Les rapports des organisations internationales et de défense des droits humains en témoignent. Il ne fait pas bon être un leader social en Colombie.
Francisco Cortes Aguilar - Pacho - en sait quelque chose. Originaire du département oriental d’Arauca, Pacho a commencé à militer, il y a un peu plus de 20 ans, au sein des rangs de l’ANUC-UR, une organisation paysanne colombienne liée à la Via Campesina [1]. A l’instar de près de 3 millions de Colombiens, et après que l’armée a détruit sa finca et a tenté de l’assassiner (1989), Pacho dut fuir sa région natale pour la capitale fédérale, Santafé de Bogota, où il poursuivit son travail politique et social en s’illustrant pendant de nombreuses années comme militant des droits humains et défenseur des paysans déplacés.
Victime de constantes menaces des groupes paramilitaires et obligé régulièrement de déménager pour des raisons de sécurité, Pacho bénéficia d’un programme de protection des défenseurs des droits humains de l’Etat. A la même époque, son organisation, l’ANUC-UR, était victime du terrorisme d’Etat et perdait quelques 50 dirigeants nationaux.
Décidé à mettre en sécurité sa famille - dont ses quatre enfants -, Pacho décida au début de l’année 2003 de s’exiler en Bolivie. Il ne devinait pas que de la Bolivie il allait surtout connaître ses geôles et que son exil allait se transformer en cauchemar.
Pour nous parler de l’histoire de Francisco Cortes, nous avons interviewé une de ses amies, Bélen Torres. Cette dernière était dirigeante de l’organisation paysanne ANUC-UR. Elle a quitté la Colombie il y a plusieurs années et vit actuellement en exil en Belgique. Elle s’occupe, entre autres choses, des relations internationales de son organisation. En juin 2004, elle a participé à une mission internationale de la VÃa Campesina en Bolivie.
Frédéric Lévêque : Pourquoi Pacho a-t-il choisi la Bolivie ?
Bélen Torres : Il avait décidé de s’exiler et ne voulait pas aller en Europe car cela constituait un trop grand déracinement. Il ne voulait pas perdre son identité et se couper du mouvement paysan. C’est pourquoi il a choisi la Bolivie, un pays qu’il connaissait déjà pour y avoir participé à des rencontres paysannes dans le cadre de la Via Campesina. Son organisation avait de bonnes relations avec le mouvement social sur place, notamment le mouvement cocalero (les cultivateur de plantes de coca).
En avril 2003, il se rend donc en Bolivie ...
Il décide d’y aller avec l’idée de trouver une maison. Il résidait dans la maison de Carmelo Peñaranda, un ami et dirigeant cocalero reconnu. S’y trouvait également Claudio RamÃrez.
A l’aube du 10 avril 2003, vers 6 heures du matin, alors qu’il était dans la maison depuis quatre jours, la police et l’armée sont arrivées pour une perquisition. Les forces de sécurité ont été violentes. Toute la famille a été frappée, ainsi que Carmelo et Claudio. Ils ont ensuite été emmenés.
Quelle était la raison de cette perquisition ?
La raison était la désarticulation d’un supposé réseau de terroristes colombiens et boliviens. Ils ont été accusés de mettre sur pied un groupe terroriste, el Ejercito de Liberación Nacional, et de préparer des attentats pour déstabiliser le pouvoir bolivien. Au début, on a présenté Pacho comme membre de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Ensuite, ils l’ont présenté comme étant de l’autre guérilla colombienne : l’Armée de libération nationale (ELN).
A 10 heures du matin, ils ont fait une seconde perquisition. Après celle-ci, ils ont annoncé qu’ils avaient trouvé des preuves : des kilos de coca et un uniforme militaire. Ils ont dit aussi qu’ils avaient trouvé dans la cuisine un paquet de sel. C’est normal dans une cuisine ! Mais pour eux, c’était une preuve. Le sel semble être un composant pour faire la pâte de cocaïne. Les preuves étaient ridicules.
De là , ils ont été emmenés à la prison de San Pedro à La Paz, et transféré ensuite à une prison de haute sécurité à El Alto, où ils étaient dans des conditions d’isolement total.
Il a passé quelque 19 mois en prison.
Ils ont été victimes de pressions psychologiques et de harcèlements. Pacho a eu des problèmes de santé et psychologiques aggravés par les 4.000 mètres d’altitude. Amnesty international et beaucoup d’autres organisations de défense des droits humains sont intervenus et ont réussi à le faire transférer de nouveau à la prison de San Pedro, à La Paz.
Il a été en prison durant 19 mois sans que sa situation soit clairement définie. Il n’y a pas eu d’audience du tribunal. Jusqu’en juin 2004, il n’y avait officiellement pas de charges contre lui. Il y a eu différentes visites et des pressions de juges, de députés de différents pays pour qu’au moins sa situation soit définie. On ne peut détenir quelqu’un sans définir sa situation légale. On l’a détenu sans l’accuser et sans lui permettre d’exercer son droit à la défense.
Maintenant, il est accusé de terrorisme, de trafic de drogues, d’organisation criminelle contre l’état et d’espionnage.
En juin 2004, la Via Campesina a organisé une mission internationale avec notamment son secrétaire général, le Hondurien Rafael Alegria, le paysan français José Bové, et Piedad Cordoba, sénatrice colombienne du Parti libéral et présidente de la Commission des droits de l’Homme du Sénat colombien. Tu peux nous en dire davantage ?
Nous sommes arrivés le 6 juin. Il devait y avoir une audience le 10 pour définir la situation légale de Pacho. Nous y étions de manière stratégique pour faire pression. Mais, comme par hasard, le jour de notre arrivée, le procureur est parti avec six autres personnes - toute l’équipe d’ « enquêteurs  » - pour la Colombie, emportant tout le dossier. Ils avaient, disent-ils, deux témoins qui pouvaient prouver que Francisco Cortés était un terroriste.
Ce sont deux témoins qui font partie d’autres dossiers contre des dirigeants sociaux colombiens. Ce sont des témoins professionnels, nécessaires pour accuser, criminaliser des leaders sociaux. C’est une pratique quotidienne en Colombie. Ces deux témoins accusent aussi l’épouse de Pacho de faire partie du réseau.
Cette commission était complètement illégale. Le principe d’extra-territorialité n’existe pas dans la loi bolivienne. On ne juge que des délits commis sur le territoire bolivien.
En plus, les avocats de Pacho n’en ont pas été informés. Il n’y avait pas de possibilité, donc, pour la défense d’interroger lesdits témoins. On a constaté récemment qu’il manquait de nombreux documents dans les copies du dossier qu’ont reçues les avocats de Pacho.
Lors de cette mission, vous avez rencontré différentes autorités.
En effet, nous nous sommes entretenus à deux reprises avec le président de la République, Carlos Mesa, avec le ministre de la Justice, avec la présidente de la Cour suprême de justice. Nous avons demandé pourquoi une telle irrégularité était commise ? Personne ne savait pourquoi cette commission était sortie du pays. Il semble qu’il n’y avait pas de permission pour ce voyage en Colombie. Il n’y avait pas non plus de preuves démontrant d’où sortait l’argent finançant le voyage.
On a appris que le procureur, à son retour, affirmait avoir financé ce voyage avec son propre argent. C’est totalement illogique qu’en Bolivie, avec une justice travaillant dans la précarité des moyens financiers, un procureur s’offre le luxe de financer de sa propre poche le voyage de toute une délégation.
Les autorités que nous avons rencontrées ne répondaient pas directement aux questions que nous leur posions. Elles disaient qu’il fallait se renseigner, qu’il fallait enquêter.
Vous avez également rencontré le Défenseur du peuple [2].
Cette rencontre a éclairci beaucoup de choses et confirmé plusieurs présomptions. Le Défenseur du peuple a suivi cette affaire depuis le début. Ce qu’il nous a dit, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un cas judiciaire, qu’il n’y a aucune preuve contre Francisco Cortés. Il nous a dit qu’il s‘agissait d’une affaire politique et que derrière celle-ci se trouvait l’ambassade des Etats-Unis. Il l’a dit ainsi.
Le poids de l’ambassade est impressionnant en Bolivie.
Tu affirmes qu’il s’agit d’un pur montage ...
Il y a un intérêt à ce que Pacho soit condamné pour les délits dont on l’accuse. Et pour cela, ils peuvent inventer n’importe quelle preuve.
Peut-être que la justice bolivienne n’est pas intéressée à savoir qui est Pacho Cortés. L’important c’est que c’est un Colombien et nous, les Colombiens, nous portons cette réputation pénible d’être des trafiquants de drogue ou des terroristes.
Tout est un montage. Ils voulaient des preuves pour l’impliquer dans des faits de terrorisme, de soulèvement armé et surtout de trafic de drogues. C’est très difficile de défendre quelqu’un en Bolivie qui est inculpé de trafic de drogue.
Nous avons rencontré dans la prison où était détenu Pacho deux autres paysans cultivateurs de coca. Ils ont raconté à la Mission de la Via Campesina, qu’ils étaient détenus car on les accusait de faire partie du réseau de Pacho, alors qu’ils ne le connaissaient pas. Pacho non plus ne les connaissait pas. Ils se sont connus en prison.
Ces deux paysans ont été torturés. Un des deux nous montra d’ailleurs son avant-bras qui fut fracturé lors de séances de torture. Malgré cela, ils ont maintenu leur version et confirmé qu’ils ne connaissaient pas Pacho.
Le Défenseur du peuple nous a assuré avoir été le témoin d’un fait révélateur. A La Paz, la Police a arrêté, suite à une bagarre de rue, deux Colombiens qui avaient trop bu. Elle a constaté qu’ils portaient des papiers de l’ONU. Ils avaient le statut de réfugié. Le procureur, chargé de l’affaire de Pacho, s’entretint avec eux et leur dit qu’ils étaient dans de beaux draps et qu’il pouvait les sortir de là s’ils collaboraient. Il leur a demandé de témoigner et d’affirmer qu’ils faisaient partie du réseau de Pacho. Il leur a promis de leur rendre la liberté, de les protéger et de les sortir du pays. S’ils refusaient, le juge les menaçait de les accuser de faire partie justement de ce réseau.
Finalement, ces deux Colombiens sont allés à la Défense du peuple pour demander une protection, se plaindre de la menace du procureur, en affirmant qu’ils ne connaissaient pas Pacho Cortès. Le Défenseur du peuple appela alors le Haut Commissariat aux réfugiés (ONU) qui les fit sortir de Bolivie.
Quel a été le rôle des médias, boliviens et colombiens ?
Etrangement, lors de la perquisition, les forces de l’ordre étaient accompagnées de nombreux médias. C’était préparé, c’était pensé. Plus tard, plusieurs journalistes nous ont confié que c’était l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique (EUA) en Bolivie qui avait convoqué la presse à cette perquisition.
La couverture des médias boliviens a été terrible, faisant le jeu de la stratégie des Etats-Unis en faisant croire qu’il existe un danger réel de terrorisme afin de mobiliser l’opinion nationale.
Depuis les grandes mobilisations sociales de 2003 qui ont fait chuter le gouvernement de Gonzalo Sanchez de Lozada, remplacé par Carlos Mesa, les manifestations n’ont pas cessé, notamment pour la nationalisation du gaz. Pour certains secteurs, il est important de mettre un frein à ces mobilisations. Avec l’affaire de Pacho, ils ont inculpé 45 dirigeants du Mouvement au socialisme (MAS), le parti du dirigeant paysan Evo Morales. Selon le Défenseur du peuple, il y a deux cent autres leaders, du MAS aussi, qui sont en attente d’une inculpation.
Ce qu’ils cherchent, c’est freiner cette escalade de mobilisation, délégitimer le Mouvement au socialisme (MAS). Ils veulent éviter que se constitue en Bolivie un second Venezuela. Aux prochaines élections, il est probable qu’Evo Morales ou un autre dirigeant du MAS gagne la présidence du pays.
Pacho est donc la victime de cette situation d’instabilité et de conflit dans le pays ?
En effet, et nous insistons sur ce point dans la campagne de solidarité. En plus d’être un défenseur des droits humains, d’être innocent et d’être un prisonnier politique, il faut arrêter la politique de répression et de criminalisation des mouvements sociaux. En Colombie elle existe déjà et est institutionnalisée.
Propos recueillis par Frédéric Lévêque, Bruxelles, décembre 2004.
Soutenez Pacho Cortés !
Le 6 décembre 2004, suite à une audience publique du tribunal de la Paz, Francisco Cortés s’est vu octroyé la liberté provisoire après 20 mois de prison préventive.
En dépit de son extrême pauvreté, le juge a exigé de Pacho une caution de 8.000 US dollars. Cette somme a été récoltée grâce à la solidarité internationale. Mais le procureur a fait appel et a réussi à annuler la décision de libération conditionnelle de Pacho qui a été transféré dans une sorte de prison privée où il se trouve en total isolement et dans des conditions plus graves encore qu’auparavant.
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Communication : CAUTION PACHO CORTES.
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[1] Réseau international d’organisations paysannes. (www.viacampesina.org). Lire : VÃa Campesina : une histoire de survivants, Luis Hernández Navarro, RISAL, juin 2004 : http://risal.collectifs.net/article....
[2] Organisme public de défense des droits humains.