La Banque mondiale (BM) a une longue expérience dans le financement de projets hydrauliques au Mexique. Depuis qu’elle a conclu, en 1972, la première convention pour élaborer le Programme national hydraulique de 1975 jusqu’à la récente proposition (encore non approuvée) Appui pour la modernisation du secteur de l’eau et de l’assainissement, l’institution multilatérale a pris part dans le pays à plus de 30 projets liés à l’eau.
L’éventail de programmes en rapport avec le liquide vital dans lesquels la Banque mondiale est intervenue, est très large. Il comprend des secteurs comme l’irrigation, la santé et la distribution. La collaboration entre le gouvernement fédéral et l’organisme a été très étroite. L’évaluation du Projet administration de ressources hydrauliques, élaborée par l’institution financière le 31 mai 1996, indique : « La politique nationale hydraulique et les objectifs de l’administration de l’eau au Mexique sont étroitement en accord avec la politique de la Banque mondiale  ».
La plupart des prêts que l’organisme financier a accordés au Mexique, ont mis comme condition la privatisation et la récupération du coà »t total de l’eau. Dans son langage la « récupération du coà »t  » se réfère tant à l’élimination des subventions gouvernementales qu’à l’augmentation des paiements que les consommateurs doivent faire pour avoir accès au service. Ceci signifie que les entreprises opératrices chargées de fournir de l’eau potable doivent couvrir tous leurs frais d’opération et de maintenance par les paiements des consommateurs, sans recevoir de subventions gouvernementales.
Le gouvernement de Vicente Fox, tout comme ses prédécesseurs priistes [1], est d’accord avec ces mesures, c’est-à -dire la privatisation du secteur. Selon l’institution multilatérale, « les autorités mexicaines ont exprimé leur intérêt à ce que la Banque mondiale soit activement impliquée dans le secteur en ce moment critique pour l’agenda de la réforme, en tant qu’instrument pour fournir une assistance technique impartiale basée sur de bonnes expériences internationales  ».
Cette collaboration étroite avec l’administration du « changement  » [celle de Vicente Fox] ne date pas d’hier. Dès 2002, la Banque mondiale a accordé un prêt de 250 millions de dollars à la Commission nationale de l’eau. Une partie du financement a été utilisée pour soutenir le Programme pour la modernisation des prestataires du service eau et assainissement (Promagua), créé en 2001, qui fait partie d’un fonds de financement d’infrastructure qui octroie des prêts aux municipalités pour qu’elles mettent à jour et développent leurs systèmes d’approvisionnement en eau potable, en s’ouvrant à des entreprises privées au moyen de concessions allant de 5 à 50 ans.
La distribution de l’eau est de la responsabilité des communes depuis le gouvernement de Miguel de la Madrid (1982-1988). La privatisation des services de l’eau au Mexique commence en 1992, avec la Loi sur les eaux nationales, approuvée pendant le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari (1988-1994). Et aujourd’hui, comme l’a indiqué Andres Barreda, elle se trouve dans une phase de maturation très avancée. Elle a progressé de manière peu transparente, contradictoire et inégale dans le milieu rural, urbain et industriel. Les bénéficiaires directs de la privatisation du service public de l’eau ne sont pas les consommateurs urbains ni les paysans ni l’administration publique, mais les grandes entreprises du secteur. L’industrie mondiale de ce liquide est contrôlée par 10 multinationales et la Banque mondiale est leur alliée. Rien que deux d’entre elles, Vivendi et Suez, dont les sièges sont en France, contrôlent 70% du marché mondial de ce qu’on appelle l’or bleu. Suez travaille dans 130 pays ; Vivendi dans plus de 90, et c’est l’entreprise la plus grande du secteur, mais Suez fournit de l’eau à davantage de personnes sur la planète.
Ces géants ont investi le Mexique. Environ 20% des systèmes de distribution d’eau municipaux du Mexique sont privatisés. Ondeo, une division d’eaux de Suez, approvisionne à elle seule environ sept millions et demi de personnes. Elle a des contrats avec des villes comme Monterrey, Ciudad Juárez, Puebla, Laredo, Saltillo, Aguascalientes, Piedras Negras et Ciudad Acuña. En 2002, elle a acquis de l’entreprise Azurix (succursale de Enron) un ensemble de nouveaux contrats au moyen desquels elle a obtenu la concession du service d’approvisionnement en eau à Cancún, une partie de la ville de México, León, Torreón et Matamoros.
Selon Suez, les contrats mexicains « sont un pas décisif vers la consolidation du leadership d’Ondeo en Amérique du Nord, ce qui représente le second marché prioritaire après l’Europe, en même temps qu’une optique clef de croissance  ».
La nouvelle Loi sur les eaux nationales, approuvée par le Congrès de l’Union en 2004, a été un pas substantiel dans la privatisation de l’infrastructure et de l’approvisionnement en eau potable. Selon la Banque mondiale, « le nouveau cadre légal constitue une occasion unique pour approfondir le processus de réforme  » du secteur. La nouvelle législation affine les mécanismes pour arriver à l’exclusion de la population du processus de prise de décisions sur les politiques et la gestion réelle du liquide, pour le transférer aux grandes entreprises.
Il est faux d’affirmer que la privatisation augmente la disponibilité de l’eau. Bon nombre d’expériences de cession de services publics de distribution d’eau potable au secteur privé en Amérique latine, ont été un fiasco complet. Dans la conversion d’un bien collectif en un monopole privé, les entreprises ont préféré réinvestir leurs profits non pas dans l’amélioration des réseaux d’approvisionnement, mais bien dans leur expansion corporative.
Leur logique de fonctionnement est le profit, pas le service.
Les gentils « conseils  » de la Banque mondiale à notre gouvernement sont un piège. Ils cherchent à nous dépouiller d’un bien public pour le laisser entre les mains des grandes entreprises.
[1] Priiste, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), au pouvoir au Mexique durant 70 ans, jusqu’à l’arrivée à la présidence de Vicente Fox, du Parti d’action nationale, en 2000 (ndlr).
Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx/), 12 juillet 2005.
Traduction : Diane Quittelier, pour RISAL (http://www.risal.collectifs.net/).