Réactivation andine de « l’Opération Condor  » ?
par Stella Calloni
Article publié le 1er février 2005

L’idée d’une réactivation andine de ce que fut « l’Opération Condor  » dans les années 70 grandit. L’enlèvement d’un leader des FARC au Venezuela ranime la « guerre sale  ».

L’enlèvement d’un dirigeant de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) le 14 décembre passé au Venezuela, qui a ensuite été livré au gouvernement d’Alvaro Uribe, a lancé l’idée d’une réactivation andine de ce que fut « l’Opération Condor  », la coordination criminelle des dictatures du Cône sud dans les années 70 [1]

Le « Plan Condor  » a été conçu par l’Agence centrale de renseignement états-unienne (CIA) et mis en route en 1974 par la dictature d’Augusto Pinochet au Chili. Puis, il fut « institutionnalisé  » quand s’installa, en mars 1976, la junte militaire en Argentine. Il regroupait le Chili, l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay dans une coordination pour surveiller, échanger entre services secrets des renseignements et des prisonniers politiques, assassiner et faire disparaître.

Mais l’ombre du crime s’est étendue àd’autres pays d’Amérique latine. Dans les archives du « Condor  » au Paraguay, découvertes dans les années 90, on a retrouvé des demandes d’information sur l’emplacement et le suivi des dissidents politiques du Cône sud dans plusieurs pays dont, en plus de ceux déjàcités, la Colombie, le Venezuela et le Pérou.

On a peu enquêté sur la participation des services de sécurité colombiens ou de la Direction de la sécurité et des renseignements vénézuélienne (Disip) durant ces années. Il y avait alors au Venezuela, par exemple, une présence active de groupes cubains anti-castristes dont le siège était àMiami. En faisaient partie des gens comme Luis Posada Carriles qui, en 1976, a dirigé depuis Caracas l’attentat contre l’avion de Cubana Aviación qui explosa sur la Barbade, faisant 73 morts [2] .

L’opération d’enlèvement de Rodrigo Granda, considéré comme « l’ambassadeur  » des FARC, a pu s’inspirer du « Condor  » et a été en outre utilisé, dans ce cas, pour saper les bases du gouvernement d’Hugo Chavez, au moment où la pression états-unienne contre ce pays est en recrudescence et où la secrétaire d’Etat des Etats-Unis vient de définir le Venezuela, dans son intervention au Sénat, comme une « influence négative  » en Amérique latine.

Des antécédents en Equateur

Un cas antécédent àcelui de Granda fut la capture en Equateur - mais dans le contexte cette fois d’une demande d’Interpol et avec le consentement du gouvernement local- du dirigeant des FARC Simón Trinidad, qui fut ensuite remis àla Colombie puis extradé le 31 décembre aux Etats-Unis qui le réclament, comme d’autres chefs de la guérilla colombienne, pour des « soupçons  » de narcotrafic.

Ce qui est certain, c’est que le versement d’argent àdes membres des services de sécurité vénézuéliens pour collaborer àl’enlèvement -ce qu’a admis le président colombien Uribe dans le cas Granda, bien qu’il ait parlé d’une « récompense  » pour les agents vénézuéliens qui ont livré le guérillero- fut aussi utilisé par des dictateurs comme Pinochet, avec ses associés de la Triple A (Alliance anticommuniste argentine) qui collaborèrent àdes assassinats. On peut citer comme exemple le meurtre du général chilien constitutionnaliste [opposé au coup d’Etat] Carlos Prats et de sa femme Sofía àBuenos Aires en septembre 1974, c’est-à-dire avant l’arrivée de la dictature [argentine] en 1976.

Les membres des agences de sécurité de la région jouissaient de bénéfices économiques quand ils réalisaient ces opérations pour éliminer des opposants des dictatures voisines qui s’étaient réfugiés dans le pays ou cherchaient às’enfuir.

Au Venezuela, le procureur général Isaías Rodriguez a décidé d’ouvrir une enquête contre le ministre de la Défense colombien, Jorge Alberto Uribe, pour déterminer s’il a commis un délit en soudoyant des fonctionnaires vénézuéliens. Les cinq militaires accusés d’être les auteurs matériels de l’enlèvement de Granda ont déjàété présentés devant un tribunal militaire qui a ordonné leur réclusion au Centro Procesador de Militares.

Accusés de « trahison àla patrie, abus d’autorité, manque àl’honneur militaire et mise en péril de l’indépendance du pays et de ses relations avec les autres nations  », ces militaires ont reproduit un schéma de la « guerre sale  », qui a provoqué un grave conflit bilatéral pour le gouvernement de Chavez.

C’est le même schéma d’action que dans le Chili de Salvador Allende, le président constitutionnel qui a préféré mourir dans le palais présidentiel de La Moneda, bombardé par les putschistes menés par Pinochet.

Beaucoup de ces personnages du passé, expérimentés dans ce type d’action en Colombie comme au Venezuela, et des vétérans du « Condor  » - retranchés derrière leur impunité - pourraient être de retour.

Rappelons que Posadas Carriles, tout comme Guillermo Novo Sampo - qui prit part àl’assassinat àWashington d’Orlando Letelier, ministre des Affaires étrangères d’Allende - ne se sont pas retirés mais sont libres, après avoir été détenus au Panama suite àleur tentative d’assassinat du président cubain Fidel Castro, pendant qu’il assistait, dans ce même pays, àla Conférence Ibéro-américaine en 2000.

Les archives du « Condor  » du Paraguay montrent que des demandes d’information ont été requises par les régimes du Cône sud àla Colombie (qui figure dans les rapports comme Col), au Venezuela (Ven) et au Pérou (Pe), comme le dévoilent plusieurs documents.

En 1978, des groupes de militaires et de policiers argentins ont participé en Colombie àla persécution d’Argentins qui, fuyant la dictature, étaient dans le pays. Au cours de ces années, la Disip répondait aux demandes de renseignements sur les citoyens du Cône sud, parmi lesquels le paraguayen Valentín Quintana, comme le montrent les archives découvertes grâce au travail de l’avocat paraguayen Martin Almada. Au Pérou, également dans les années 70, des enlèvements d’opposants argentins eurent lieu.

Il y a donc eu des antécédents d’expériences conjointes, qui pourraient inspirer de nouvelles opérations, déjàinfluencées par le géostratégique Plan Colombie [3].

Notes :

[1Voir : Opération Condor  », cauchemar de l’Amérique latine, par Pierre Abramovici (http://risal.collectifs.net/article...). (ndlr)

[2Voir : Cuba-Panama : Rupture des relations diplomatiques autour de la question du terrorisme, par Salim Lamrani (http://risal.collectifs.net/article...). (ndlr)

[3Voir : Dossier Plan Colombie / Initiative andine (http://risal.collectifs.net/mot.php...). (ndlr)

Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), México, 21 janvier 2005.

Traduction : Cynthia Benoist, pour RISAL (http://risal.collectifs.net).

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