La victoire du président Chavez, lors du vote sur le référendum visant à le révoquer, signifie avant tout la reconnaissance des politiques économiques et sociales de son gouvernement, -en particulier les programmes de santé, l’alphabétisation, la réforme agraire, les droits des pêcheurs artisanaux, la protection des minorités indiennes et noires-, et pour ce faire, la maîtrise des ressources pétrolières nationales. Elle correspond aussi à un appui de la population à l’égard de sa politique extérieure donne la priorité à l’intégration autonome de l’Amérique latine par rapport aux grands centres de pouvoir, et surtout par rapport aux Etats-Unis.
C’est aussi une victoire sans précédent de la démocratie vénézuélienne, un pas vers la démocratie participative, puisque le dispositif de référendum révocatoire, introduit dans la nouvelle Constitution, a permis qu’un mandataire élu soit évalué à la mi-mandat par ses concitoyens. C’est une première mondiale et un véritable exemple, notamment pour nous. Quel dirigeant européen voudrait bien se soumettre à une telle épreuve, et lequel d’entre eux pourrait espérer voir sa popularité augmenter de trois pour cent après 5 ans d’exercice du pouvoir ? 6 Vénézuéliens sur 10 ont appuyé la gestion de ce gouvernement, 1,8 millions de Vénézuéliens de plus ont voté pour lui par rapport aux élections présidentielles de 1998.
Mais pour nous qui avons assisté à cette journée électorale très mémorable, il est clair que le mérite principal de ce gouvernement est surtout permis à des millions de personnes traditionnellement scandaleusement marginalisées, de participer enfin à la vie politique du pays, tout simplement.
La réforme de la Constitution, les programmes de santé et d’alphabétisation ont permis d’intégrer peu à peu ces quartiers populaires à la vie politique du pays. Par conséquent au cours de la dernière année seulement, 2 millions d’électeurs supplémentaires, qui n’avaient aucune existence citoyenne auparavant se sont inscrits au registre électoral. Nous avons longuement parcouru les quartiers populaires de Caracas, ce dimanche 15 aoà »t, et au crépuscule il y avait encore devant chacun des bureaux de vote de gigantesques files d’attente, car l’opposition dont la base est concentrée dans les quartiers aisés de la capitale, a tout simplement refusé que l’autorité électorale ouvre de nouveaux bureaux de vote dans ces zones qui constituent les 2/3 de la ville. En conséquence ces gens des quartiers pauvres, massivement pro-Chavez, n’ont pas pu tous voter, ce qui n’a cependant pas empêché le gouvernement d’obtenir 60 % des suffrages, réfutant ainsi le discours qui nous a été asséné sans cesse par la plupart des médias locaux et internationaux, selon lequel ce gouvernement "populiste" représente moins de 30 % des Vénézuéliens.
L’enjeu c’est la démocratie tout simplement. Il ne s’agit pas d’une simple dispute sur un programme de gouvernement. Nous avons affaire avec un secteur majoritaire de l’opposition qui pratique l’apartheid social et politique, la négation de l’autre, et qui est prêt pour ce faire à répudier toute règle démocratique, notamment en appelant à la violence, en dénonçant une fraude massive et sans présenter le premier argument valide pour étayer cette grave accusation. Ce refus de la reconnaissance du résultat du scrutin, constitue simplement un refus de cet autre Venezuela, celui, largement majoritaire, des habitants de quartiers marginaux, des métis, des indiens, des noirs... Il ne faut avoir aucune complaisance par rapport à ces dirigeants politiques et à leur tête, les mass-médias commerciaux, et la hiérarchie de l’Eglise catholique nationale. Il faut au contraire saluer le fait qu’une partie de l’opposition et notamment FEDECAMARAS, la centrale patronale -qui, avec la centrale syndicale bureaucratique CTV, avait été un des moteurs du coup d’Etat-, ait reconnu les résultats des élections. Il faut aussi saluer les appels au dialogue lancés par le chef du gouvernement dès son premier comparution en public après le vote.
Lorsqu’on a vu les images du coup d’Etat d’avril 2002, les morts programmés pour justifier le putsch et la chasse à l’homme de 24 heures qui a suivi, avec un solde de 70 morts, -avant que le peuple ne restaure la démocratie- ; lorsqu’on sait que l’opposition a eu recours au sabotage pétrolier de trois mois qui a fait plonger l’économie du pays dans le rouge, lorsqu’on a entendu des dirigeants déclarer à la télévision avant le vote que si l’opposition gagne, ils fermeront les frontières et feront payer les "chavistes" ; quand on a lu dans la presse du Venezuela les déclaration récentes de l’ex-président social-démocrate Carlos Andrés Perez, pour qui le président Chavez doit être renversé par la violence et « crever comme un chien  » et qui prône l’instauration d’une dictature de transition ; lorsqu’on sait que des ministres et des députés se font lyncher par des gens de l’opposition dans les aéroports quand ils partent en vacances avec leurs enfants ; lorsque l’on sait que cette opposition a importé des paramilitaires colombiens dans le pays, dont une centaine à peine ont été capturés le 8 mai dernier, et que l’enquête a établi qu’ils avaient pour mission de prendre diverses casernes et d’égorger le chef de l’Etat ; lorsqu’on l’a vue refuser le dialogue proposé par le chef de l’Etat au lendemain du référendum, on comprend mieux ce que l’on a heureusement évité, grâce au scrutin clair du 15 aoà »t.
Ce n’est pas Chavez qui a divisé le Venezuela, comme se complait à le répéter une certaine presse. Ce sont ces gens-là qui ont contraint à la pauvreté 70% des habitants d’un pays immensément riche, puisqu’il est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis, le cinquième producteur mondial. Une situation tellement intenable qu’elle a éclaté de façon spontanée le 29 février 1989, lors du « Caracazo  », bien avant l’ère Chavez, lorsque ce peuple s’est soulevé comme un seul homme contre les mesures d’austérité recommandées par le FMI et appliquées aveuglément par le président Carlos Andrés Perez. Celui-ci avait réprimé cette première révolte d’un peuple contre les institutions financières internationales, en décrétant l’état de siège, et en faisant assassiner entre 3.000 et 5.000 personnes. Ce n’est que plusieurs années plus tard que le président Hugo Chavez est entré dans l’arène politique, et son principal mérite est d’avoir su dessiner peu à peu un projet politique capable de canaliser l’énergie de cette révolte et lui donner la forme d’un projet politique.
Comme le disait le Vice-président José-Vicente Rangel, « cette bourgeoisie-là est si irrationnelle qu’elle ne comprend pas qu’elle doit au président Chavez que ces réformes là , qui sont inéluctables, se déroulent de façon ordonnée et non violente  ». Ce n’est que quand l’opposition acceptera que cet autre pays, ces habitants des bidonvilles, ces métis, ces indiens, ces noirs, ces paysans sans terre, ces pêcheurs artisanaux, ont aussi le droit d’exister, que ce pays sera réconcilié.
Tout comme l’a fait l’Espagne qui s’est empressée de féliciter le président Chavez pour sa victoire, la Belgique et l’Union européenne devraient changer d’attitude vis-à -vis du gouvernement du Venezuela. Abandonner les injonctions autoritaires et l’attitude faussement équilibrée entre une opposition qui répudie la démocratie et un gouvernement qui l’approfondit dans le plein respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Si nous voulons être cohérents avec les textes de base de notre politique extérieure et de notre coopération au développement, il faut aider ce gouvernement, ne fut-ce que politiquement.
Source : Le Soir (Carte blanche), Bruxelles, Belgique, 26 aoà »t 2004.