La « connexion hamburger  » et la déforestation de l’Amazonie
par Oscar Gutiérrez
Article publié le 10 mai 2004

Rien qu’au cours de l’an dernier, l’Amazonie brésilienne a pratiquement perdu 24.000 km² de forêt tropicale selon les dernières données de l’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (INPE). Ce chiffre, recueilli àl’aide d’images satellites, indique une augmentation de 40% de forêt amazonienne en proie àla déforestation, une superficie similaire àcelle d’un pays comme Haïti. Parmi les raisons de cette déforestation impossible àarrêter, un fait ressort d’une étude récente du Center for international forestry research (CIFOR) : l’augmentation des exportations de viande brésilienne vers le marché européen.

Mais pourquoi donc la demande de viande brésilienne conduit-elle àla déforestation de l’Amazonie ? L’étude réalisée par le CIFOR signale que la croissance du nombre de têtes de bétail en Amazonie brésilienne a doublé au cours des 12 dernières années. En d’autres termes, 80% des nouvelles têtes de bétail sur le territoire brésilien choisissent l’Amazonie comme résidence. Et si le bétail a besoin d’espace, il paraît clair que la plus grande forêt vierge du monde cède du terrain en faveur de milliers de kilomètres de nouvelles pâtures.

C’est le même phénomène qui était décrit dans les années 80 en Amérique centrale par le célèbre chercheur écologiste Norman Myers. La croissance des exportations de cette région vers les chaînes de fast food aux Etats-Unis accélérait le processus de déforestation de ses campagnes. Pour définir ce phénomène, Myers a utilisé l’expression « Connexion hamburger  ». A cette époque, le Brésil ne faisait pas partie de cette connexion étant donné son faible taux d’exportation de viande de bÅ“uf et sa préférence pour la consommation interne.

Aujourd’hui, cependant, c’est le pays qui possède le plus grand nombre de têtes de bétail du monde et il est le leader des exportations mondiales de viande de bÅ“uf. La croissance rapide de ce marché vers l’extérieur a été spectaculaire au cours des dernières années pour atteindre le chiffre de 1.500 millions de dollars, c’est-à-dire trois fois sa valeur de 1995.

Les causes de cette croissance rapide sont expliquées par le CIFOR : le Brésil a, en premier lieu, dévalué sa monnaie de 1,2 réales/dollar à3,6 réales/dollar en quatre ans. Cela se traduit par une baisse du prix de la viande en dollars (favorisant son exportation) et une augmentation de son prix en réales (favorisant les bénéfices de l’éleveur brésilien et augmentant les incitants àétendre les pâtures). En deuxième lieu, le Brésil n’a pas souffert de la maladie de la vache folle, qui a limité les exportations de concurrents comme l’Argentine, ni de la grippe aviaire asiatique, qui a favorisé le bÅ“uf et le veau dans les menus internationaux. En outre, depuis un an, les certificats garantissant que la viande vendue n’a pas été affectée par la fièvre aphteuse se multiplient. La croissance rapide du secteur de la viande brésilienne est due, en dernier lieu, àl’amélioration des réseaux routiers et d’électricité ainsi qu’aux investissements dans l’industrie de la transformation de la viande.

La « connexion hamburger  » des années 80 est devenue l’« effet hamburger  » aujourd’hui. Comme le remarque David Kaimovitz, directeur du CIFOR : « Les éleveurs sont en train de transformer l’ Amazonie en viande hachée.  »

En outre, tout cela se passe dans les zones de forêt tropicale sur le territoire brésilien : neuf états, 5 millions de kilomètres carrés (50% du pays) et 20 millions d’habitants. Cela se passe au détriment du « poumon du monde  », refuge de 30 % de la vie végétale et animale de la planète, indispensable pour freiner le progrès du réchauffement climatique global.

Car la déforestation favorise le changement climatique. Les zones vertes sont précisément celles qui absorbent la majeure partie du dioxyde de carbone accusé d’être la principale cause de l’effet de serre. La quantité de dioxyde de carbone reste inchangée jusqu’àaujourd’hui. Ce qui diminue par contre, ce sont les hectares verts sur la planète. Dans ce scénario, ce sont les plantes qui ont une tendance àcroître rapidement qui survivent. Elles utilisent une grande quantité de dioxyde de carbone comme fertilisant. Les espèces qui croissent plus lentement et qui, généralement, doivent absorber plus de dioxyde de carbone, ont tendance àdisparaître. Le résultat est évident : plus de dioxyde de carbone associé àune capacité moindre d’absorption.

Le soja aussi

Outre l’utilisation de l’Amazonie comme un gigantesque pâturage pour le bétail, les écologistes dénoncent aussi souvent la culture du soja. Premièrement, parce que les zones dédiées àcette culture ont été pratiquement multipliées par 20 et, en second lieu, àcause de l’origine transgénique du soja cultivé. Le Brésil est actuellement le quatrième producteur mondial de soja transgénique et, si la tendance se maintient, il pourrait être le premier d’ici quelques années devant les Etats-Unis.

A la culture de soja transgénique, s‘ajoute l’achat et la vente de bois non certifiée d’Amazonie (obtenu grâce àdes tailles illégales d’arbres) et l’explosion des infrastructures dans le but de réduire les coà»ts. Si cela réduit effectivement les coà»ts, cela double aussi la déforestation (75% des zones déboisées en Amazonie se trouvent sur une bande de 50 kilomètres de part et d’autre des routes).

Un nombre trop élevé de « maladies  » du poumon de la terre, pourrait, selon le Cifor, aboutir àla déforestation d’une superficie équivalente àcelle du Danemark d’ici un an et demi. Un premier pas est tenté par le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva avec le Plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation de l’Amazonie. Il s’agit de surveiller l’occupation illégale de terres par les éleveurs, limiter l’excès d’infrastructures qui peuvent être àl’origine de déforestation, protéger et enregistrer publiquement les terres les plus menacées de devenir des pâtures et promouvoir des incitants àla conservation des zones vertes.

Mais il n’y a pas de ressources du fait de l’austérité avec laquelle le gouvernement actuel doit travailler et il n’existe pas non plus de soutien international. Par conséquent, le Plan est boiteux alors que l’Amazonie brésilienne devient muette. Muette car elle commence àmanquer d’air pour pouvoir respirer. C’est d’abord son tour mais le nôtre viendra.

Source : ADITAL (http://www.adital.org.br/), 15 avril 2004.

Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.

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