Le 21 mars dernier, des élections avaient lieu au Salvador et, comme c’est le cas depuis 1989, le parti de droite ARENA (Alliance républicaine nationale) a gagné contre le parti de gauche, l’ex-mouvement guérillero FMLN (Front Farabundo Marti de libération nationale).
Cette année, Elias Antonio Saca était le candidat à la présidence pour l’ARENA tandis que Schafik Jorge Handal représentait le FMLN.
Mais, selon tous les observateurs le moindrement neutres de l’actualité salvadorienne, rien ne permet de dire que le nouveau président salvadorien soit le choix de la population.
Quant au FMLN, il affirme qu’il ne fait aucun doute que « le résultat de cette élection est illégal et illégitime parce qu’il découle d’une campagne électorale au cours de laquelle a constamment été violé le principe constitutionnel selon lequel le vote doit être libre  ».
Dans un post-mortem publié le 24 mai dernier sur le réseau internet America latina en movimiento, l’ex-guérillero et candidat défait à la présidence, Schafik Handal rappelle que, dès les élections législatives de 2003 (gagnées haut la main par le FMLN), les forces de l’argent et les hauts dirigeants de l’ARENA avaient compris qu’ils ne pouvaient que perdre le pouvoir si la population était laissée libre de voter comme elle l’entendait.
C’est ainsi que fut décidé le recours à des « formes impressionnantes et inédites de terreur psychologique et de chantage  ».
La principale cible choisie fut cette partie de la population salvadorienne qui vit de l’argent en devises états-uniennes que lui envoient parents et amis vivant aux États-Unis.
Ces remises se montent à deux milliards de dollars annuellement et constituent la plus grande source de revenu du Salvador. Elles touchent 28 % de la population du pays qui en dépend totalement, sinon en bonne partie.
Le FMLN calcule que 337 000 familles survivent en espérant qu’arrive chaque mois l’argent de ces remises qui leur permet de combler des besoins minima pour la nourriture, la santé, le logement et l’éducation.
La stratégie de l’ARENA a consisté à propager la rumeur que le gouvernement des États-Unis allait couper le flux de ces remises advenant une victoire du FMLN. La propagande visait autant les Salvadoriens qui reçoivent l’aide que leurs parents vivant aux États-Unis.
Au Salvador, une campagne publicitaire d’une ampleur sans précédent et des « nouvelles  » alarmantes annonçaient la décision du gouvernement états-unien en se gardant bien d’en montrer d’autres preuves que le silence de la Maison-Blanche ce qui, affirmait-on, en disait long sur la véracité de la rumeur.
Aux États-Unis, des fonctionnaires du gouvernement salvadorien (avec, à leur tête, l’ambassadeur du Salvador et les fonctionnaires consulaires) téléphonaient au domicile des immigrants salvadoriens non seulement pour répandre la nouvelle de la pseudo-interdiction des remises par le gouvernement états-unien, mais aussi celle d’une possible déportation d’immigrants salvadoriens en cas de victoire du FMLN.
De plus, certains médias états-uniens en langue espagnole diffusèrent les publicités mensongères et les fausses nouvelles qui inondaient déjà le Salvador.
On offrait même aux immigrants salvadoriens de payer les communications téléphoniques à ceux qui s’engageaient à téléphoner à leur famille au Salvador pour les convaincre de voter pour l’ARENA. On estime à 80 000 le nombre de ces appels gratuits acheminés à partir des États-Unis pendant la campagne présidentielle.
« Est-ce le gouvernement de Flores qui a payé ces appels avec nos impôts, demande Schafik Handal. Si ce n’est pas le cas, alors qui les a payés ?  »
Quant aux États-Unis, ils ont, comme d’habitude, très bien coopéré avec l’ARENA puisqu’ils ont attendu exactement deux jours après le scrutin pour démentir la fausse menace !
Selon Schafik Handel, un calcul très conservateur de deux électeurs par famille bénéficiant de remises permet de chiffrer à 674 000 le nombre d’électeurs visés par la campagne de peur. De ce nombre, le FMLN établit qu’il est raisonnable de penser qu’au moins 350 000 d’entre eux auraient cédé à la pression.
Une autre forme de terreur psychologique visait les travailleurs à qui on laissait entendre qu’une victoire de la gauche signifiait la perte de leur emploi.
« Menacer un employé de lui enlever son gagne-pain en cas de résultat politique contraire aux intérêts patronaux est une forme d’extorsion des plus méprisables  », dit Handal.
Combien d’électeurs ont ainsi été menacés ? Difficile à dire puisque bien peu d’entre eux osent dénoncer publiquement un tel chantage pour la même raison qu’ils ont voté ARENA : la peur d’être congédiés.
On sait toutefois que des menaces de délocalisations ont bel et bien eu lieu dans les secteurs des banques et assurances (20 000 employés), des « maquiladoras  » (90 000) et des entreprises de sécurité (20 000).
Une tranche de 100 000 électeurs travaillent dans d’autres types d’entreprises (lignes aériennes, chaînes d’alimentation et supermarchés, construction, usines alimentaires, médias de communication) où le personnel a été l’objet de chantage au « désinvestissement  ».
Les menaces de pertes d’emploi auraient donc touché 230 000 électeurs et c’est sans compter, nous dit Schafik Handal, les employés des bureaux et services gouvernementaux ainsi que ceux d’autres secteurs de la fonction publique.
Cela fait en tout 580 000 votes « motivés par la crainte de perdre sa source de subsistance si l’ARENA perdait les élections  ». Mais aussi sur combien d’autres votes de parents et amis (retraités, étudiants, chômeurs, petits commerçants, etc.) effrayés par l’impact sur leur propre vie que pourraient avoir ces soi-disant pertes d’emploi et coupures de remises ?
Handal mentionne également d’autres groupes qui ont été terrorisés. Les « pasteurs  » des groupes évangéliques avaient négocié leur appui électoral à l’ARENA et firent croire à leurs membres (très nombreux au Salvador) qu’un FMLN victorieux interdirait leurs « églises  ».
Les propriétaires de maisons, quant à eux, allaient perdre leur bien tandis que les chefs de famille risquaient de perdre leurs enfants dans les « troubles  » qui ne manqueraient pas de se produire tôt ou tard comme on le voyait au même moment en Haïti et même en Irak !
De plus, l’ARENA n’avait en rien négligé son habituel système de fraudes électorales incluant l’achat de votes, le vote à la place de non-votants et la falsification de listes électorales.
À cela s’ajoute encore, nous dit Handal, « le vote de milliers de citoyens étrangers dà »ment inscrits sur les listes grâce à un minutieux processus de falsification de certificats de naissance  ».
Mais la plus médiatisée des magouilles de l’ARENA est sans doute le contrat d’impression de tous les documents d’élection accordé par le Tribunal supérieur électoral à un imprimeur jusque là inconnu qui, de surcroît, était hors normes selon les exigences figurant dans l’appel d’offre.
On a appris, plus tard au cours de la campagne électorale, que cet imprimeur appartenait au plus grand magnat de radio et télévision du pays, ennemi déclaré du FMLN.
« C’est comme confier la maison aux bons soins du voleur, ironise Handal. Combien de noms ont finalement été imprimés sur les documents ? Combien l’ont été à plusieurs reprises ?  »
L’ARENA a obtenu 1 314 436 voix contre 812 519 pour le FMLN. Handal souligne que, si on lui enlève les votes extorqués par la peur et le chantage, l’ARENA n’a plus obtenu que 734 436 voix.
Il ajoute que les votes en faveur du FMLN ont « outrepassé les filtres de la terreur  » et « expriment un niveau élevé de conscience citoyenne.  »
Durant la campagne, le FMLN a apporté devant le tribunal électoral, 26 demandes d’examen de ce qu’il considérait comme des violations persistantes du code électoral de la part de l’ARENA et de ses prête-nom. Toutes ont été ignorées !
« Il n’y a pas eu de juge d’élection pour faire respecter la loi, écrit Handal, ni durant la campagne, ni pendant la période de trois jours sans propagande électorale précédant le vote, ni le jour même du vote.  »
Enfin, celui qui, aujourd’hui, serait probablement le président salvadorien si les élections avaient été véritablement libres, fait état de l’intervention états-unienne tout au long de la campagne présidentielle 2004.
L’ARENA a continuellement publicisé et fait siennes les déclarations d’une multitude de haut-fonctionnaires du Département d’État et de la Maison Blanche de même que de congressistes républicains ultra-conservateurs.
Sans oublier, déplore Handal, de « nombreux représentants de la mafia d’origine cubaine basée à Miami et des patrons vénézuéliens, auteurs de coups d’État, venus en pèlerinage dans notre pays aux seules fins d’alimenter la terreur.  »
Une semaine avant le vote, Antonio Saca se permettait d’inviter les journalistes au quartier général de son parti pour un interview téléphonique avec Otto Reich, envoyé spécial de la Maison-Blanche pour l’hémisphère ouest.
« On ne pourrait pas avoir la même confiance dans un Salvador dirigé par une personne qui, de toute évidence, admire Fidel Castro et Hugo Chavez  », a sorti Reich à propos de Schafik Handal.
Les journalistes prenaient tellement de notes qu’ils n’ont jamais songé à lui demander de confirmer la rumeur concernant l’interdiction des remises !
Source : L’Aut’Journal (http://www.lautjournal.info/), septembre 2004.