Alors que plusieurs textes et analyses ont souligné le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de l’ALENA [Traité de libre-échange nord-américain], il y a un autre dixième anniversaire qu’on semble avoir oublié : celui de l’écroulement de la devise, puis de l’économie mexicaine, en décembre 1994. Or, cette crise a un impact sur l’évaluation des résultats de l’ALENA. Certains ont critiqué l’accord pour n’avoir pas pu empêcher ou atténuer la crise, alors que d’autres ont soutenu que
c’était grâce à l’ALENA que le pays s’en était sorti si vite. Dans tous les cas, en plongeant le Mexique dans une grave crise financière et économique, cette crise dite « tequila  » viendra compliquer toutes les estimations des effets de l’ALENA sur la
croissance et la structure de l’économie mexicaine.
Le propos de la présente chronique est d’analyser les leçons qui ont été tirées de cette crise au Mexique et ailleurs. Après une brève analyse de la crise elle-même, nous présenterons quelques explications qui en ont été fournies immédiatement après la crise, après quoi nous verrons les leçons qu’on en a tirées quelques années plus tard, suite à la reprise de l’économie mexicaine. Nous nous pencherons également sur les séquelles de cette crise au Mexique dix ans plus tard. Enfin, nous
tâcherons de voir comment ces leçons ont été appliquées en Amérique Latine, afin d’établir dans quelle une telle crise est susceptible se reproduire, que ce soit au Mexique ou ailleurs en Amérique Latine.
Causes et bilan de la crise
Plusieurs facteurs sont évoqués pour expliquer le déclenchement de la crise en décembre 1994. En premier lieu, le déficit toujours plus grand de la balance commerciale mexicaine laissait présager que, tôt ou tard, un ajustement allait s’imposer. La politique la plus simple dans ce cas aurait été de dévaluer la devise, mais celle-ci était maintenue jusque-là par un gouvernement qui craignait de diminuer le pouvoir d’achat de ses citoyens avant et après une élection présidentielle pour le moins difficile [1]. De plus, le gouvernement envisageait sans doute qu’une dévaluation causerait une augmentation abrupte des exportations mexicaines en directions des Etats-Unis d’Amérique (EUA) ce qui soulèverait des critiques de la part de producteurs des EUA mêmes et risquerait d’affaiblir le soutien qu’on accordait à l’ALENA là -bas. En revanche, plus le peso était surévalué, plus il aggravait le déficit commercial, et plus la situation devenait intenable et l’ajustement à faire important. C’est ainsi que, lorsque le gouvernement essaya de contrer la crise à ses débuts en dévaluant légèrement le peso, personne ne crut que ce serait suffisant. D’ailleurs, les pressions sur la devise ne se relâcheront qu’une fois que le gouvernement aura abandonné définitivement toute intention de soutenir le peso et que celui-ci aura perdu plus de la moitié de sa valeur.
En deuxième lieu, la crise a été amplifiée par l’importance des fonds qui sont sortis dans les mois suivants. En effet, depuis quelques années, le Mexique était devenu une destination prisée par les fonds mutuels et autres investisseurs financiers étrangers qui étaient attirés par des taux d’intérêts plus élevés que ceux présents aux EUA et en Europe, de même que par les perspectives de croissance offertes par suite de l’entrée en vigueur de l’ALENA. En rétrospective, étant donné l’état de l’infrastructure économique, du système bancaire et du système politique à l’époque, cet optimisme paraît déplacé. Cependant, il est important de souligner à cet égard que des données fiables étaient peu ou pas disponibles, et qu’en contrepartie, le gouvernement mexicain entreprenait à la même époque une grande campagne de publicité pour « vendre  » le Mexique et l’ALENA auprès des Américains.
L’insurrection zapatiste, déclenchée le premier janvier 1994, suivie de l’assassinat du candidat à la présidence, Luis Colosio, en mars, puis de celui du secrétaire général du PRI, Ruiz Massieu, en septembre et, enfin, de la démission du frère de Ruiz Massieu de son poste de vice ministre de la justice pour protester contre les ratés de l’enquête sur le meurtre, montrent bien que la conjoncture était loin d’être aussi stable qu’on le prétendait, de sorte que plusieurs investisseurs nerveux commencèrent à retirer leurs fonds. Le gouvernement rencontre alors plus de difficultés à maintenir la devise, d’autant que la Federal Reserve des EUA commence de son côté à remonter ses taux et que les réserves mexicaines baissent rapidement. Lorsque le gouvernement publie, en décembre, la valeur des réserves qu’il lui reste, celle-ci s’avère insuffisante pour assumer ses obligations à court terme. Ainsi la panique s’installe, les investisseurs fuient et le peso chute.
La situation fragile dans laquelle se trouvent les banques ne fera qu’aggraver et prolonger la crise pour deux raisons : d’abord parce qu’aux débuts de la crise elle limite la capacité du gouvernement d’augmenter les taux d’intérêts pour défendre le peso ; ensuite, parce que la position des banques, déjà précaire avant la crise, devient carrément insolvable après la chute du peso. C’est ainsi que la crise bancaire contribuera à freiner la reprise de la crise en limitant l’accès au crédit des entreprisesmexicaines et en créant de nouvelles et coà »teuses obligations pour le gouvernement fédéral.
Confronté à un éventuel effondrement économique de son nouveau partenaire commercial, le gouvernement des EUA intervient d’urgence en rendant disponible une ligne de crédit de la Federal Reserve de $9 milliards, en plus d’un swap (« échange financier  ») de 12.5$ milliards en échange de revenus futurs de pétrole financé exceptionnellement par le US Exchange Stabilisation Fund. Pour sa part, le Fonds Monétaire International (FMI), dont les EUA sont le principal actionnaire, mettra aussi à la disposition du gouvernement du Mexique 17.8$ milliards, soit sept fois le quota du Mexique en vertu des règles en vigueur, et le plus important prêt jamais consenti jusque là dans l’histoire du FMI [2].
Particularités de la crise et les conclusions qu’on en tire
La crise tequila apparaissait d’abord comme un « nouveau  » type de crise du système financier. Alors que les crises d’endettement des pays latino-américains des années 1980 étaient causées par un endettement excessif de la part des gouvernements, voire par un changement soudain dans leur capacité de rembourser leurs dettes, dans ce cas-ci, il n’y avait pas de changement majeur dans les dépenses gouvernementales, puisque le budget opérationnel du gouvernement avait permis de dégager un surplus entre 1990 et 1994 et que personne ne remettait en question la solvabilité à long terme du gouvernement. Cependant, le gouvernement n’avait pas assez de réserves internationales pour couvrir ses besoins à court terme. Nous avions donc affaire à une crise de liquidité. Par ailleurs, dans la mesure où rien n’indiquait que l’ajustement devait avoir lieu à ce moment, ou qu’il prendrait cette ampleur, la nature et la gravité de la crise ne dépendaient plus seulement des choix des gouvernements, mais également de la réaction des investisseurs. Force était alors de conclure qu’une politique fiscale saine ne suffisait plus à prévenir une crise et qu’il fallait désormais prendre en considération un nombre plus élevé de variables qu’auparavant. On commencera donc à accorder une plus grande attention à des données comme le rapport entre le compte courant et le produit intérieur brut, la proportion de dette à échéance courte et la santé du système bancaire. C’est ainsi dans ce contexte qu’émergent les premiers modèles de prédiction ( « early prediction models  ») dont on attendra qu’ils permettent de prévenir ces crises à l’avenir.
Or même si, au niveau du diagnostic, il était tout au plus question d’une crise de liquidité à court terme, les conséquences n’en sont pas moins désastreuses pour autant : le produit intérieur brut (PIB) chute de 10% en 6 mois, et le PIB par habitant, de près 8% en un an, tandis que le taux de chômage est multiplié par trois. Force est donc de noter que les mouvements de capitaux sont plus implacables que jamais, et que les pénalités pour de petits écarts macroéconomiques peuvent être impitoyables. Ainsi, après une période d’optimisme de la part des investisseurs envers les capacités des économies émergeantes, tandis que les économies en question progressaient rapidement grâce aux investissements étrangers consentis, on commence à questionner le coà »t de ces flux massifs de capitaux. C’est dans ce contexte que les débats sur les avantages de mécanismes capables d’atténuer les effets de ces mouvements de capitaux, comme la taxe Tobin ou les contrôles de capitaux, est ravivé.
Certains interpréteront aussi ces résultats comme étant la preuve que le statut d’un pays joue un rôle déterminant quand l’instabilité menace : en effet, la dévaluation de la livre sterling en 1992, alors que le pays se trouvait dans une situation assez similaire à celle du Mexique, loin d’avoir provoqué une panique, avait été un franc succès. Un raisonnement qui s’applique à cet autre indicateur qu’est le déficit de la balance commerciale en rapport au PIB, puisque celui des EUA équivaut aujourd’hui à celui du Mexique avant la crise, et que nul n’ira croire que les EUA et le Mexique sont dans des situations comparables [3]. C’est ainsi que les pays en voie de développement et, en particulier, les pays latino-américains, sont contraints d’assumer des coà »ts liés à un statut inférieur qui attise leur manque de crédibilité sur les marchés internationaux.
Enfin, c’était la première fois qu’une crise dans un pays frappait en cascade des pays qui n’étaient pas particulièrement reliés au pays en cause. C’est ainsi que l’Argentine, le Brésil, le Chili et les Philippines seront tous affectés au lendemain de la chute du peso par ce qu’on appellera « l’effet tequila ». Le retrait des investisseurs est moins le résultat d’un changement réel dans la situation économique de ces pays que la fin de l’illusion qui voulait que les marchés émergeants soient une option aussi solide, mais plus rentable, que les marchés du nord. Ainsi, l’effondrement financier au Mexique alimente l’inquiétude des investisseurs face à ce type d’investissement ailleurs dans le monde. Parallèlement, face à ces mouvements brusques de capitaux, les gouvernements de ces pays chercheront désormais à se protéger et à se défendre en se démarquant en offfrant plus d’informations ou de garanties aux investisseurs internationaux.
Une reprise étonnante
Alors que l’année 1995 commence de façon
désastreuse, la reprise se fait sentir plus tôt que
prévu sur plusieurs fronts à la fois : après avoir
chuté de 6% cette année-là , le PIB croît de 5.5% en
1996, de 7% l’année suivante et atteint une
croissance moyenne de 5.5% de 1996 à 2000 [4] . Le volume des exportations croît lui aussi de plus de
50% en deux ans, poussé par un peso re-évalué, et
les importations, après s’être contractées de 13% en
1995, augmentent de 23% en 1996 5 [5] . En janvier
1997, le Mexique termine plus tôt que prévu de
rembourser son emprunt aux EUA.
Si l’intensité de la crise a causé un choc, la reprise
rapide au Mexique suscite aussi de l’intérêt sur
plusieurs plans. Tout d’abord, la réponse rapide et
prodigue des EUA (et, dans une certaine mesure,
celle de la communauté internationale), en agissant comme préteur de dernière instance, a certes contribué à calmer les marchés financiers. Il semble
aussi que l’intervention des EUA n’aurait pas été la
même si les deux pays ne venaient pas tout juste de
conclure les négociations de l’ALENA. On peut
depuis lors contraster cette réaction avec la posture
très ambiguë et réticente qu’auront les EUA et le
FMI, cinq ans plus tard, avant et durant la chute de
la caisse d’émission (« currency board  ») en
Argentine. Ainsi, la crise mexicaine aurait confirmé
que, pour le meilleur et pour le pire, les destins des
partenaires de l’ALENA étaient désormais liés.
Cette relation tranche nettement avec celles que les
EUA continueront de maintenir avec le reste de
l’Amérique latine et une des conséquences de ceci
est que le Mexique n’est pas affecté par la
contagion de la crise en Argentine. Ce soutien
apporté par les EUA au Mexique etle fait que ce
soutien contribue à en faire un cas d’espèce par
rapport aux autres pays émergents, seront par la
suite interprété comme des atouts importants de
l’intégration commerciale et spèseront lourd parmi
les arguments auxquels on aura recours en
Amérique Latine de la part de ceux qui défendent la
négociation d’un accord commercial avec les EUA.
Au demeurant, une part importante de la relance au Mexique après 1994 est imputable à l’essor économique au nord du pays et au secteur de la maquiladora. Proche du marché des EUA (qui, lui-même, connaît une forte croissance à cette époque), et souvent en partenariat avec des entreprises des
EUA ou étrangères capables de leur offrir un
financement, l’embellie économique que connaît la
région semble confirmer qu’une croissance rapide
est étroitement liée au secteur des exportations. En
ce sens, la reprise économique au Mexique semble
valider les bienfaits de l’ouverture des marchés de
produits, ce qui, Ã son tour, renforce
l’argumentation en faveur des traités de libre
échange.
Les séquelles de la crise
Aussi rapide qu’ait été la reprise, dix ans plus tard,
on peut encore trouver des traces de cet
effondrement. La séquelle la plus notoire est l’état
du secteur bancaire à l’heure actuelle. Tout d’abord,
au-delà de 90% du secteur est maintenant entre les
mains d’institutions étrangères. En effet, pour
d’attirer le capital après la crise, le gouvernement
mexicain permet finalement l’achat à part entière
des banques nationales. Ce changement de
propriété, dont les effets à long terme sont encore
chaudement débattus, ne règle cependant pas la
question de fond : après l’abandon du système de
parité, toutes les activités créditrices s’arrêtèrent
abruptement. Le Fondo Bancario de Protección al
Ahorro (FOBAROA), une institution fédérale créée
pour protéger les dépôts des consommateurs,
assuma rapidement tous les prêts jugés irrécupérables à la suite de la dépréciation, afin de prévenir une panique bancaire. Or, depuis la
privatisation du secteur bancaire, plusieurs banques
s’étaient prêtées à des transactions pour le moins
contestables et une part importante des prêts
assumés par le FOBAPROA pouvait être
considérée comme « irrégulière  » même avant la
chute du peso (par exemple, les prêts faits sans
garanties par les nouveaux propriétaires de banques
à des membres de leur entourage, etc.). On estime
que le pourcentage des prêts non remboursables
quadruple entre 1990 et 1994. Une vérification de
l’agence fédérale d’auditeurs effectuée en 2001
estimait que ces transactions se chiffraient Ã
US$4.5 milliards [6]. Et même si une majorité de
Mexicains s’oppose au remboursement de ces prêts,
pour ne pas nuire à son image de bon débiteur, le
gouvernement continue de compenser les banques.
Le montant total du remboursement qu’il reste Ã
faire est estimé à 106 milliards de dollars US, ce
qui représente un poids important pour le
gouvernement fédéral et à peu près soixante fois le
montant destiné à la santé publique en 2004 [7].
Outre le coà »t élevé de l’assainissement bancaire, le
secteur bancaire continue de performer en dessous
de ses capacités -ces deux facteurs seraient même
liés dans la mesure où les banques, recevant les
remboursements réguliers du gouvernement, ont
moins besoin de vivre de leur émission de crédit.
En 1995, le crédit au secteur privé tombe de 40% et
ne remonte pas vraiment depuis : de fait, entre 1997
et 2004 les prêts commerciaux diminuent de
nouveau de 25%. Cette situation nuit surtout aux
PME nationales qui, n’ayant pas accès aux marchés
internationaux, sont contraintes de se faire financer
par les banques nationales. Or la réticence de ces
banques à prêter rend les emprunts difficiles et
coà »teux. Elle contribue ainsi à élargir l’écart entre
les entreprises et industries qui ont accès au marché
international et celles qui n’y ont pas accès.
La dernière séquelle qui peut être partiellement
attribuée à la crise est le sur-investissement dans le
secteur des exportations au détriment des autres
secteurs. La reprise rapide de l’économie mexicaine
après la crise semblait confirmer la validité du
modèle de développement basé sur l’ouverture des
marchés de produits et la promotion des
exportations. C’est ainsi qu’on assiste à la signature
d’une série d’accords de libre-échange après 1995
et à la concentration du développement dans le nord
du pays qui assume le rôle de principale plate-forme
exportatrice. À l’heure actuelle, la
mobilisation populaire contre le Plan Puebla
Panama (PPP) reflète la montée d’un fort scepticisme et d’une résistance grandissante face à ce modèle de développement. On lui fait grief de
n’avoir pas favorisé la croissance de l’économie
mexicaine, d’avoir exacerbé la dépendance vis-à -vis
de l’économie des EUA et d’avoir poussé à un
nivellement vers le bas des salaires, surtout depuis
l’intensification de la concurrence avec les pays
d’Asie et avec la Chine. Les débats actuels sur la
réforme du Code de travail, la privatisation de
l’énergie et le financement de l’éducation sont la
conséquence de ces questionnements sur modèle de
développement à suivre.
Une autre crise est-elle possible ?
La première leçon que nous avons tirée de cet
épisode était à l’effet que les crises financières Ã
venir seraient sans doute plus difficiles à prédire et
qu’elles seraient de nature passablement différentes
de celles qui avaient cours par le passé. Cette leçon
a été vérifiée avec l’éclatement des crises sur les
marchés asiatiques et la contagion qui s’en est
suivie dans des économies aussi éloignées que
celles de la Russie et du Brésil. Cet effet de
contagion, qui propage une crise financière Ã
d’autres pays, a engendré des études toujours plus
poussées sur les facteurs qui peuvent favoriser,
mitiger, ou empêcher une crise d’émerger et la
recherche se concentre de plus en plus sur les
façons dont les économies en développement
peuvent se protéger des changements brusques dans
les flux de capitaux. Une des leçons qui s’en
dégage, c’est que le recours à un taux de change
flexible offre moins de prise aux spéculateurs et
alloue une plus grande flexibilité aux
gouvernements nationaux. Les pays latino-américains
sont à l’avant garde de ce mouvement et
il ne reste pratiquement plus de taux d’échanges
fixes dans la région. La contrepartie de ce choix
sera la plus grande volatilité de la dette de ces pays
qui est en bonne partie souscrite en dollars US.
Il est de plus en plus question aujourd’hui des coà »ts
et bénéfices de la libéralisation des marchés
financiers. Depuis les mécanismes de sauvetage des
investisseurs mis en place après la crise mexicaine
(« bail-out  »), nous sommes passés à l’idée que les
investisseurs devraient dorénavant assumer une
partie des pertes après une crise de ce genre (« bail-in
 »). Ce renversement montre que l’on reconnaît
implicitement que la volatilité des grands
mouvements de capitaux est un facteur de crise,
d’une part, que les investisseurs devraient eux aussi
assumer une partie de la perte lorsque
l’investissement n’est pas rentable, d’autre part. Ce
changement de perspective devrait, Ã terme,
contribuer à réduire la volatilité des marchés et Ã
répartir les coà »ts de façon plus équitable lorsque
ceux-ci ont des réactions excessives. Néanmoins,
l’application de ce changement reste limité par l’intérêt qu’ont les pays de se présenter comme de
bons débiteurs et donc par la réticence qu’ils
pourront avoir à faire défaut sur le paiement de
leurs dettes. Ce sont là les termes de débats
actuellement en cours en Argentine, entre autres.
Pour leur part, les gouvernements cherchent Ã
renforcer l’image de stabilité de leur pays. C’est
pourquoi on négocie aujourd’hui des accords
commerciaux pour signaler aux marchés
internationaux que les gouvernements sont prêts Ã
offrir les meilleures garanties aux investisseurs
étrangers. Pour leur part, les banques centrales
préfèrent de plus en plus une inflation basse et
constante à un taux de croissance élevé qui
apporterait des risques de surchauffe. C’est
pourquoi les banques centrales accumulent des
réserves internationales pour montrer qu’elles
pourront soutenir les assauts en cas de remous
financiers. Ainsi, en février 2004, la banque
centrale mexicaine maintenait un niveau historique
de 59 milliards 151 millions de dollars US en
réserve [8]. Or une telle politique monétaire a un coà »t socio économique important : dans la mesure où les fonds doivent être disponibles en tout temps, ils
ne peuvent être utilisés pour d’autres
investissements, comme la santé ou l’éducation.
En définitive, la crise du peso a souligné
l’importance d’avoir un secteur bancaire sain et
cette leçon a été confirmée lors des crises qu’ont
connues les pays asiatiques. Les pays latino-américains
en prirent note, bien que la rapidité et la
profondeur des changements en matière de
régulation et de supervision bancaire aient varié en
fonction des informations disponibles aux autorités
en place, de leur perception de la sévérité du
problème et des instruments à leur disposition [9].
Pour sa part, le FMI a été amené à revoir sa défense
inconditionnelle d’une politique d’ouverture des
marchés financiers et il préconise désormais une
ouverture plus graduelle, en insistant sur
l’application de normes de base dans la régulation
bancaire. Si, en Amérique Latine, le secteur
bancaire est plus solide aujourd’hui qu’il y a dix
ans, Ã part le Chili, on ne peut pas dire qu’il soit
réellement sain. Dans bien des cas, il met un frein Ã
la croissance et sa stratégie pourrait contribuer Ã
créer ou exacerber une crise future.
La question demeure ouverte de savoir si une
économie latino-américaine pourrait vivre une crise
de l’ampleur de celle qui a secoué le Mexique en
1994 et si oui, comme le montre le cas de
l’Argentine, quel en serait le coà »t politique à court et à moyen terme [10]. Car les changements importants et autres adaptations normatives ou institutionnelles
qui ont été faits affectent non seulement la position
et la réputation internationale des pays d’Amérique
latine, mais ils affectent également les conditions
de vie et de travail de leurs citoyens. Or ceux-ci
sont aujourd’hui les principaux critiques de ces
aménagements et accommodements. Face à la
hausse du chômage, à la pauvreté croissante et au
creusement des inégalités, ainsi qu’à la baisse des
revenus réels, de plus en plus de citoyens remettent
en cause les coà »ts économiques et sociaux des
réformes adoptées au cours des dix dernières
années. Ces citoyens sont désormais représentés par
de nouveaux dirigeants politiques qui, s’ils ne
prônent pas un retour aux mesures populistes des
années 1970, rejettent la rigidité du cadre
d’intervention imposé par les marchés et soulignent
le coà »t humain des politiques économiques
adoptées ces derniers temps. Il reste donc à voir
comment tous ces Lula au Brésil, Kirchner en
Argentine, Vazquez en Uruguay et Chavez au
Venezuela, seront en mesure de porter et de
défendre des mesures alternatives susceptibles à la
fois de soutenir la croissance économique et de
répondre aux besoins sociaux les plus pressants. Or
si l’histoire récente nous offre une dernière leçon Ã
cet égard, c’est que l ‘équation en question n’est pas facile à résoudre.
[1] Alors que le président sortant Carlos Salinas avait déjà fait face à une forte opposition lors de son élection, le vainqueur des élections de 1994, Ernesto Zedillo n’était même pas le premier choix de son parti, mais un compromis de dernière minute après que le premier candidat officiel, Luis Colosio, eut été assassiné en mars 1994.
[3] Pour une discussion sur ce sujet, voir entre autres http://www.stern.nyu.edu/globalmacr...
[4] La croissance moyenne est de 3.6% si on inclut 1995. - CEPAL Anuario estadÃstico de América Latina y el Caribe 2003.
[5] Ibid.
[6] B. Stallings, R. Studart « Financial regulation and supervision
in emerging markets : the experience of Latin America since the
Tequila Crisis  », CEPALC, décembre 2001
[9] B. Stallings, R. Studart , op. cit.
[10] Sans doute la probabilité de crise ne tient pas seulement aux changements intervenus dans les politiques économiques adoptées dans la région, mais également à son déclin comme destination des investissements étrangers directs.
Source : La Chronique des Amériques, Observatoire des Amériques (http://www.ameriques.uqam.ca/), décembre 2004, n°42.