Le rĂ©fĂ©rendum rĂ©vocatoire lancĂ© contre le chef de l’État aura lieu ce dimanche. Forte pression populaire en faveur du prĂ©sident sortant.
Le Venezuela va connaĂ®tre dimanche l’un des jours les plus longs de son histoire, plus que tourmentĂ©e ces dernières annĂ©es. Le prĂ©sident Hugo Chavez est sous la menace d’un rĂ©fĂ©rendum rĂ©vocatoire rĂ©clamĂ© par l’opposition, comme le permet la Constitution. Le rĂ©fĂ©rendum, baptisĂ© ici le "15 A" (comme 15 aoĂ »t), mentionne explicitement le nom de Chavez, ce qui ne laisse planer aucun doute sur les intentions de la Coordination dĂ©mocratique. Cette nĂ©buleuse formĂ©e autour de l’ancienne oligarchie au pouvoir compte bien se dĂ©barrasser du chef de l’État. Il s’agira pour les VĂ©nĂ©zuĂ©liens de mettre ou non un terme au mandat prĂ©sidentiel, qui doit normalement se terminer en dĂ©cembre 2006. Si le "non" l’emporte, le prĂ©sident restera en poste. Si le "oui" gagne avec au moins 3,75 millions de voix - le nombre de suffrages obtenus en 2000 par Chavez -, il devra dĂ©missionner et un nouveau scrutin sera organisĂ©.
Chavez va-t-il une nouvelle fois s’en sortir après avoir survĂ©cu Ă un coup d’État avortĂ© et Ă deux mois de lock-out pĂ©trolier ayant laissĂ© le pays exsangue l’an dernier ? Si le dĂ©nouement est proche, il est trop tĂ´t pour avoir des certitudes sur l’issue du scrutin. Mais comme le constate Sergio Escarra, concepteur de projets touchant l’Ă©conomie formelle et informelle, "le mouvement populaire a le vent en poupe". Et il est nettement favorable Ă Chavez, qui incarne justice et Ă©galitĂ© sociale dans ce pays comprenant entre 60 et 80 % de pauvres. Un sondage diffusĂ© fin juillet, rĂ©alisĂ©e par la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine Evans-McDonough, associĂ©e Ă l’institut vĂ©nĂ©zuĂ©lien Varianzas Opinion, vient conforter ce point de vue en avançant une victoire du "non", et donc de Chavez, avec 49 % des voix contre 41 %. La mĂŞme Ă©tude constatait Ă©galement que, parmi les VĂ©nĂ©zuĂ©liens pauvres et la classe ouvrière, qui reprĂ©sentent 80 % de l’Ă©lectorat, 54 % des sondĂ©s s’opposaient Ă la rĂ©vocation et 35 % Ă©taient en sa faveur. Chiffres cependant Ă manier avec prĂ©caution, car ils Ă©manent d’enquĂŞtes rĂ©alisĂ©es par les mĂ©dias vĂ©nĂ©zuĂ©liens, pratiquement tous entre les mains de l’opposition, et donc peu crĂ©dibles.
Au baromètre de la mobilisation, le peuple est sous pression. Processions quotidiennes, dans les rues du centre, "No" Ă profusion, non au retour au passĂ©, non Ă l’oligarchie. En deux clichĂ©s superposĂ©s, la seule journĂ©e de dimanche dernier a donnĂ© lieu Ă quelques enseignements utiles. Dans l’Ouest populaire, sur l’avenue Bolivar, rouge de monde, couleur du ralliement Ă Chavez, au moins 800 000 personnes ont fait leur rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale arborant deux lettres sur leurs tee-shirts, ou leurs casquettes : "No". Pour nombre de VĂ©nĂ©zuĂ©liens, ceux notamment descendus des collines pauvres, une volontĂ© exprimĂ©e dans le rythme et les percussions en cette journĂ©e inondĂ©e de soleil : "Uh ! Ah ! Chavez doit rester." Deuxième image Ă Altamira, quartier opulent et bastion de l’opposition, situĂ© dans l’est de la capitale. Pour donner le change Ă la "marche" chaviste, les opposants, accompagnĂ©s par un groupe rock, les Amigos indicibles, avaient formĂ© une caravane exhibant leurs drapeaux bleus. L’un des chefs de la coordination dĂ©mocratique, Enrique Mendoza, a pronostiquĂ© une victoire "ample" de l’opposition. Un triomphe loin de se vĂ©rifier au moment oĂą il exhortait son monde Ă chasser Ch vez "dĂ©mon d’intolĂ©rance et de division". Ă€ l’heure des Indicibles, il n’y avait pas foule.
La marche forcĂ©e vers le rĂ©fĂ©rendum, au prix d’une fraude manifeste lors de la collecte des signatures par l’opposition, a aiguisĂ© les tensions. Mais la tenue du scrutin est "plutĂ´t saine pour la dĂ©mocratie", estime Hector Escobar, fonctionnaire de son Ă©tat. Partisan du "oui", il pronostique toutefois une victoire de Chavez, qu’il "n’aime pas", mais dont il reconnaĂ®t l’implication en faveur des plus dĂ©munis. Avec son programme "Consensus pour le pays", la Coordination dĂ©mocratique n’a, selon lui, rien de sĂ©rieux Ă opposer : "C’est un projet nĂ©olibĂ©ral, fait pour rĂ©pondre Ă un besoin de conjoncture politique, de propagande. La privatisation du pĂ©trole, la rĂ©duction des coĂ »ts sociaux. Avec un tel programme, ils n’y arriveront pas."
La dĂ©mocratie ne manque pas de lourdeurs bureaucratiques, de rĂ©sistances, de clientĂ©lisme ou de corruption. Mais, Ă tous ceux qui l’accusent de tyrannie, d’autocratie ou de vouloir instaurer un rĂ©gime "castro-communiste", Chavez a affirmĂ© qu’il respecterait les rĂ©sultats du rĂ©fĂ©rendum. La dĂ©cision d’accepter le dĂ©fi lancĂ© par l’opposition a nourri les dĂ©bats dans son propre camp. Les dirigeants de l’opposition ne sont-ils pas les mĂŞmes que ceux qui ont soutenu le coup d’Ă©tat d’avril 2002 ou le sabotage pĂ©trolier de 2003 ? Chavez a-t-il cĂ©dĂ© aux pressions internationales ? MalgrĂ© cela, le prĂ©sident a dĂ©cidĂ© de reconnaĂ®tre le droit de l’opposition Ă organiser le rĂ©fĂ©rendum rĂ©vocatoire, sans doute rassurĂ© sur ses chances de succès. C’est sa "bataille de Santa Inès" en rĂ©fĂ©rence au "gĂ©nĂ©ral du peuple souverain" Ezequeil Zamora qui avait mis en dĂ©route les conservateurs lors de la guerre fĂ©dĂ©rale du XIXe siècle. La personnalitĂ© envahissante de Chavez, ses discours-fleuve, ne semblent pas devoir entamer sa popularitĂ©. Pour le petit peuple de Caracas, il a l’aura de celui qui a redonnĂ© confiance et dignitĂ©. Mais c’est aussi compter sur un environnement Ă©conomique plus favorable, tirĂ© par une forte croissance. L’industrie pĂ©trolière reprise en main (18 000 licenciements) a retrouvĂ© ses capacitĂ©s de production et alimente les caisses de l’État. Une manne, qui donne Ă Chavez plus de fonds pour mettre en Ă©uvre les programmes sociaux en direction des plus pauvres : rĂ©forme agraire, accession Ă la propriĂ©tĂ©, mission Barrio Adentro (soins de santĂ©, avec la collaboration de milliers de mĂ©decins cubains), mission Robinson (campagne d’alphabĂ©tisation concernant 1,5 million de personnes), mission Ribas (pour les exclus du système scolaire), mission Sucre (destinĂ©e aux Ă©tudiants), mission Mercal (rĂ©seau de distribution de produits de première nĂ©cessitĂ© Ă bas prix), attribution de micro-crĂ©dits, etc.
Pour l’opposition, le plus dur reste Ă accomplir : gagner le rĂ©fĂ©rendum en obtenant une voix de plus que Chavez en 2000, comme l’exige la Constitution. Au vu de la pression populaire, l’hypothèse paraĂ®t plus qu’improbable. Mais cela n’Ă©carte pas les provocations, les violences et les combats d’arrière-garde de la part d’opposants en mal de pouvoir perdu.
Source : L’HumanitĂ©, 13-08-04.