Après des mois de tension et d’incertitudes, le couperet est enfin tombé. Il y aura bien un référendum révocatoire au Venezuela. En effet, ce jeudi 3 juin 2004, le Conseil national électoral (CNE) a annoncé, sur la base de chiffres préliminaires, que l’opposition avait recueilli suffisamment de signatures pour entamer le processus référendaire qui devrait culminer au mois d’aoà »t prochain - le 15 exactement - et décider de l’avenir du pays. Il a également annoncé que neuf députés d’opposition seraient soumis, à l’instar du président de la République, à un référendum révocatoire.
Revenons sur cette longue bataille politique et juridique :
La nouvelle constitution
Le principe de l’organisation d’un référendum révocatoire contre tout élu public, à partir de la moitié de son mandat, a été introduit par la majorité ‘chaviste’ dans la nouvelle constitution du pays, adoptée lors d’un référendum populaire le 15 décembre 1999. L’article 72 de la Constitution bolivarienne du Venezuela dit : « Toutes les charges et magistratures de l’élection populaire sont révocables. Passée la moitié de la période à laquelle a été élu le ou la fonctionnaire, un nombre qui ne peut être inférieur à vingt pour cent des électeurs ou électrices inscrit(e)s dans la circonscription correspondante pourra solliciter la convocation d’un référendum pour révoquer son mandat. Quand le nombre d’électeurs ou d’électrices, égal ou supérieur, à vingt cinq pour cent des électeurs ou électrices inscrit(e)s aura voté la révocation, on considère le mandant révoqué. On procédera immédiatement à couvrir la vacance du poste conformément aux dispositions de la présente Constitution et la loi. La révocation du mandat pour les membres du corps se réalisera en conformité avec la loi. Durant la période de son mandat, le ou la fonctionnaire ne peut subir plus d’une sollicitation de révocation de son mandat.  » [1]
Au cours du processus constituant de 1999, plusieurs adversaires du gouvernement qui appuient aujourd’hui le référendum révocatoire pour démettre le président s’étaient prononcés contre son inclusion dans la nouvelle constitution du pays.
L’arbitre électoral
La nouvelle constitution vénézuélienne a défini cinq pouvoirs : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir citoyen et le pouvoir électoral représenté par le Conseil national électoral (CNE) qui a pour fonction de gérer les registres électoraux et de réguler et d’organiser référendums et élections en vertu de la Constitution. Il doit jouer le rôle d’arbitre. Ses membres doivent pouvoir se situer au-dessus de la « mêlée  ».
Jusqu’en aoà »t 2003, la direction du CNE était ouvertement contrôlée par des opposants à Chavez. En vertu du pacte signé par l’opposition et le gouvernement le 29 mai 2003, sous l’égide de l’Organisation des Etats américains (OEA), cette direction a été renouvelée mais la nomination de ses cinq membres n’a pas été chose aisée.
L’été dernier, après des semaines de débats, de polémiques politiques et juridiques, de blocages institutionnels à l’Assemblée nationale, le Tribunal suprême de justice (Cour suprême) a finalement désigné les membres du nouveau Conseil national électoral. Deux proches de la majorité présidentielle et deux autres de l’opposition ont été nommés. C’est la désignation du président qui fut la plus difficile.
En effet, deux présidents préssentis, Moisés Troconis Villarreal et Eleazar DÃaz Rangel, avaient à l’époque décliné l’offre du Tribunal suprême de justice à cause de la pression des médias commerciaux. Ce qui avait fait dire à Roberto Malaver, journaliste et professeur d’université, au quotidien Panorama que « les médias ne sont pas des médias sinon des partis politiques (...) Le cinquième membre du Conseil national électoral dépend plus du pouvoir médiatique que du Tribunal suprême.  » [2] C’est Francisco Carrasquero qui a été finalement nommé à ce poste. Selon Maurice Lemoine, « si quelques secteurs de la Coordination démocratique (opposition) le considèrent avec méfiance, beaucoup voient en lui un « antichaviste  » : des membres de sa famille ont été licenciés de PDVSA lors de sa reprise en main.  » [3]. Cette nomination a donc été approuvée dans un premier temps par les parties en présence. « Mais le bonheur fut de courte durée. Quand l’opposition se rendit compte que le CNE ne se prononcerait pas en sa faveur, mais qu’il se fondait sur la Constitution et la loi, elle a entrepris une campagne pour saper sa crédibilité.  » [4]La décision de ce 3 juin prouve, s’il fallait en douter, que ces accusations étaient non fondées.
Le précédent du « Firmazo  »
Il y a un an et demi, l’opposition engagée dans le sabotage pétrolier de décembre 2002 et janvier 2003 [5], tentait d’imposer au pays un référendum consultatif - qu’elle voulait révocatoire - faisant fi des normes constitutionnelles. Selon l’article 71 de la Constitution, seules les matières de droit international et les matières particulières, municipale, communale et étatique, pourront être soumises à un référendum consultatif. L’élu public (le président, le maire, le député, etc.) ne peut être soumis qu’à un référendum révocatoire. Selon ses propres dires, le 2 février 2003, l’opposition recueillit quelques quatre millions de signatures qui avaient été acceptées par le Conseil national électoral, aux mains de l’opposition à l’époque. Par la suite, en se basant sur la Constitution, le Tribunal suprême de justice rejeta les signatures et annula cette tentative frauduleuse de convoquer un référendum.
Le 19 aoà »t 2003, date de la mi-mandat du Président Chavez, l’opposition remit les mêmes signatures au nouveau Conseil national électoral. Les représenter, sept mois après leur collecte, c’est anticonstitutionnel - malgré le flou entourant à l’époque la procédure -, et c’était aussi considérer l’ « opinion publique  » comme étant statique.
A l’époque de la collecte des signatures, les chiffres, annoncés publiquement, étaient différents selon qu’ils étaient donnés par l’un ou l’autre des groupes ou leaders d’ opposition, ce qui permet de douter de leur validité. De plus, ces fameuses signatures ont été contestées dès les premiers jours par le camp « chaviste  ». De nombreuses personnes se sont plaintes d’avoir été forcées de signer, dans des entreprises par exemple. Certains ont dénoncé le recours à des banques de données de certaines institutions financières. Deux députés de la majorité présidentielle se sont même étonnés de faire partie des signataires. De plus, aucun organe, à l’exception de l’ONG d’opposition Súmate -financée par les Etats-Unis via la National Endowment for Democracy (NED) -, n’a supervisé la collecte des signatures.
En réutilisant ces pétitions, les dirigeants de l’opposition devaient être bien conscients qu’elles étaient totalement illégales et que le gouvernement ne pourrait les accepter. L’important était de montrer à la communauté internationale que Chavez ne voulait pas se soumettre à un référendum. Et là encore, pour faire passer le message, les médias internationaux ont été d’une aide précieuse.
Ces signatures ont été à nouveau et logiquement rejetées par le Conseil national électoral.
Fraude dénoncée, fraude avérée
Dés sa nomination, en aoà »t 2003, le nouveau Conseil national électoral établit les normes devant régir une collecte de signatures pour solliciter un référendum. Tout était donc prêt.
Du 21 au 24 novembre 2003, les partisans du gouvernement se sont mobilisés pour récolter les signatures nécessaires à la révocation de 37 députés nationaux de l’opposition, dont une bonne partie furent élus sur les listes ‘chavistes’. Au cas où le mandat de certains de ces députés était révoqué, leur suppléant (qui eux sont encore ‘chavistes’) prendrait leur place. Ce qui renforcerait la faible majorité présidentielle (le ‘Bloque del Cambio’) à l’Assemblée nationale.
Une semaine plus tard, du 28 novembre au 1er décembre, c’était au tour de l’opposition de mobiliser les partisans d’un changement de régime afin de recueillir les signatures nécessaires. Au cours de ces journées, le gouvernement et ses partisans ont accusé l’opposition d’organiser une « méga-fraude  ». Chavez a d’ailleurs menacé de faire appel au Tribunal suprême de justice si cette fraude n’était pas reconnue.
Au-delà de l’extrême méfiance régnant entre les parties et de déclarations parfois intempestives et exagérées, de nombreux indices tendaient en effet à confirmer les déclarations gouvernementales. La question était de savoir l’ampleur de la fraude : si elle était marginale ou généralisée.
Dés le début du processus, les dénonciations se sont accumulées. Le 29 novembre, un des directeurs du CNE affirmait que des personnes s’étaient vues obligées de signer dans un hôpital pour bénéficier de soins. Un groupe de 52 observateurs internationaux composé d’intellectuels, de parlementaires, de dirigeants sociaux, de journalistes, etc. provenant de 35 pays a dénoncé que « dans tous les centres de collecte visités, nous avons reçu les témoignages de personnes qui ont été l’objet de diverses formes de menaces et de pressions afin de signer, par exemple : perte d’emploi ; exclusion des traitements hospitaliers ; pressions patronales pour exiger la signature en tant qu’obligation de la part des travailleurs, et, parfois, des signatures d’une même personne dans différents centres.  » [6]
Le rapport des observateurs dit également que « dans la quasi-totalité des centres de collecte observés, nous (avons constaté) l’existence de documents parallèles à ceux établis par le Conseil national électoral et dont l’objectif n’a pas été éclairci par la Coordination démocratique : Il s’agit a) d’une carte sur laquelle la personne doit s’identifier et apposer une empreinte digitale : il s’agit d’un mécanisme non-officiel de contrôle de leur participation au processus. b) De petits formulaires non-officiels, d’identification de la personne, du numéro du centre et du formulaire officiel.  » [7] Peu de jours auparavant divers employeurs avaient en effet annoncé qu’ils contrôleraient que tous leurs employés avaient bien signé et qu’ils disposaient bien de la précieuse carte. Le texte de la carte spécifiait que son porteur "a laissé pour l’histoire la preuve de son souhait de chercher une issue pacifique (...) à la crise du pays". On peut facilement imaginer les conséquences d’une telle pratique pour ces employés et en cas de victoire de l’opposition.
D’autres éléments sont venus renforcer les soupçons de fraude massive :
Au lendemain des quatre jours de collecte, plusieurs dirigeants de l’opposition ont communiqué des chiffres contradictoires, allant de 2,8 millions à 4 millions.
Les organisateurs de la collecte ont attendu trois semaines après les dates de collecte admises par la loi pour remettre les signatures récoltées aux autorités électorales. Chávez a affirmé qu’au cours de cette période, des formulaires supplémentaires avaient été illégalement remplis et utilisés. Le président a montré plusieurs copies de formulaires suspects au cours de son émission hebdomadaire en direct à la télévision. Le gouvernement possède des photocopies officielles qu’il a obtenues du CNE. Chavez a déclaré que les inspecteurs du gouvernement avaient déterminé qu’un grand nombre de numéros d’identité utilisés dans les formulaires appartenaient à des citoyens décédés. Il a fait valoir que de nombreux formulaires pourraient avoir été pris dans des centres autorisés de collecte des signatures et remplis dans d’autres lieux par des tiers utilisant de fausses identités.
L’enregistrement d’une conversation téléphonique [8] (probablement illégal, mais apparemment très courant sous tous les gouvernements du Venezuela) entre un ex-Procureur général et son fils, tous deux activistes de l’opposition, est venu renforcer la conviction de fraude. Selon eux, Súmate, l’ONG d’opposition qui a coordonné la campagne pour le référendum, a averti les dirigeants opposants, au cours d’une réunion confidentielle, qu’elle n’avait comptabilisé que 1,9 million de signatures - un chiffre qui concorde avec les estimations avancées par les chavistes.
De plus, alors que l’opposition est toujours prompte à réagir et à annoncer la fin du régime « autoritaire  » de Chavez, son attitude, au terme des quatre jours de pétition, a surpris. Selon Maurice Lemoine, « un impressionnant silence a régné, le 1er décembre au soir, sur l’est de Caracas [les quartiers aisés]. Les leaders de l’opposition ont alors le visage de la déroute. Le théorique groupe des cinq candidats à sa direction (le G-5) - MM. Henry Ramos Allup (Action démocratique), Julio Borges (Primero Justicia), Enrique Mendoza (gouverneur de l’Etat de Miranda), Juan Fernández (Gente de petroleo) et Henrique Salas Römer - se fait très discret, évite les studios de télévision, n’invite à aucun défilé de victoire, aucune célébration...  » [9]
Avec des semaines de retard, les résultats sont finalement tombés le 24 février 2004. Selon le Conseil national électoral, l’opposition a remis 3.479.120 signatures. 1.910.965 ont été validées, 375.241 ont été ont été rejetées car frauduleuses ou pour non-conformité avec le registre électoral (personnes non inscrites, mineurs d’âge, étrangers, décédés, etc.). Enfin, 1.192.914 ont été soumises à un processus de réparation/ confirmation car elles présentaient une calligraphie similaire, ce qui signifiait que les formulaires avaient été remplis par une même personne. [10]
La thèse de la « mégafraude  » émise par le gouvernement, et présentée souvent par les médias comme une ultime tentative de Chavez pour échapper au référendum, fut d’une certaine manière confirmée. A la suite de cette décision, l’opposition a organisé des manifestations et des actes de violence dans les rues de Caracas. A l’occasion du sommet du G15, des combats l’ont opposé à la Garde nationale. La Coordination démocratique a ensuite essayé de contourner la décision du CNE par des voies juridiques en faisant appel à la Salle électorale du Tribunal suprême de justice. Maurice Lemoine rapporte les propos du vice-président de la République Rangel : « S’ils étaient sà »rs de la légitimité de ces signatures, de ces empreintes digitales et de ces numéros de carte d’identité, ils ne créeraient aucun problème ! Pourquoi ont-ils peur de la vérification ? Si j’ai signé, j’y vais et je confirme : effectivement, cette signature est la mienne.  » [11]
Finalement, après des hésitations et des divisions en son sein, l’opposition s’est pliée à la décision du CNE et a participé au processus de confirmation des signatures.
Une victoire de l’opposition ?
L’opposition a donc réussi à récolter suffisamment de signatures pour mener à bien un processus révocatoire contre Chavez. Mais s’agit-il d’une « première victoire contre Chavez  » comme l’ a affirmé, le 5 juin, le journal français Libération ? Un peu plus de 2,5 millions de signatures n’est évidemment pas un chiffre négligeable, loin s’en faut. Mais peut-on parler de victoire pour autant ?
Le conflit vénézuélien a éclaté en décembre 2001 suite à l’adoption par le gouvernement de 49 décrets-lois de réformes de plusieurs pans de l’économie (loi des Terres, loi de la Pêche, loi sur les hydrocarbures, etc.) et à l’organisation, le 10 décembre 2001, d’un lock-out patronal, appuyé notamment par le Bloque de prensa (les médias commerciaux). L’année 2002 a été le théâtre d’un profond processus de polarisation politique et sociale qui a divisé la société vénézuélienne. L’opposition a organisé en un an quatre « grèves  » générales dont une a conduit au coup d’Etat du 11 avril 2002, et une autre au sabotage pétrolier dont a été victime la société publique PDVSA en décembre 2002 et janvier 2003. A chaque tentative de déstabilisation, Chavez est ressorti plutôt renforcé car l’opposition lui a permis de nettoyer l’armée de secteurs non-démocratiques et l’entreprise pétrolière de gestionnaires et administrateurs qui ne voulaient pas se plier à la réforme pétrolière du gouvernement. Depuis le début du conflit, Chavez a appelé l’opposition à attendre la moitié de son mandat et à organiser un référendum révocatoire auquel il s’est dit disposé à se soumettre. Les dirigeants de l’opposition n’en avaient que faire et ont tenté de se débarrasser du Comandante par des moyens violents. Accusant défaites sur défaites, l’opposition a dà » se résoudre à accepter le règles démocratiques. C’est ce qu’a dit le président ce jeudi 3 juin après l’annonce des résultats, « Ils ont refusé les chemins du terrorisme, du coup d’Etat. Qu’ils soient les bienvenus sur les chemins de la démocratie. » [12]Le référendum, qui se tiendra en aoà »t 2004, est la dernière possibilité constitutionnelle pour l’opposition de se débarrasser de Chavez avant les élections présidentielles de 2006. Sa révocation n’est nullement garantie. Au contraire.
L’opposition devait recueillir les signatures de 20 % du corps électoral - soit 2,4 millions de personnes - pour solliciter un référendum. 2.553.051 signatures ont été totalisées. On est donc loin des 4 millions, 5 millions, voire plus de citoyens vénézuéliens qui allaient signer, selon certains dirigeants de l’opposition. Où sont donc ces 60 ou 70% de Vénézuéliens qui, selon certains sondages, veulent se débarrasser de Chavez ?
Lors de la dernière élection présidentielle, le 30 juillet 2000, Chavez avait remporté 59,76% des suffrages, à savoir 3.757.773 votes. Son principal opposant, Francisco Arias Cardenas, avait quant à lui recueilli 2.359.459 voix, équivalent à 37,52% des suffrages exprimés. En queue de peloton, Claudio Fermin avait récolté un petit 2,72%, 171.346 voix. L’abstention avait atteint 43, 55% et les votes nuls 5,5%. [13] Au vu de ces chiffres, peut-on considérer que le rapport de force ait vraiment changé ?
Les médias martèlent que Chavez serait devenu impopulaire. Sylvie Kauffman disait dans Le Monde : « Porteur d’un immense espoir lors de sa première élection en 1998, le président du Venezuela a finalement dilapidé son capital de confiance.  » [14] Rien n’a encore été prouvé. En quatre jours, l’opposition n’a réussi à récolter que quelques dizaine de milliers de signatures de plus que ce qui était nécessaire pour convoquer un référendum. Pour le gagner, elle devra obtenir en une seule journée :
Plus que les 3 757 733 voix obtenues par Chávez lors de son élection en 2000 ;
Un nombre de suffrage supérieur à ceux qui s’exprimeront en faveur de la permanence de Chavez au pouvoir.
De plus, le taux de participation devra atteindre au minimum 25% du corps électoral, ce qui ne devrait pas être un problème.
La démocratie renforcée
La tenue prochaine du référendum démontre, pour ceux qui en doutaient que le Venezuela est bien une démocratie, avec toutes ses failles et ses dysfonctionnements. A tous ceux qui l’accusent d’être un autocrate, de construire un régime autoritaire ou de mener le pays vers une dictature « castrocommuniste  », Chavez a affirmé qu’il respecterait les résultats et c’est ce qu’il a fait dès leur annonce.
Il y a pourtant matière à débat. Nombreux sont ses partisans qui n’acceptent que difficilement la décision de l’exécutif. Les dirigeants de l’opposition actuelle sont les mêmes qui ont participé et/ ou soutenu le coup d’Etat et le sabotage pétrolier. Ce sont les mêmes qui ont fait fermer des médias (notamment la chaîne publique, lors du coup d’Etat), arrêté et torturé des partisans du gouvernement, qui envoient leurs sicaires assassiner des paysans, etc. Leurs discours sur la démocratie et les droits humains est en porte-à -faux avec leurs pratiques.
La fraude massive avérée durant le processus de collecte de signatures à la fin de l’année 2003 s’est répétée au cours du processus de vérification, en mai dernier. Plusieurs opérations policières ont été menées. Des milliers de cartes d’identités clonées ont été confisquées. L’opposition a une telle capacité de mobilisation que plusieurs milliers de morts sont même venus confirmer leur signature !!!
Des 1.192.914 signatures que les opposants devaient confirmer, seul 773.755 l’ont été. De plus, quelques 91.669 personnes sont venues retirer leur appui à un référendum contre le président de la République. 682.086 signatures se sont donc ajoutées aux 1.910.965 validées en février. L’opposition a obtenu sur le fil le nombre de signatures nécessaires, mais que s’est-il passé avec les autres citoyens vénézuéliens qui devaient ratifier leur signature ? Ont-ils changé d’avis ? Ont-ils perdu espoir dans l’organisation d’un référendum ? Ou est-ce une preuve de plus de la fraude massive ?
Malgré les faits, Chavez a décidé de reconnaître à l’opposition son droit à organiser un référendum révocatoire. Contrairement aux fantasmes de nombreux opposants et journalistes, il respecte ainsi la volonté d’une partie de la population et ne la sanctionne pas pour les agissements frauduleux de plusieurs dirigeants d’opposition et terroristes de certains groupes militaires d’extrême droite. Chavez a-t-il cédé face aux pressions, très fortes au niveau international ? A-t-il accepté le référendum car il est optimiste quant à son résultat ? Ou, dans le fond, face à tant d’irrégularités, ne s’agit-il pas d’un comportement profondément démocratique ?
La bataille finale !
Chavez reconnaît les résultats mais ne rend pas les armes. La croissance économique, l’application de nombreux programmes sociaux qui portent leurs premiers fruits et les sondages lui permettent de croire fermement dans une victoire. « Maintenant commence la véritable bataille du référendum révocatoire présidentiel  », a-t-il affirmé. « Dans mon esprit il n’y a pas la moindre once de défaite  » [15]. En bon militaire, le chef de l’Etat, lors de son intervention télévisée, a affirmé que ce qui s’était passé aujourd’hui est le modèle de comment on conduit une force adverse vers une position déterminée pour lui donner le coup de grâce.
« Ils sont dans cette campagne depuis un an, surtout ces derniers mois et avec quels avantages, quasi toutes les chaînes de télévision, de radio et les journaux privés [16], tous les jours, soutiennent l’appel au référendum révocatoire en l’appuyant sans aucune limite. Vous avez eu quatre jours pour collecter les signatures, et trois en plus [pour le processus de vérification], ce qui fait sept, et vous arrivez à peine à 20,6 pour cent des électeurs. C’est avec cela que vous allez gagner ? C’est avec cela que vous allez me sortir d’ici ?  » [17] Et le président de donner rendez-vous à l’opposition dans deux mois pour une nouvelle bataille de Santa Inès.
Pour ce faire, le président a créé une nouvelle structure nationale : le Comando Maisanta [18], qu’il dirige personnellement en plaçant à sa tête des personnes de confiance, et a appelé une nouvelle fois au renforcement de l’auto-organisation de la population.
Fidèle à lui-même, le Comandante a évoqué l’histoire du pays pour parler de l’actualité présente. « Je ne sais pas pourquoi cela ressemble, du point de vue politique, à la Bataille de Santa Inès. Aujourd’hui, j’annonce aux Vénézuéliens que je me convertis en Commandant de la Campagne de Santa Inès, à partir d’aujourd’hui et jusqu’au jour du référendum révocatoire.  » Chavez a évoqué le souvenir du « Général du peuple souverain  », Ezequiel Zamora, figure importante de la guerre fédérale qui opposa les conservateurs aux libéraux et fédéralistes, entre 1853 et 1869.
« Zamora fut un grand stratège. Un jour, quand il ne pouvait maintenir ses forces dans la ville de Barinas, il commença à se replier et laissa les forces adverses occuper la capitale de cette province. C’était en 1859. Zamora se replia et l’oligarchie conservatrice prit Barinas et avança en disant : « Nous avons mis Zamora en échec ! Il se retire  ». Et ils commencèrent à faire la fête.  » Et Chavez d’expliquer la tactique militaire de Zamora qui fit croire au Conservateurs qu’ils avaient gagné, alors qu’il s’agissait d’un retrait tactique pour les attirer dans les plaines de Santa Inès [19] et leur donner le coup final le 10 décembre 1859.
Après l’annonce des résultats, le jeudi 3 juin, des opposants célébraient, dans des quartiers privilégiés de Caracas, la convocation d’un référendum révocatoire. Certains chantaient : « Chavez va tomber, Chavez va tomber  ». Au même moment, loin de l’attention médiatique, les habitants des barrios (quartiers populaires), sur les collines entourant Caracas, s’affairaient à la victoire du Comandante. [20] Ces dignes héritiers des paysans qui firent vaincre le caudillo Zamora il y a presque 150 ans, s’organisent pour la « bataille  ». Rendez-vous le 15 aoà »t.
[1] Le Constitution bolivarienne du Venezuela est consultable en français sur le site du Cercle bolivarien de Paris :
http://perso.wanadoo.fr/cbparis/constitution.htm
[2] Cité dans Frédéric Lévêque, Venezuela : vers un référendum révocatoire ? Pas sà »r ..., RISAL, 8 septembre 2003.
http://risal.collectifs.net/article...
[3] Maurice Lemoine, L’opposition jour sa va-tout, Le Monde Diplomatique, avril 2004.
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/04/LEMOINE/11131
[4] Dario Azzelini, Le scénario de la déstabilisation appliqué au Venezuela, RISAL/Venezuelanalysis.com, 9 mars 2004.
http://risal.collectifs.net/article...
[5] Voir le dossier « Lock out patronal & sabotage pétrolier  » sur RISAL :
http://risal.collectifs.net/mot.php3?id_mot=207
[6] Rapport d’un groupe d’Observateurs internationaux, RISAL, décembre 2003.
http://risal.collectifs.net/article...
[7] Rapport d’un groupe d’Observateurs internationaux, RISAL, décembre 2003.
http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=768
[8] Venezuelanalysis/ APORREA, Opposition did not Collect Enough Signatures Against Chavez, According to Conversation Between Chavez Opponents, Venezuelanalysis.com, 9 décembre 2003.
http://www.venezuelanalysis.com/news.php?newsno=1126
[9] Maurice Lemoine, ibid.
[10] Radio Nacional de Venezuela, 8 juin 2004. www.rnv.gov.ve
[11] Maurice Lemoine, ibid.
[12] Radio Nacional de Venezuela, 3 juin 2004. www.rnv.gov.ve
[13] Consejo Nacional Electoral, http://www.cne.gov.ve/
[14] Sylvie Kauffman, Hugo Chavez ou l’anti-Lula, Le Monde, 11 septembre 2003.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3322,36-333615,0.html
A lire également, une critique de cet article, par le Collectif ‘Venezuela 13 Avril’ et Attac Venezuela : Venezuela, la farce cachée du "Monde", 10 novembre 2003.
http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=736
[15] Radio Nacional de Venezuela, 3 juin 2004. www.rnv.gov.ve
[16] Voir le dossier « Médias commerciaux  » sur RISAL :
http://risal.collectifs.net/mot.php3?id_mot=205
[17] Radio Nacional de Venezuela, 3 juin 2004. www.rnv.gov.ve
[18] Le Comando Maisanta remplace le Comando Ayacucho, une coalition de leaders des partis politiques qui soutiennent le gouvernement. Ce comando avait pour mission de coordonner la campagne contre le référendum présidentiel et pour la révocation de députés d’opposition. Son travail a été très critiqué par les partisans du gouvernement. On l’a d’ailleurs qualifié de Comando Hablamucho (« Parle beaucoup  »). De plus, selon certaines sources, certains de ces leaders politiques auraient négocié avec des membres de l’opposition une transition post-Chavez.
Maisanta est le nom d’un ancêtre de Chavez, un combattant rebelle qui a mené, au 19e siècle, plusieurs soulèvements et batailles dans les llanos vénézuéliens.
[19] Dans l’Etat de Barinas.
[20] Lire : Communities, Workers form Support Groups to Campaign for Venezuelan President, venezuelanalysis.com, 12 juin 2004. http://www.venezuelanalysis.com/news.php?newsno=1289