Le leader de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE), Luis Macas, s’est entretenu avec Canal Solidario sur la réalité de ces peuples et le défi de travailler avec d’autres organisations pour impulser un autre modèle de développement.
Depuis presque 20 ans, la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) [1] travaille pour que les politiques qui régissent son pays tiennent compte de l’opinion des peuples indigènes et fondent réellement un état plurinational. A la tête de l’organisation, qui représente 14 nationalités et qui est devenue l’une des organisations indigènes les plus importantes d’Amérique latine, se trouve Luis Macas.
De nationalité Kichwa, diplômé en anthropologie, en linguistique et en jurisprudence et ex-ministre de l’Agriculture du pays [2], le président de la CONAIE accuse certains groupes politiques d’Equateur et des gouvernements comme les Etats-Unis de tenter de fragiliser le mouvement indigène, mais fait également son autocritique. Dans un entretien accordé à Canal Solidario-One World, Macas souligne l’importance d’être unis et de travailler depuis les bases sociales pour articuler des propositions qui impulseront le développement de son pays.
La situation et l’organisation des peuples indigènes équatoriens se sont-elles améliorées ces dernières années ?
Le mouvement indigène d’Equateur s’est surtout développé durant les années 90 ; ce fut une croissance qualitative et importante mais qui a également provoqué une crise interne. Pendant toutes ces années nous avons exposé nos propositions, pas seulement autour de nos revendications mais aussi pour la politique nationale ; nous avons rendu visible notre réalité, tant en Equateur qu’au niveau international, mais cela nous a aussi causé du tort.
Pourquoi ?
Lorsque le mouvement indigène s’est présenté sur la scène politique avec toutes ses propositions, les forces de droite en Equateur ont joué un rôle important pour stopper l’avancée de tout ce processus. A cette pression nationale s’ajoute aussi celle des Etats-Unis qui, ces dernières années, se sont alliés avec les forces de l’oligarchie et les droites locales afin de fragiliser le mouvement.
Avez-vous été menacés ?
De manière permanente. Cela a été la première stratégie qu’ont élaborée les gouvernements en place et les secteurs de pouvoir ; ils ont armé un appareil de répression physique et psychologique mais ne sont pas parvenus à nous affaiblir. Cependant, le gouvernement de Lucio GutÃerrez a opté pour une « stratégie de captation  » des dirigeants, à tous les niveaux, et des organisations.
Plusieurs organisations comme la Confédération nationale des organisations paysannes, indigènes et noires (FENOCIN [3]) et la Fédération équatorienne des indigènes évangéliques (FEINE [4]) sont entrées dans ce jeu. La FEINE a précisément été le fer de lance des Etats-Unis ; ils sont ainsi arrivés dans la zone amazonienne et sur la côte et, après eux, les compagnies pétrolières.
La situation a-t-elle changé avec l’actuel gouvernement d’Alfredo Palacio ?
Le comportement politique n’a pas changé en substance. La politique pétrolière, par exemple, continue d’être absolument contraire aux intérêts du peuple d’Equateur et la politique des concessions des ressources naturelles [à des transnationales] va de mal en pis et porte préjudice avant tout aux peuples indigènes [5]. Après la destitution de Lucio Gutiérrez [6], il y avait des attentes et des espoirs de changements fondamentaux dans le système politique, mais jusqu’à présent il n’y a pas eu d’avancée.
Dans ce contexte, quel modèle d’Etat propose la CONAIE ?
Nous voulons un Etat plurinational qui, actuellement, n’existe pas ; ce que nous avons aujourd’hui est un Etat « mononational  », vertical et représentatif mais pas participatif. Dans ce sens, nous pensons que réaliser une consultation populaire ne servira à rien parce qu’elle se basera sur des questions posées par le gouvernement lui-même, en fonction des intérêts des partis politiques traditionnels.
L’alternative passerait donc par la mise en place d’une assemblée constituante qui représente tout le pays ?
Oui. Nous exigeons une assemblée constituante qui naisse de la société civile et soit en marge des partis politiques, dans laquelle soient abordées des questions comme le traité de libre-échange [7] [avec les Etats-Unis], le plan Colombie [8] ou l’utilisation de la base militaire de Manta par l’armée nord-américaine [9].
La « peur  » des propositions indigènes
Vous avez mentionné les Etats-Unis, un pays qui a, en diverses occasions, accusé les mouvements indigènes d’être des terroristes. A quoi attribuez-vous ce comportement ?
Certainement au fait qu’ils ont peur qu’il y ait un autre modèle de développement. Les Etats-Unis prennent pour cible les mouvements indigènes parce que nous exigeons l’exercice de la démocratie en Amérique latine. De fait, nous sommes en train de payer les mobilisations des années 90 que nous avons menées contre l’implantation du modèle économique néolibéral en Equateur.
Mais cela ne se passe pas seulement en Equateur mais aussi dans des pays comme la Bolivie ou le Mexique où on qualifie les peuples indigènes de force diabolique qu’il faut affaiblir et même liquider définitivement. Durant les 500 dernières années, les frontières qui séparent nos pays ont rendu difficile le contact entre les peuples indigènes, mais aujourd’hui nous profitons des instruments de la technologie moderne et de la mondialisation pour résister et travailler main dans la main pour défendre notre modèle de vie.
Tant la CONAIE que d’autres mouvements sociaux ont démontré que des propositions existent pour modifier l’actuel modèle en Equateur mais, au niveau politique, existe-t-il une alternative avec une base suffisante et qui mise sur des mesures de caractère social ?
Je mentirais si je disais qu’il existe une force qui puisse être un pouvoir alternatif, mais je crois que, en ce moment, les conditions existent pour articuler à nouveau ces possibilités. Il s’agit d’établir des alliances stratégiques entre les mouvements indigènes, les syndicats, les écologistes... et nous y travaillons déjà , dans un processus qui doit aboutir à une proposition globale, pas seulement du point de vue indigène.
Pour parvenir à cela, nous devons d’abord revenir à la racine, parce que le pouvoir se trouve dans les organisations de base. Nous avons été fortement humilié comme mouvement indigène par tout ce qui s’est pasé sous le gouvernement de Lucio Gutiérrez et nous devons travailler à retrouver notre dignité et à récupérer notre unité. C’est seulement de cette manière que nous pourrons revendiquer un changement au-delà des frontières ethniques. C’est notre objectif et lorsque nous l’atteindrons, nous serons en mesure d’arriver jusqu’aux structures du pouvoir.
[1] [NDLR] Lire Raúl Zibechi, Equateur : vers une renaissance du mouvement indigène ?, RISAL, 18 janvier 2005 ; Kintto Lucas, De Ruminahui à la CONAIE, RISAL, 8 février 2001.
Visitez : Confederación de Nacionalidades IndÃgenas del Ecuador - http://conaie.nativeweb.org/.
[2] [NDLR] Dans le gouvernement de Lucio Gutierrez (2003-2005) que les organisations indigènes ont soutenu dans un premier temps.
[3] Confederación nacional de organizaciones campesinas, indÃgenas y negras - http://www.fenocin.org/.
[4] Federación Ecuatoriana de IndÃgenas Evangélicos - http://www.feine.org.ec/.
[5] [NDLR] [NDLR] Lire Melissa Krenke, Katiana Murillo, Amazonie équatorienne : la créativité au service de la lutte contre les compagnies pétrolières, RISAL, 21 octobre 2005.
[6] [NDLR] Consultez le dossier « La trahison de Lucio Gutierrez  » sur RISAL.
[7] [NDLR] Lire René Báez, Traités de libre-échange : assaut de la terre et du ciel, RISAL, 29 novembre 2004.
[8] [NDLR] Consultez le dossier « Plan Colombie / Initiative andine  » sur RISAL.
[9] [NDLR] En 1999, les gouvernements équatorien et états-unien signaient une convention octroyant, pour une période de 10 ans renouvelables, l’usage de la base militaire de la côte pacifique de Manta à l’armée nord-américaine. Les bases navale et aérienne de Manta, en Équateur, sur la côte, à une heure de vol de la frontière colombienne sont sous la juridiction exclusive de Commandement Sud (US SouthCom) des forces armées états-uniennes. Manta est un centre de commandement de la marine et de l’aviation, dirigeant notamment des opérations clés des mercenaires de la Dyncorp.
Source : Canal Solidario-One World (www.canalsolidario.org), 10 octobre 2005.
Traduction : Nicolas Derron, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).