Entretien avec Joao Pedro Stedile du MST
Un projet populaire pour le Brésil !
par Gennaro Carotenuto , Carlos Aznarez
Article publié le 22 février 2002

Joao Pedro Stedile est un dirigeant national du MST, le Mouvement des travailleurs sans terre du Brésil. Il fait penser aux vieux leaders ouvriers de l’époque des grands syndicats industriels. Lors d’une bruyante et animée assemblée des mouvements sociaux àPorto Alegre, il est parvenu àobtenir un moment de silence en disant "Camarades, sans discipline il est impossible d’atteindre le socialisme". Le MST impulse actuellement une grande campagne pour promouvoir un modèle de développement alternatif àcelui du gouvernement.

Quel est le principe du projet populaire du MST et quelle base compte-t-il dans la société brésilienne ?

Joao Stedile : Le projet populaire n’est pas du seul fait du MST : il englobe des forces plus larges que nous avons réunies au cours d’une consultation populaire. Il y a des gens de l’Eglise, du mouvement syndical, des partis socialistes. Le Brésil est àla croisée des chemins et il n’y a pas d’issue sans un changement du modèle économique. Mais nous avons la compréhension du fait que les rapports de forces ne sont pas actuellement favorables pour un projet socialiste dans son sens le plus entier. Le projet populaire est une façon de s’attaquer àla racine des problèmes. Que veut le peuple ? Quelle est son espérance ? Il veut la terre, du travail, de l’éducation, de la nourriture, la santé et un logement digne.

Notre tâche est de dire que tout cela est nécessaire, que ce sont des droits minimums. Mais que pour les obtenir il n’y a pas d’autres voies que de rompre avec la dette extérieure, avec la dépendance àl’égard du capital étranger, il n’y a pas d’autre issue que de contôler les banques et d’arrêter de dépenser l’argent public pour le paiement des intérêts d’une dette qui, dans le cas du Brésil, atteint cette année 64% du budget public national. Et nous parlons seulement du paiement des intérêts et non de l’amortissement de la dette. Lorsque le président Fernando Henrique Cardoso est arrivé au pouvoir, la dette externe était de 59 milliards de dollars. Après 7 années, sans inflation, la dette atteint les 625 milliards de dollars.

Il n’est pas possible d’obtenir la terre sans une démocratisation radicale. Il n’est pas possible d’éduquer les gens sans rompre le monopole des moyens de communication qui sont aujourd’hui entre les mains de 7 grands groupes économiques. Il n’est pas possible de faire ces changements sans toucher àla structure de l’Etat. L’Etat doit être démocratisé. C’est, synthétiquement, ce que signifie le projet populaire pour le Brésil.

Quelle est la relation entre votre mouvement et le Parti des travailleurs (PT) et quelles sont les conditions pour continuer àappuyer une éventuelle présidence assurée par Lula (Luis Ignacio Da Silva, le candidat du PT) ?

J.S : Nous avons une tradition de gauche, nous avons comme habitude de voter pour le PT. Nous allons donc voter pour Lula, làn’est pas le problème. Le problème que nous voulons mettre en lumière est qu’il ne s’agit pas seulement de choisir quel sera le meilleur candidat. Il est nécessaire de profiter des élections pour faire une campagne de politisation des gens en avançant l’idée qu’il n’y a pas de solution sans un changement du modèle économique. Parce que, même si Lula gagne les élections, s’il ne s’engage pas àchanger le modèle économique nous aurons une seconde Argentine dans les deux ans àvenir.

Quelles sont les réalisations fondamentales que vous voulez voir réalisées par un éventuel gouvernement Lula ? Quel devrait être, pour le MST, le programme de la première année de gouvernement ?

J.S : Suspendre tout accord avec le FMI. Suspendre le paiement de la dette externe. Suspendre la paiement de la dette interne. Réinvestir les ressources ainsi dégagées dans la réforme agraire, la santé et l’enseignement public. Créer un programme qui réorganise l’industrie pour produire ce que le peuple a besoin. Contrôler le commerce extérieur. Notre économie doit produire pour répondre aux besoins de la population et ne pas tomber dans l’illusion - comme certains le disent au PT - qu’il faut augmenter les exportations. Il faut augmenter l’emploi et donner une solution aux problèmes locaux.

Quelles sont les conséquences du 11 septembre pour le mouvement populaire au Brésil ?

J.S : Ce qui s’est passé le 11 septembre et ensuite n’a pas affecté le Brésil sans doute parce qu’ici, dans tous les sondages publics, les gens se sont prononcés contre les Etats-Unis. Près de 87% des Brésiliens sont contre la guerre, contre la réaction étasunienne. Ce qui a changé pour nous c’est que les Etats-Unis se sentent en position de force pour imposer la Zone de libre échange des Amériques (ALCA en castillan). Donc, pour nous, après le 11 septembre, l’ALCA est la menace majeure. C’est notre guerre. Comme vous le savez, les Etats-Unis tentent de sortir de leur récession en investissant dans le complexe militaro-industriel. Ils ont donc besoin de provoquer des guerres. En Amérique latine, ils n’ont pas besoin de faire une guerre directe. Ils ont toujours utilisé ici, d’un point de vue militaire, la stratégie indirecte de la contre-guérilla, de la guerre de "basse intensité". De telle sorte qu’aujourd’hui, pour approfondir leur contrôle, ils vont utiliser l’ALCA. Ainsi, pour nous, la guerre des gringos contre l’Amérique latine c’est celle-làet la priorité numéro un pour toutes les forces politiques et sociales progressistes est d’arrêter l’ALCA.

Au Brésil, heureusement, nous avons réussi àformer une grande alliance qui va de la Confédération épiscopale jusqu’aux groupes radicaux trotskystes, tous se retrouvent dans une commission nationale pour développer une vaste campagne de conscientisation nationale du peuple brésilien qui culminera en septembre avec un plébiscite populaire où nous espérons récolter des millions de votes contre l’ALCA.

Le MST se situe àl’aile gauche des organisateurs du Forum social mondial. Que pensez-vous des déclarations de Hebe Bonafi des Mères de la Place de Mai qui dit qu’il y a une contradiction entre entre la base du Forum avec son énorme richesse et les leaders qui, selon elle, vont vers un Forum social-démocrate ?

J.S : Nous pensons qu’il ne s’agit pas de donner un qualificatif au Forum.Tout un chacun peut venir au Forum pour apporter ses revendications, pour donner des formations, faire des manifestations populaires ou des articulations de luttes et de projets. Certains ne veulent que des revendications, d’autres ne veulent que des exposés académiques. Nous, nous venons au Forum pour articuler les luttes et peu nous importe que quelques universitaires se limitent àdonner des exposés.

L’erreur serait que nous n’amenions nos camarades que pour écouter des exposés. Le Forum n’est rien d’autre qu’un espace. Il n’est pas l’avant-garde du monde ni une nouvelle Internationale. Nous profitons de l’existence du Forum pour articuler les mouvements populaires et paysans et de làsortir avec des propositions et des agendas communs de luttes. Nous ne nous faisons pas d’illusions : la seule manière pour changer les rapports de forces dans nos pays c’est d’organiser le peuple pour qu’il lutte. Sans cette organisation, il n’y a pas d’autre chemin.

Et qu’attendez-vous des peuples du Nord ?

J.S : Qu’ils luttent.

Traduction : Ataulfo Riera.

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