Argentine : nécessaire renaissance du mouvement ouvrier
par Luis Ortolani Saavedra
Article publié le 16 novembre 2004

Sous les applaudissements du FMI, les gouvernements néolibéraux successifs ont spolié les travailleurs. Retour sur un hold-up légal et éclairage sur le réveil du syndicalisme de base.

On assiste depuis peu àun intense débat entre le Fonds monétaire international (FMI) et les autorités argentines àpropos des responsabilités de chacun dans le « défaut » de payement de la dette publique. Le FMI assure que les politiques de l’ex-président Carlos Menem dans les années 1990 ont été, en général, correctes, mais qu’il lui a manqué d’approfondir les réformes dénommées « structurelles », particulièrement en ce qui concerne la flexibilisation du travail. En d’autres termes, les ouvriers argentins gagnent des salaires excessifs par rapport àd’autres pays, et ce serait làla cause du déficit extérieur qui, àson tour, nourrit et re-nourrit la fabuleuse dette extérieure qui n’est plus réglée depuis janvier 2002 et sur laquelle continuent actuellement les négociations.

Transfert de richesse

Une minutieuse étude réalisée par le ministère du Travail fournit d’autres conclusions : « Sur la base de la comparaison internationale réalisée, on peut affirmer que les cotisations patronales que paient les employeurs argentins se trouvent parmi les plus basses, soit par rapport aux pays latino-américains, soit par rapport aux principaux pays industrialisés. » On lit aussi que « le coà»t du travail par salarié est le plus bas depuis 1990 », que « la productivité par salarié est l’une des plus hautes depuis le début des années 1990 » ou encore que « le coà»t du travail par unité produite se trouve au niveau le plus bas de la période analysée ».

Sergio Arelovich, professeur d’économie àl’Université de Rosario, signale que « depuis le début du plan de convertibilité (avril 1991) jusqu’au 31 juillet 2004, l’indice des prix àla consommation IPC s’est accru 2,37 fois. Par conséquent, un salaire qui était en avril 1991 de, par exemple, 400 pesos devait être aujourd’hui 2,37 fois plus élevé pour maintenir le même pouvoir d’achat », soit 948,9 pesos argentins convertibles.
Or on sait que pendant cette période, les salaires ont été gelés, seules de légères augmentations ayant été décrétées par l’actuel gouvernement. Reprenant sa calculette, le professeur Arelovich chiffre la perte subie par le travailleur en treize ans à105,83 fois son salaire de 1991 ! Ce qui fait un total 42 330,96 pesos, soit plus de 14 000 dollars étasuniens. Une somme àmultiplier par les millions de salariés argentins pour se donner une idée du fabuleux transfert de recettes des travailleurs vers les patrons.

Le cas Acindar

Evidemment, ce transfert n’a pas été capitalisé pour le progrès du pays, sinon qu’il est allé presque entièrement àl’étranger, en rétribution de la dette externe publique, comme bénéfice de multinationales ou évasion de capitaux.

Prenons un exemple concret. Dans l’entreprise métallurgique Acindar, le coà»t de la main d’oeuvre ne constitue aujourd’hui plus que 16,1% de la valeur ajoutée par ses travailleurs, selon les données du bilan 2003.

Le cas est significatif : Acindar est l’une des principales entreprises métallurgiques du pays, propriété de la brésilienne Belgo-Mineira qui, àson tour, dépend de l’entreprise multinationale Arcelor.

Mais Acindar est aussi le poumon industriel de Villa Constitution, petite cité de 40 000 habitants située entre Buenos Aires et Rosario et emblème de la lutte ouvrière. Les métallos de cette ville sont organisés au sein de la section locale de l’Union ouvrière métallurgique (UOM) qui, en 1974, fut protagoniste d’une énorme mobilisation appuyée par toute la population, et qui permit de gagner la section àla bureaucratie. Un an après, une féroce répression se déchaîna et les militants et dirigeants métallurgiques furent emprisonnés, certains assassinés.

De toutes les grandes expériences prolétaires et combatives qui ont marqué la première moitié des années 1970 en Argentine, l’UOM de Villa Constitution est la seule àavoir pu être reconstruite après le terrorisme d’Etat [la dictature, ndlr] qui gouverna le pays de 1976 à1983. Il n’est donc pas fortuit que ce soit cette section de l’UOM qui ait récemment convoqué une rencontre visant àrefonder le mouvement syndical. Y ont participé les représentants de nombreux syndicats et organisations de base. Outre plusieurs sections des métallos, il y avait des représentants des employés d’Etat, des enseignants, des ouvriers de l’industrie chimique et pétrochimique, de l’huile, de la presse et de quelques autres secteurs.

Recomposition par en bas

Concrètement, le processus vise àconstituer une intersyndicale de combat regroupant uniquement des délégués représentatifs de la base, indépendamment des centrales ouvrières. Ce dernier point est très important, car il vise àreconstruire l’unité par le bas, se différenciant de celle réalisée par les bureaucrates de la Confédération générale du travail (CGT) officielle et la « CGT dissidente ».

Restent hors de cette « unité » la propre UOM, qui est àla veille de ses élections internes, et les syndicats qui composent la Centrale des travailleurs argentins (CTA), une faîtière minoritaire mais combative, bien implantée chez les travailleurs du secteur public et protagoniste quasi-unique des mobilisations des années 1990.

La nouvelle intersyndicale en construction àl’initiative de Victorio Paulón, secrétaire général de l’UOM àVilla Constitution et dirigeant de la CTA, entend principalement organiser les travailleurs de la production, pour commencer àdisputer aux patrons la rente nationale et la valeur ajoutée par leur travail aux produits industriels. Notamment ceux qui sont aujourd’hui les moteurs des exportations ou du remplacement d’importations sur le marché interne, tels l’huile de soja et les machines agricoles.

L’Argentine est entrée dans l’ère du regroupement et de la recomposition du mouvement ouvrier.

Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch), Genève, novembre 2004.

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