imposé aux
hydrocarbures. De cette façon, l’État créa deux
catégories d’impôts distincts. L’un portant sur les
réserves dites « existantes  » qui maintenait les
royautés à 50% de la valeur de la ressource, et l’autre,
sur les réserves « nouvelles  », qui abaissait les
royautés à un niveau de 18% de la valeur marchande.
En 2000, 95% des réserves étaient homologuées selon
le nouveau régime de royautés. [10] En plus de ces royautés, les entreprises pétrolières étaient également sujettes à une taxe de 25% sur les profits.
Promulguée en 1996, la loi stipulait que toute
ressource gazière et pétrolière se retrouvant dans le
sol bolivien demeurait propriété de l’État. La part
restante de l’entreprise YPBF était responsable de
représenter l’État dans l’administration de ces
ressources. Toutefois, ne disposant plus de ses
composantes responsables de l’exploration, de
l’exploitation et du transport, c’est par joint ventures
avec le secteur privé que s’effectuaient désormais les
opérations nécessaires à la commercialisation du gaz
naturel.
Les contrats d’exploration étaient régis par la loi et
comportaient certaines obligations. Ils étaient
attribués aux compagnies qui promettaient d’effectuer
le plus d’investissements. Ces contrats étaient valides
pour une période de 40 ans et stipulaient qu’une fois
le gaz extrait du sol, il devenait propriété de la société extractrice. Toutefois, la société qui avait découvert les réserves devait s’assurer qu’elle commercialiserait le gaz découvert dans un délai de dix ans, sinon elle perdait sont droit d’exploitation et c’est là que résidait l’enjeu principal pour les transnationales de l’énergie.
En effet, alors que les réserves n’avaient cessé
d’augmenter, les débouchés pour le gaz demeuraient
limités puisque la demande brésilienne s’était
stabilisée et l’Argentine avait de son côté découvert
de nouveaux gisements. Ainsi, le temps pressait afin
de mettre en branle des projets d’infrastructures
donnant accès aux importants marchés du Mexique et
de la côte Ouest des États-Unis d’Amérique (EUA).
Les résultats du référendum : Les Boliviennes et
les Boliviens contre l’exportation
Deux principaux constats émanent de l’analyse des
résultats du référendum. Tout d’abord, l’opposition,
bien que ne faisant pas consensus, demeure toujours
aussi forte et enracinée dans les départements les plus
populeux de la Bolivie. D’autre part, le flou entourant la réelle signification des questions [11] ne semble qu’avoir fait des gagnants, créant ainsi de nouvelles opportunités de mobilisation pour l’opposition, lorsque le gouvernement donnera suite aux résultats du référendum. Finalement, une conclusion s’impose : la population bolivienne demeure toujours aussi réfractaire à l’idée d’exporter
le gaz.
Lors de la campagne référendaire, l’opposition unifiée qui avait permis d’exercer une pression telle sur la Présidence de Sanchez de Lozada qu’il fut forcé de démissionner, s’est retrouvée divisée en deux camps. D’un côté, les militants radicaux issus du mouvement ouvrier et les partisans de la branche de la Confédération syndicale des travailleurs paysans
bolivien [12] associé au Mallku Felipe Quispe, la Centrale Ouvrière Bolivienne et la Coordination pour la défense du Gaz, ont prôné le boycott du référendum, demandant à la population de s’abstenir, de voter en blanc ou d’inscrire le mot « nationalisation  » sur leur bulletin de vote. De l’autre, l’opposition incarnée par Evo Morales et le Movimiento al Socialismo (MAS), s’est démontrée de plus en plus encline à jouer son rôle d’opposition des urnes plutôt que de la rue. Autrefois figure de proue de l’opposition radicale, Evo Morales a cette fois adopté une position plus conciliante, cherchant (une fois de plus) à élargir ses appuis au-delà des couches les plus marginalisées de la population. Ce dernier a appelé les Boliviennes et les Boliviens à participer au référendum en votant « oui  » aux trois premières questions et « non  » aux deux dernières.
Pour les radicaux, principaux artisans du soulèvement
ayant entraîné la chute de Sanchez de Lozada, le
référendum ne représentait qu’un simulacre de
consultation permettant au gouvernement d’asseoir sa
légitimité, mais surtout aux transnationales de
l’énergie de poursuivre le pillage des richesses
naturelles bolivienne. À leur avis, le référendum ne
posait pas la question essentielle touchant l’enjeu du
gaz, c’est à dire la renationalisation pure et simple des gisements gaziers et de leur commercialisation.
Selon leurs dires, plus de 80% des Boliviens appuyaient cette démarche. Toujours selon eux, le référendum constituait une mascarade puisque Carlos Mesa avait assuré qu’il laisserait intacts les 78 contrats joint venture signés en vertu de la loi des hydrocarbures de 1996 et que le référendum n’aurait pas d’effet rétroactif.
L’enjeu de la question 1, portant sur la modification
de la loi des hydrocarbures, visait davantage à asseoir
la légitimité de Carlos Mesa que tout autre chose. En
associant la loi des hydrocarbures à l’arrogant et
impopulaire ex-président Sanchez de Lozada,
nombreux sont les analystes qui ont affirmé qu’il
s’agissait là d’une tactique afin de distancer le
gouvernement Mesa de son prédécesseur. Recevant
86,64% d’appui, la modification de la loi des
hydrocarbures était également un préalable à l’appui
en faveur des propositions 2 et 3. La question 2, Ã
savoir si l’État devait récupérer la propriété des
hydrocarbures à la sortie des puits, recueillit le plus
fort pourcentage, avec 92,2% des votes valides.
Quant à la question 3, elle a reçu un fort taux d’approbation, avec 87,3% des votes valides. Les Boliviennes et les Boliviens ont massivement entériné
la refondation de l’entreprise publique YPBF et son
retour dans le secteur de l’exploration, de la
production et du transport des hydrocarbures. Pour
ce faire, le gouvernement prévoyait transférer à YPBF
les actions détenues par les citoyennes et les citoyens
dans les entreprises issues de la privatisation de cette
même YPBF, soit Chaco, Andina et Transredes. Ainsi YPBF serait appelée à participer directement aux activités productrices reliées aux hydrocarbures. Toutefois, elle ne jouirait que d’un contrôle extrêmement limité sur ces entreprises puisque les transnationales pétrolières demeureraient les actionnaires majoritaires conserveraient le contrôle des entreprises et en assureraient la gestion.
Les résultats du référendum ont démontré, entre
autres choses, que les Boliviennes et les Boliviens
n’accordaient qu’une importance secondaire à l’effet
de récupérer un accès maritime par l’intermédiaire
d’une négociation sur les conditions d’exportation du
gaz. Des cinq questions posées au peuple bolivien, la
question portant sur la récupération d’un couloir
d’accès à l’océan Pacifique (no 4), a recueilli le moins
d’appuis, soit 54,8% des votes valides. Par le fait
même, ces résultats réfutaient l’analyse répandue qui
y voyait la source de la rébellion des classes
populaires contre le Président Sanchez de Lozada en
octobre 2003. Nombreuses furent les analyses à se
baser sur des arguments nationalistes contre la
conclusion d’un accord d’exportation de gaz avec le
Chili. [13] Par conséquent, ces résultats démontraient clairement que le soulèvement d’octobre 2003 portait davantage sur les stratégies d’exploitation et de commercialisation du gaz que sur tout autre chose.
Finalement, les résultats à la question (no 5)
concernant l’exportation du gaz ont porté Ã
controverse parce que le « oui  » n’a obtenu que
61,7%. En revanche, le portrait change du tout au tout
si l’on comptabilise les votes blancs et les votes nuls,
puisque le niveau d’appui au « oui  » n’a atteint que
44,2%. À cet égard, un peu plus de 27,4% des
votants ont opté pour le « non  », alors que les votes
en blanc et les votes nuls ont totalisé 28,4%.
Si on fait la moyenne des résultats obtenus, en
séparant les trois premières questions des deux autres,
on aperçoit que le « non  » a fait un bond de quelque
22%, alors que les votes en blanc sont passés d’une
moyenne de 10,97% Ã 16,91%. L’augmentation de
quelque 21,29% de la moyenne du « non  » pour les
questions 4 et 5 démontre qu’Evo Morales et le MAS,
qui ont appelé à voter « oui  » aux trois premières
questions et « non  » aux deux dernières, ont maintenu
leurs appuis dans la population. Cette variation de
21,29% est identique à l’appui récolté par Morales
lors des élections présidentielles de 2002. pure et simple de la loi des hydrocarbures, s’est
déclaré satisfait des résultats et affirmait s’en tenir à son agenda en faveur de la renationalisation du gaz.
Du côté des radicaux, Jaime Solares, leader de la
Centrale Ouvrière Bolivienne, qui appelait au
[14] De par sa constance, quelque 0,5% de variation entre les deux moyennes, tout porte à croire que le vote nul
regroupait en fait les adhérents de l’opposition
radicale qui se sont rendus aux urnes afin d’inscrire le
mot « nationalisation  » sur le bulletin de vote. Fait
intéressant à noter, ce sont dans les départements de
La Paz et d’El Alto, ceux-là mêmes qui avaient mené
le soulèvement en octobre 2003, que les votes nuls
ont enregistrés des sommets, frisant respectivement
les 17 et 18%. [15]
La question no 5 laisse également transparaître les
confrontations régionales auxquelles est confrontée la
Bolivie. Le département de Santa Cruz, dorénavant la
plaque tournante de l’économie du pays mais
également du gaz, a voté en faveur de l’exportation Ã
hauteur de 70,1%. Le comité civique de Santa Cruz,
qui avait aligné sa position sur celle de l’industrie
pétrolière, demandait d’appuyer massivement la
proposition permettant l’exportation du gaz. Le
département de Tarija, riche en ressources gazières,
mais au faible poids démographique, a lui aussi
massivement appuyé l’exportation du gaz. Ces deux
départements avaient fait bande à part lors des
événements d’octobre 2003 et demandaient le respect
des engagements pris par Sanchez de Lozada, pour
des intérêts économiques évidents. Quant aux
départements de Cochabamba, fief du MAS, d’Oruro
de Potosi, traditionnellement associés au
mouvement ouvrier, entre 44 et 49% des électeurs ont
rejeté l’exportation des ressources gazières. [16]
L’importance du vote d’opposition à la question
portant sur l’exportation du gaz laisse présager la
continuité de l’instabilité bolivienne. Les propos
tenus au lendemain du référendum illustrent ce
paradoxe. Le Président Mesa a déclaré avoir
maintenant un mandat clair et fort de la part de la
population et qu’il allait le mettre de l’avant avec la
modification de la loi des hydrocarbures. Il en est
allé de même des représentants de l’industrie, qui ont
commenté les résultats du référendum en affirmant
qu’il s’agissait d’une étape importante dans la
stabilisation du climat politique de la Bolivie et dans
poursuite de l’exploitation des richesses gazière. De son côté, Evo Morales, qui milite pour l’abolition
pure et simple de la loi des hydrocarbures, s’est
déclaré satisfait des résultats et affirmait s’en tenir à son agenda en faveur de la renationalisation du gaz.
Du côté des radicaux, Jaime Solares, leader de la
Centrale Ouvrière Bolivienne, qui appelait au boycott, affirmait d’emblée que les résultats du
référendum allaient constituer le socle des futures
mobilisations populaires. Rappelant le taux
d’abstention de 40%, ainsi que le nombre de votes
d’opposition supérieur au nombre de « oui  » aux
questions 4 et 5, les autres leaders de l’opposition
radicale, tels que Felipe Quispe et Oscar Olivera, ont
contesté le triomphalisme de Carlos Mesa et
affirmaient, quant à eux, avoir le soutien de la
population dans leur campagne contre l’exportation
du gaz naturel et la révocation des contrats octroyés
aux transnationales en vertu de la loi des
hydrocarbures de 1996. Ils ont d’ailleurs promis
d’orchestrer des manifestations lors des travaux
parlementaires qui plancheront sur la nouvelle loi des
hydrocarbures. En somme, les résultats ne semblent
avoir fait que des gagnants. Toutefois, rien n’a
l’apparence d’une victoire absolue, ce qui est loin de
laisser présager une accalmie à moyen et long termes.
L’administration de Carlos Mesa demeure la seule Ã
blâmer dans la nouvelle structure d’opportunités
politique qui se dessine à l’horizon. En insistant pour
lancer une consultation populaire aux questions
vagues, le Président Mesa s’est ainsi assuré la marge
de manoeuvre qui faisait tant défaut aux
administrations précédentes. Mais, en insistant sur la
formulation de questions à la résonance creuse, il a
également fourni à l’opposition une occasion pour
revendiquer la légitimité d’interprétations,
incompatibles avec les siennes propres et avec celles
de son gouvernement. Bref, le référendum n’aura pas
permis de régler les tensions autour de l’enjeu du gaz. Au mieux, il remet le débat à plus tard, lors des
travaux parlementaires qui devront être consacrés Ã
l’élaboration de la nouvelle loi sur les hydrocarbures.
À ce moment-là , le gouvernement fera face Ã
l’opposition du MAS au Congrès et à une opposition
encore plus radicale dans la rue.
Les répercussions du référendum
Au lendemain du référendum, il s’agira maintenant de
surveiller quelle forme prendra la nouvelle loi des
hydrocarbures. À la lumière des résultats de la
consultation, la situation est encore une fois
paradoxale. Comment l’État bolivien, qui a
maintenant le mandat populaire afin d’hausser les
royautés sur les ressources énergétiques, s’y prendra-t-
il ? Tout d’abord, les contrats négociés par les
précédentes administrations pour l’exploitation des
gisements pour les 40 prochaines années, font en
sorte que les royautés sont fixées à un niveau
prédéterminé et relativement bas. La nouvelle loi ne
s’adressera qu’aux gisements qui seront homologués
dans le futur ou aux excédents de production.
Dans l’avant projet de loi sur l’abrogation du régime
des hydrocarbures, le gouvernement semble plutôt
pencher vers une taxe complémentaire sur les
hydrocarbures (TCH). La TCH s’appliquerait de
manière progressive aux exportations jusqu’Ã
atteindre 32% en 2012. Des questions sont soulevés
concernant le calcul de la TCH, puisque celle-ci
serait déductible de l’impôt sur les profits des
transnationales pétrolières, et que cette taxe ne
constituerait point une hausse des royautés à un
niveau de 50% de la valeur marchande du gaz. [17] De cette façon, le gouvernement arrimerait la hausse des revenus fiscaux issus du gaz à une hausse des exportations. Or la question des exportations est
celle-là même qui suscite le plus de controverses
parmi les Boliviennes et les Boliviens. Ces derniers
s’y sont opposés à près de 56%, toutes catégories de
votes d’opposition confondues.
En somme, le climat d’instabilité qui a caractérisé la
Bolivie au cours des dernières années, et plus
particulièrement, lors des événements ayant entraîné
la chute du gouvernement de Sanchez de Lozada,
peut être attribué au fossé existant entre les
revendications de la société civile organisée et les
élites politiques. Le référendum sur l’exploitation du
gaz naturel ne faisait pas exception à cette réalité,
puisque l’ambiguïté des questions laissait place à de
multiples interprétations qui réduisent les possibilités
de consensus.
Dans ce contexte, peu importe la voie adoptée par le
gouvernement Mesa, les risques que le gaz resurgisse
à l’agenda politique au cours des prochains mois n’est
pas à écarter. L’ampleur qu’a prise la mobilisation
des mouvements sociaux et des partis politiques de
gauche ne laisse pas présager une accalmie à court
terme et ce, d’autant moins que des élections
municipales sont prévues pour décembre 2004.
Annexe
Questions référendaires
1. ¿Esta usted de acuerdo con la abrogacion de la ley de hidrocarburos no 1689 promulgada por Gonzalo
Sanchez de Lozada ? Si o No
Etes-vous d’accord avec la modification de la loi des hydrocarbures 1689 telle que promulguée par Gonzalo
Sanchez de Lozada ? Oui ou Non
2. ¿Esta usted de acuerdo con la recuperacion de la propiedad de todos los hidrocarburos en boca de pozo
por el Estado boliviano ? Si o No
Etes-vous d’accord avec la récupération de la propriété de tous les hydrocarbures à la sortie des puits, par
l’État Bolivien ? Oui ou Non
3. ¿Esta usted de acuerdo en refundar Yacimiento Petroliferos Fiscales Bolivianos, recuperando la
propiedad estatal de las acciones de las bolivianas y bolivianos en las empresas petroleras capitalizadas
de manera que pueda participar en toda la cadena productiva de los hidrocarburos ? Si o No
Etes-vous d’accord avec la refondation de Yacimiento Petroliferos Fiscales Bolivianos, récupérant ainsi la
propriété publique des actions des Boliviennes et des Boliviens dans les entreprises pétrolières au capital
ouvert, de manière à ce que cette dernière puisse participer dans tous les segments de production des
hydrocarbures ? Oui ou Non
4. ¿Esta usted de acuerdo con la politica del presidente Carlos Mesa de utilizar el Gas como recurso
estratégico para el logro de una salida util y soberana al océano Pacifico ? Si o No
Etes-vous d’accord avec la politique du Président Carlos Mesa d’utiliser le gaz comme ressource stratégique
afin de récupérer un accès souverain à l’Océan Pacifique ? Oui ou Non
5. ¿Esta usted de acuerdo con que Bolivia exporte gas en el marco de una politica nacional que : cubra el
consumo de gas de las bolivianas y los bolivianos, fomente la industrializacion del gas en territorio
nacional ; cobre impuestos y/o regalias a las empresas petroleras llegando al 50 por ciento del valor de la
produccion del gas y el petroleo en favor del pais ; destine los recursos de la exportacion e
industrializacion del gas principalmente para educaion, salud, caminos y empleos ? Si o No
Etes-vous d’accord pour que la Bolivie exporte le gaz naturel dans le cadre d’une politique nationale qui :
couvre la consommation de gaz des Boliviennes et des Boliviens, stimule l’industrialisation du gaz en
territoire national, perçoive impôts et royautés aux entreprises pétrolières jusqu’à 50% de la valeur de
production du gaz et du pétrole ; destine les ressources de l’exportation et de l’industrialisation du gaz
principalement en faveur de l’éducation, la santé, infrastructures routières et la création d’emplois ? Oui ou Non
[1] Pour davantage de détails à ce sujet, voir Herbert Klein, A Concise History of Bolivia. Cambridge : Cambridge University Press, 2003. Voir également Laurence Whitehead, “Bolivia and the Viability of Democracy,” The Journal of Democracy 12:2,
2001, 6-16.
[2] Voir Kevin Healy, “Political Ascent of Bolivia’s Peasant Coca Leaf Producers”, Journal of Interamerican Studies and World Affairs 33:1, 1991, 87-122 ; Kathryn Ledebur, “Coca and Conflict in the Chapare,” Drug War Monitor, July 2002.
[3] Benjamin Kohl, “Restructuring Citizenship in Bolivia : El Plan de Todos”, International Journal of Urban and Regional Research 27:2, 2003, p. 337-351.
[4] La ville de Sucre est la capitale constitutionnelle.
[5] Pour plus de détails quant à la chronologie des événements ayant mené à la démission du Président Sanchez de Lozada, voir : “Goni Goes, Mesa Faces Massive Task,” Latin American Andean Group Report, November 4, 2003, p. 4-6. En langue française, voir également, sur le site de l’Observatoire des Amériques, la chronique de Denis Langlois : La Bolivie d’après 2003 : entre la crise d’un modèle et la recherche d’une alternative, Université du Québec à Montréal, 3 novembre 2003. En ligne : http://www.er.uqam.ca/nobel/ieim/article-obs.php3?id_article=1105
[6] Benjamin Kohl, (fn 3) p. 445-446.
[7] Juan Antonio Morales,. “Democracy, Economic Liberalism and Structural Reform in Bolivia,” in William C. Smith, Carlos H. Acuna and Eduardo A. Gamarra, eds., Democracy, Markets and Structural Reforms in Latin America, London : Transaction Publishers, 1994.
[8] Lykke Andersen et Mauricio Meza, The Natural Gas Sector in
Bolivia : An Overview, Instituto de Investigaciones Socio-Economicas, Universidad Catolica Boliviana, La Paz, 2001, p. 5-6.
[9] YPBF, Informe Mensual Enero - Febrero 2003, Disponible en ligne : http://www.ypfb.gov.bo/infom2003/ENE-FEB_2003/2003enefeb.html
[10] La Razon, 06/08/2000. Cité par Andersen et Meza, (fn 7) p. 11.
[11] Voir les questions en annexe.
[12] Confederacion Sindical Unica de Trabajadores Campesinos.
[13] Les relations avec ce pays voisin sont teintées d’une forte animosité depuis que la Bolivie s’est fait amputer une partie de son territoire, lors de sa défaite dans la guerre du Pacifique en 1879.
[14] Sur les élections présidentielles de 2002, voir Donna Lee Van Cott, “From Exclusion to Inclusion : Bolivia’s 2002 Elections.” Journal of Latin American Studies, 35, 2003, p. 751-775. En langue française, voir également, sur le site de l’Observatoire des Amériques, la chronique de Louis-F. Gaudet et Sylvain F. Turcotte : La Communauté andine des nations : Bilan 2002,
Université du Québec à Montréal, janvier 2003. En ligne : http://www.er.uqam.ca/nobel/ieim/article-obs.php3?id_article=399
[15] La Razon, 19/07/2004, p. A9.
[16] Corte Nacional Electoral de Bolivia, Resultados del referendum
2004. Disponible en ligne : http://www.cne.org.bo/index.html
[17] Voir à cet effet, les analyses du Centro de Estudios para el
Desarrollo Laboral y Agrario (CEDLA). Disponible en ligne à : http://www.cedla.org
Source : La Chronique des Amériques n°26, Observatoire des Amériques http://www.ameriques.uqam.ca/, Université du Québec à Montréal, septembre 2004.