Après 20 ans de pillage néolibéral et d’appauvrissement massif, de démocratie de marché et d’exaltation technocratique de la “pensée unique“, la huitième ratification du président Hugo Chávez dans la République bolivarienne du Venezuela force à examiner parmi tant d’autres interrogations cette dernière : vers où vont et que souhaitent les peuples d’Amérique latine et de la Caraïbe ?
L’annexion ou la souveraineté, l’indépendance ou la mondialisation servile, l’impérialisme ou la libération, la démocratie et la bonne gouvernance, l’intégration socio-économique ou le libre marché, l’homogénéité ou la spécificité culturelle représentent à peine quelques-unes des questions complexes que soulève le processus politique au Venezuela, berceau de la première indépendance américaine. Recommencer ? Oui, mais pas en partant de zéro.
Depuis Bolivar, les peuples latino-américains n’ont jamais cessé d’exiger le respect de la singularité de leurs luttes. Divers courants nés à cette source qui incluent, pourquoi pas, les expériences contradictoires de processus comme celui qu’a dirigé le Mexicain Lázaro Cárdenas, l’Argentin Juan Domingo Perón, le Péruvien Juan Velasco Alvarado (1968), Le Panaméen Omar Torrijos (1969) et le Brésilien Getulio Vargas, le libéral conservateur devenu nationaliste qui s’est suicidé, il y a tout juste 50 ans, après avoir compris trop tard que l’impérialisme yankee et ses alliés naturels sont les ennemis jurés de l’humanité.
Surgi d’en haut le nationalisme de Vargas avait comme intention d’en finir avec le pouvoir des caudillos de l’oligarchie (1930) ; celui de Cardenas a émergé depuis la base, reprenant les causes populaires de la Révolution mexicaine (1934) et celui de Perón est la conséquence d’un demi-siècle de luttes d’un mouvement ouvrier qui, à son heure (1945), a compris les termes de la contradiction qu’anarchistes, socialistes et communistes n’ont pas vus avec la lucidité que Cuba projeta à partir de 1959 : impérialisme ou nation.
Enfants de leur temps, hommes instruits et patriotes militaires tous les trois, Vargas, Cardenas et Perón ont stimulé les grandes transformations sociales qui ont laissé une profonde empreinte de gauche dans la conscience nationale de leurs sociétés. Néanmoins, ils ont été politiquement défaits à cause d’un schéma idéalisé d’unité nationale et d’alliance de classes que l’impérialisme et les oligarchies ont fini par soumettre et mettre au pas.
Une révolution, la Vénézuélienne, « nationaliste  » ? En effet. A la différence des nationalismes évoqués, la pensée bolivarienne est élaborée comme l’avaient déjà pensée Hidalgo et Morelos, Artigas et San Martin, Sucre et Morazán, Sandino et le Che jusqu’à sa cristallisation dans l’oxygène éthique de Salvador Allende, le zapatisme du Chiapas, les paysans sans terre du Brésil, les aborigènes de l’Equateur, les peuples indomptables de Bolivie et le sang qui coule abondamment en Colombie depuis un demi-siècle.
N’importe quelle approche approximative du processus vénézuélien politique exige d’évacuer les préjugés et les grandes théories. Les Bolivariens assurent qu’ils sont immergés dans une révolution. Si c’est cela (et les faits indiquent que ça l’est), il serait impossible de comprendre son message à partir d’approches réductionnistes qui sous-estiment la créativité du peuple.
Un exemple de réductionnisme serait la manière simpliste avec laquelle, maintenant, face à la fracassante déroute de l’oligarchie vénézuélienne, quelques despotes éclairés attribuent la victoire d’Hugo Chávez à l’énorme disponibilité de ressources provenant du pétrole. Ils disent que son ascendant populaire (« du populisme  », d’après eux) leur rappelle les années où le péronisme a profité des prix élevés imposés par la fin de la Seconde Guerre mondiale aux produits comme la viande le blé et les céréales.
Ils ne savent plus que dire. Mais ce qu’ils ne diront jamais, c’est qu’en 20 ans de discours “démocratiques” et d’innombrables séminaires dans lesquels des sujets comme "l’équité" et les vertus du citoyen idéal ont été débattus, le pillage néolibéral a permis le transfert de 300 milliards de dollars aux banques étrangères, condamnant à la misère 80 % des Vénézuéliens.
À la différence d’autres tentatives nationalistes, le message de la Révolution bolivarienne aux peuples du continent n’a pas de fissures : il y a une expérience politique accumulée, une volonté d’émancipation économique authentique, un legs culturel imposant, une histoire politique longue et douloureuse de chemins parcourus et partagés. Il serait criminel, enfin, que les dirigeants d’Amérique Latine et de la Caraïbe se perdent à nouveau dans les labyrinthes idéologiques, des solitudes politiques et des utopies de rédemption sans avenir.
Source : La Jornada, 25 aoà »t 2004.
Traduction de l’espagnol : Yannick de la Fuente.