Venezuela : petite révolution
par Edouard Diago
Article publié le 6 février 2003

Alors que les opposants àChavez n’ont toujours pas digéré ses réformes concernant la gestion du pétrole vénézuelien, l’heure est àun débat qui définisse démocratiquement l’utilisation des fonds qu’il rapporte.

Constitution en main, des centaines de milliers - voire un million - de partisans d’Hugo Chavez ont manifesté, le 23 janvier, pour réaffirmer leur soutien àla "révolution bolivarienne", àla Constitution bolivarienne et àla reprise en main de l’industrie pétrolière (PDVSA). De son côté, outre des manifestations àrépétition, l’opposition, regroupée dans une hétéroclite "coalition démocratique", a organisé, depuis le 2 décembre, une "grève civique" qui, pour l’essentiel, fut un lock-out de PDVSA et des grands commerces. Le bras de fer incertain qui s’engageait il y a deux mois au Venezuela est en passe d’être gagné par le gouvernement Chavez.

Au lendemain du coup d’Etat du 11 avril 2002, Hugo Chavez devait gagner deux batailles pour se projeter dans l’avenir : nettoyer l’armée et PDVSA. La première a été entamée au mois d’avril avec succès. Depuis le 15 décembre dernier, suite au sabotage électronique d’ampleur de l’entreprise pétrolière (quelques mots de passes permettent de bloquer tout le processus informatique), le gouvernement a entamé la deuxième bataille et procède àdes licenciements massifs de la direction "putschiste" qui appelait de façon àpeine voilée au renversement de Chavez par l’armée. Central dans l’économie vénézuélienne (le pétrole représente 80 % des exportations et 50 % des recettes fiscales de l’Etat), le pétrole est aussi au coeur de la géopolitique mondiale.

Soixante jours de lock-out plus tard, Chavez est toujours président et la production de pétrole est passée de 300 000 barils par jours au plus fort de la crise à1,3 million (contre trois millions en période normale). Autre victoire des chavistes, l’opposition se voit contrainte d’abandonner sa stratégie putschiste et d’utiliser les nombreux mécanismes offerts par la Constitution : révocation du Président, des députés, abrogation des décrets-lois de 2001... par le biais du référendum d’initiative populaire.

Entre 1976, date de la nationalisation, et 2002, les recettes fiscales reversées àl’Etat sont passées de 80 % du prix du baril à30 %. Pendant que la production augmentait de 50 %, les coà»ts augmentaient de 185 %. Cet argent est allé alimenter àla fois la bureaucratie de Caracas et de multiples opérations de clientélisme. Par un montage financier subtil (investissement aux Etats-Unis, achat de raffineries a l’étranger...), la direction a réussi àéchapper au contrôle d’un Etat qu’elle juge incompétent : "nous sommes les seuls àconnaître le business du pétrole et l’Etat ne saurait imposer une ligne politico-idéologique àune entreprise qui doit être gérée comme une entreprise privée." Relayée par les médias, cette revendication méritocratique de protection de la direction licenciée est l’un des étendards de l’opposition. Parallèlement, en organisant la diminution de la rentabilité de l’entreprise et en cachant les véritables opérations financières au ministère de tutelle, la direction cherchait aussi àaccélérer sa privatisation et àl’offrir aux multinationales très intéressées par le pétrole vénézuélien. L’arrivée de Chavez au pouvoir en 1998 a stoppé net cette stratégie pro-impérialiste.

Le Venezuela possède des réserves de pétrole extra-lourd équivalentes àcelles de l’Arabie Saoudite. Les grands pays consommateurs de pétrole (Etats-Unis en tête), dont le déficit énergétique va en s’accroissant (80 % de la consommation des Etats-Unis sera importée en 2020), pouvaient jusqu’àprésent compter sur une direction pétrolière vénézuélienne docile qui répondait objectivement àleurs intérêts par une politique de prix bas : le Venezuela était devenu la "station essence des Etats-Unis".

Aujourd’hui, toute négociation avec l’opposition sur la réintégration de la direction licenciée reviendrait àremettre le loup dans la bergerie et exposerait le pays àde nouvelles conspirations. L’heure est àun grand débat national, une constituante pétrolière, qui définirait démocratiquement l’utilisation de la rente pétrolière. Ouvrir ce débat soigneusement caché au plus grand nombre depuis 25 ans est déjàune petite... révolution.

Source : Rouge, hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire (www.lcr-rouge.org), février 2003.

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