La presse internationale a pour habitude de parler du régime cubain comme d’une dictature qui enferme ses opposants. Sans entrer dans la polémique sur la vague de répression qui toucha lesdits dissidents - des mercenaires, selon certains- du régime au printemps 2003, une chose est sà »re, l’affaire est connue et est utilisée pour montrer le caractère "totalitaire" du régime castriste. Une autre affaire mériterait cependant autant d’attention médiatique : c’est celle des Cincos, des cinq "patriotes" ou encore "héros", selon le discours du régime, qui sont détenus aux Etats-Unis pour avoir notamment, en tant qu’agents de l’Etat cubain, empêché de nouveaux attentats terroristes contre l’île de la part des secteurs d’extrême droite anticastristes. Salim Lamrani avait déjà expliqué sur ce site l’affaire des Cincos (voir : “L’ignominie de l’Empire : le cas des cinq prisonniers politiques cubains), il revient dessus en donnant son opinion sur le pourquoi du silence médiatique sur ces violations des droits de l’Homme commises par le gouvernement des Etats-Unis.
Pourquoi la presse internationale ne parle t-elle pas du cas des cinq prisonniers politiques cubains qui constitue en réalité l’un des plus grands scandales politiques et judiciaires du siècle ? Comment est-il possible qu’une affaire qui dépasse toutes les limites du sensationnel, adaptée à n’importe quelle forme de couverture médiatique par son contenu politique et juridique ait été censurée par l’immense majorité des moyens d’information du monde occidental ? Comment est-il possible qu’à l’heure de la « lutte globale contre le terrorisme  », cinq jeunes cubains qui ont risqué leur vie pour empêcher la réalisation d’actes terroristes contre leur pays aient été arrêtés, maltraités et condamnés à des peines de prison à vie aux Etats-Unis sans que les transnationales de l’information relatent cette histoire ?
Pour comprendre cela, il convient d’expliquer le fonctionnement du flux d’information. Tout le monde de la presse occidentale est régi par un concept établi depuis de nombreuses années par les maîtres de l’univers, à savoir le grand capital financier, propriétaire de la majeure partie des moyens d’information.
En réalité, il existe au sein de la presse un cadre de débat préétabli, scrupuleusement limité et respecté de façon religieuse par tous les grands moyens d’information. A l’intérieur de ce cadre substantiellement doctrinal y écrasé par l’idéologie dominante, le débat peut avoir lieu et doit même avoir lieu pour donner une impression de pluralité de voix, de diversité d’opinions et de démocratie. Mais, en réalité, il s’agit simplement d’un leurre car il se trouve minutieusement limité à des thèmes conventionnels. Le cadre idéologique accepte seulement des opinions et des pensées conventionnelles et superficielles qui ne vont pas à contre-courant et qui respectent la ligne officielle établie par l’idéologie dominante. Donc, ici, il n’est jamais possible d’aller à la racine des problèmes vitaux. Il est inconcevable d’évoquer les questions fondamentales.
Le cas des cinq prisonniers politiques cubains n’est pas abordé dans la presse internationale car il se trouve en dehors du cadre établi. Il n’est point possible de signaler dans la presse, supposément démocratique, des phénomènes évidents, des truismes de première dimension que l’on publierait à la première page de tous les journaux s’il existait une quelconque propension à révéler la vérité objective. Il n’est point possible de dire que Cuba est le pays qui a souffert de la plus longue et plus féroce campagne terroriste de l’histoire moderne. Il n’est point possible non plus de signaler que cinq patriotes cubains se trouvent emprisonnés aux Etats-Unis pour avoir combattu le terrorisme. De la même façon, il n’est point possible de faire remarquer que le moteur principal des relations entre Cuba et les Etats-Unis a été la violence terroriste de la première puissance mondiale. Traiter les questions les plus évidentes comme le droit de Cuba à se défendre face aux agressions est inadmissible.
Durant plusieurs années, la communauté internationale a débattu sur le blocus économique étasunien et s’est demandée s’il s’agissait de la meilleure manière d’arriver à une ouverture politique à Cuba. Le thème a été abordé comme s’il s’agissait d’une question sérieuse. Ce n’était pas sérieux et ce n’est toujours pas sérieux. En réalité, la vraie question posée par Washington est la suivante : quelles sont les mesures que convient de prendre pour arriver à l’annihilation complète de Cuba en tant que nation souveraine et indépendante ? Voilà la véritable question.
Au sein de l’Union européenne, le débat de savoir si une politique de sanctions contre Cuba aurait des effets positifs et entraînerait une « démocratisation du régime  » a également surgi. On a parlé de cela et l’on continue de parler de cela comme s’il s’agissait d’une question sérieuse. Ce n’est point sérieux. La véritable question est : quelles mesures Washington peut prendre pour détruire le projet révolutionnaire cubain ? Quelles mesures la Maison blanche peut mettre en place pour transformer un pays souverain en néo-colonie, pour subjuguer un peuple libre ?
Dans la presse internationale, les questions les plus évidentes sont déclarées illégitimes, voire considérées comme impensables. Le terrorisme contre Cuba a été supprimé des archives. On ne questionne pas les politiques traditionnelles destinées à détruire l’existence d’un peuple. Les questions vitales pour la survie de Cuba sont censurées de manière éhontée, mais conformément au cadre doctrinal établi.
En France, la grande presse - qu’elle soit de droite, de gauche ou même communiste (comme c’est le cas du journal L’Humanité) - est la propriété de grands groupes économiques et financiers. Deux multinationales - Dassault et Lagardère - dont la principale activité est la vente internationale d’armes (avions de chasse, missiles, fusées...) et dont le commerce est la guerre, contrôlent le monde de la presse et de l’édition. Le groupe Dassault, présidé par M. Serge Dassault, personne de la droite radicale, est propriétaire de la Socpresse, le plus important groupe de presse français. Ce groupe publie plus de 70 journaux et revues, parmi lesquelles Le Figaro, L’Express et L’Expansion et plusieurs dizaines de titres régionaux. [1]
Quant au groupe de M. Arnaud Lagardère, il contrôle près de 47 journaux, revues et maisons d’éditions, parmi lesquelles Hachette, La Provence et Nice-Matin. Il est le premier éditeur de France (Grasset, Fayard, Stock...). Il est inutile de préciser qu’en plus du contrôle économique que ce groupe dispose sur ses publications, il exerce un contrôle extrêmement étroit de la ligne éditoriale, ce qui soulève plusieurs questions assez graves. L’activité qui génère des profits à la multinationale d’armes est la guerre. Comment ce thème délicat va-t-il être abordé dans ses publications ? Ne risque-t-on pas de voir surgir un conflit d’intérêt ? La présentation objective des évènements sera-t-elle le principal objectif de ces journaux ? [2]
Le cas le plus symbolique est celui du journal français Libération. Jadis, d’idéologie maoïste, il a été créé par le philosophe Jean-Paul Sartre dans les années 70. Depuis plusieurs années, il est déficitaire. En janvier 2005, le banquier ultralibéral Edouard de Rothschild a pris le contrôle de 37% du capital en injectant 20 millions d’euros. De quelle indépendance peut jouir un journal contrôlé par le grand capital financier ? [3]
Pourquoi le grand capital économique et financier investit-il dans le monde de la presse qui constitue un secteur extraordinairement déficitaire ? Cela est économiquement absurde mais idéologiquement très efficace. Le but de ces investisseurs n’est pas de générer du profit mais de réduire le cadre conventionnel du débat « démocratique  » permis, cadre qui devient de plus en plus totalitaire et superficiel. Il est totalitaire dans la mesure où il n’accepte pas les pensées alternatives et il est superficiel puisqu’il n’analyse jamais les questions en profondeur.
Le propriétaire de la Socpresse, M. Serge Dassault, a admis publiquement les objectifs recherchés lors de l’acquisition du journal Le Figaro. « Je souhaiterais, dans la mesure du possible, que le journal mette plus en valeur nos entreprises. J’estime qu’il y a quelquefois des informations qui nécessitent beaucoup de précautions. Il en est ainsi des articles qui parlent des contrats en cours de négociation. Il y a des informations qui font plus de mal que de bien. Le risque étant de mettre en péril des intérêts commerciaux ou industriels de notre pays  ». [4] Ainsi, M. Dassault confesse personnellement que le rôle de sa presse est de défendre les intérêts particuliers de son groupe et de développer son labeur de propagande en faveur, selon ses propres paroles, des « idées saines  » qui promeuvent les dogmes idéologiques ultralibéraux.
L’exemple le plus illustratif de propagande est la chaîne de télévision étasunienne Fox News, propriété du multimilliardaire Rupert Murdoch, qui s’est convertie en une terrible machine d’intoxication médiatique. Au début de l’invasion de l’Irak par les troupes nord-américaines, elle a diffusé les contrevérités les plus grossières qui provenaient directement de la Maison blanche.
En réalité, ce que l’on a pour habitude d’appeler la « presse internationale et démocratique  » est un monde tyrannique et réactionnaire qui ne constitue plus le quatrième pouvoir qui a pour devoir de dénoncer les abus du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Désormais, le monde de la presse sert l’agenda de groupes privilégiés et défend les intérêts des élites économiques et politiques. C’est la raison pour laquelle il convient de dire en toute objectivité que la presse dominante est une menace pour la démocratie.
[1] Ignacio Ramonet, “Médias en crise”, Le Monde Diplomatique, janvier 2005 : 1,26, 27.
[2] Ibid.
[3] Renaud Revel, “Libération est le socle d’un groupe de presse”, L’Express, 31 janvier 2005.
[4] Bertrand d’Armagnac, “Les interventions de Serge Dassault inquiètent la rédaction du ‘Figaro’”, Le Monde, 9 septembre 2005.