Un expert en questions électorales affirmait l’autre jour dans un programme de télévision que le résultat du référendum révocatoire au Venezuela n’allait pas résoudre la polarisation de la société. Et certes, cela est vrai. Par contre, il constitue une accalmie dans la spirale de violence et de déstabilisation qui frappe le pays depuis plusieurs années déjà .
L’exercice électoral a mis en évidence la maturité civique des citoyens et le vaste soutien populaire au leadership du président Chávez, sérieusement remis en question par l’opposition et mal vu par la Maison Blanche.
La décision de se soumettre à un référendum, sous les regards de l’observation internationale, fut une bonne décision, car en définitive le référendum légitime (ou ‘relégitime’, selon certains) le gouvernement et met en doute la justesse de la critique qui veut que le ‘populisme’ est le principal ennemi de la démocratie en Amérique latine.
En parallèle, et contrairement à ce que pensent certains des partisans les plus radicaux de la révolution bolivarienne -et malgré, même, la phraséologie du président-, la situation peut et doit s’améliorer, dans le sens du dialogue et de la légalité, et malgré les provocations et la division. Cette dernière est bel et bien réelle. Elle semble irréversible, car comme l’écrit un éditorialiste -non sans une certaine exagération- dans le quotidien de Caracas El Universal, « L’affrontement entre Chávez et l’opposition concerne deux philosophies de vie, deux modèles politiques, deux projets de pays, deux formes différentes de se voir dans le continent et dans le monde  ». Deux thèses qui, selon moi, ne pourront s’opposer que selon des méthodes démocratiques, comme il a encore une fois été démontré ce 15 aoà »t 2004.
Les adversaires de Chávez agitent le fantôme du populisme qui constitue une menace aux libertés démocratiques, mais dans les faits, ce sont les premiers à avoir eu recours à des moyens illégaux et à la force pour se débarrasser du gouvernement, au langage et aux arguments de la Guerre froide, recyclés par le Département d’État. Pourtant, ni la Constitution ni les stratégies de la révolution bolivarienne ne ressemblent, par exemple, à la voie cubaine, puisqu’elles ne proposent pas de changement profond dans les relations sociales de production et ne prétendent pas non plus instaurer un régime politique semblable à celui de l’île de la Caraïbe. Certes, Chávez se propose de changer la vie sociale vénézuélienne, mais en remettant en question les vieux partis et les anciennes alliances qu’ils établirent pour mieux profiter des excédents du pétrole, pour leur propre développement et bénéfice.
Le paradoxe est que Chávez est arrivé au pouvoir avec le soutien des secteurs qui aujourd’hui demandent son départ : les vastes classes moyennes, les dirigeants syndicaux, des chefs d’entreprises las de la crise ; bref, les citoyens nostalgiques d’un niveau de vie perdu, qui rêvent encore du modèle individualiste de bien-être vendu comme la panacée par les médias.
L’animosité de l’opposition qui se sent trahie par Chávez a assurément certaines causes indiscutables. Néanmoins, de l’extérieur, il est évident que la raison du dégoà »t envers le ‘populisme’ du président vénézuélien tire son origine dans 1) son attitude vis-à -vis des États-Unis, dont l’intervention dans les tentatives de coup d’État n’est pas improbable, et 2) l’alliance du président Chávez avec les masses d’exclus, converties désormais en acteurs politiques par ce gouvernement. Et cela, ils ne peuvent le pardonner.
Qu’on le veuille ou non, la présence du chavisme est une réalité que l’on ne peut annuler en répétant les certitudes obtuses de la pensée unique ou du bon sens : le terme ‘populiste’ est récurrent à l’extrême, mais s’il s’applique avec laxisme pour désigner des leaderships politiques forts, unipersonnels et très peu institutionnels, il est vrai aussi que l’usage donné à ce terme a fini par le vider de sens. Ainsi, tout qui préfère saluer ‘le peuple’ au lieu des ‘citoyens’ est aussitôt taxé de ‘populiste’ dans certains cercles bien pensants. Dire de quelqu’un qu’il est ‘populiste’ revient finalement, et assez logiquement, à qualifier le démagogue pouvant exister dans n’importe quel environnement idéologique, qu’il s’agisse de Fujimori ou de Le Pen.
En-dehors des cercles académiques bien informés, où la polysémie du concept est sans nul doute reconnue, les allusions actuelles de la droite au ‘néopopulisme’ se posent en réalité comme une sorte de conjuration de toute option ‘interventionniste’, ‘assistancialiste’, c’est-à -dire à l’encontre de la permanence sacrée du binôme démocratie / marché, sur lequel repose l’idéologie libérale dominante.
Lorsque la droite parle de ‘populisme’ en le réduisant à une caricature autoritaire facile à vaincre, elle fait allusion à un conflit entre la démocratie et la dictature, alors qu’en réalité, elle ne pense qu’à combattre les politiques lancées par l’État pour obtenir ce que le marché n’est pas en mesure d’offrir à lui seul, à savoir : une meilleure distribution du revenu au bénéfice des secteurs les plus exclus du développement.
C’est pourquoi, peut-être, ils se sont trompés sur Chávez.
Source : La Jornada, 19 aoà »t 2004.
Traduction de l’espagnol : Gil B. Lahout,pour RISAL.