La date limite imposée par les Etats-Unis est le 24 novembre. Si, pour ce jour, le Traité de libre-échange andin (TLEA[ [1]) n’est pas signé, c’est qu’il ne le sera jamais [2]. Le grand allié des Nord-américains sur le continent, le président colombien, Alvaro Uribe, et son collègue péruvien, el cholo [3] Toledo, s’empressent de plaire à Washington, tandis que, dans toutes les Andes, émergent des protestations des classes pauvres, moyennes et même supérieures.
Le douzième round de négociations du TLEA, qui s’est tenu à Carthagène [Colombie], a encore éloigné davantage les parties d’un éventuel accord. Deux points continuent à être les pôles de discorde : l’agriculture et la propriété intellectuelle, particulièrement celle se rapportant aux médicaments. Les gringos, convaincus que « la meilleure défense est l’attaque  », refusent d’écouter les demandes réitérées des Andins et exigent de nouvelles et importantes concessions dans tous les domaines.
Le fait nouveau, cette fois, c’est que des désaccords à propos du TLEA se sont manifestés jusque dans les plus hautes sphères des sociétés et des gouvernements andins. Au Pérou, de nombreux ministres d’Etat s’affrontent sur la question de l’opportunité d’un référendum pour ratifier le traité. En Colombie, trois hauts fonctionnaires chargés des négociations sur la propriété intellectuelle ont démissionné suite à l’échec du round [de négociation] de Carthagène. En Colombie toujours, le sénateur Jorge Robledo a averti que, en cas de signature du traité, il accusera formellement le gouvernement Uribe de trahison à la patrie.
L’expérience mexicaine [4], qui était auparavant la référence obligée de tous les réseaux sociaux, est dorénavant également pointée du doigt par les élites. Le ministre de l’Agriculture du Pérou a invité dans notre pays [Mexique] deux leaders paysans péruviens - un de Coveagro et un autre de l’Asociación de Usuarios de Distritos de Riego - afin de faire connaître l’expérience mexicaine de l’ALENA. Un traité qui n’apporte rien au Mexique. Prompt à réagir, le dirigeant de Coveagro a déclaré à son retour que l’ALENA avait été un échec pour l’agriculture mexicaine puisqu’il a fait quasiment doubler les importations d’aliments et réduit les revenus des agriculteurs et des éleveurs mexicains. Le dirigeant a ensuite demandé que les négociations sur le TLEA soient immédiatement suspendues. L’ancien ministre de l’Agriculture de Colombie et actuel directeur de la Banco Central de Reserva a également déclaré à son retour de Mexico que « l’ancien ministre de l’Agriculture du Mexique m’a confessé que l’ALENA avait été mal négocié  ».
Les indigènes latino-américains ont, pour leur part, pris les choses en main. Le Parlement indigène d’Amérique, composé de parlementaires indigènes de tout le continent, vient de se réunir à Quito, en Equateur. Les différentes initiatives d’intégration commerciale y ont été évaluées : la Communauté sud-américaine des nations (CSN) [5], le Traité de libre-échange andin et l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) [6]. Les parlementaires demandent non seulement que les gouvernements négocient les traités, mais que soit aussi reconnue la société dans toute sa diversité, en y incluant, dès lors, les peuples indiens.
Pendant ce temps, les mobilisations se poursuivent. Le lundi 10 octobre, le peuple colombien a mené une journée de protestation contre le TLEA et contre la réélection de Uribe. Il ne s’agit plus uniquement des producteurs de Salvación Agropecuaria [7]. Maintenant, les ont rejoints les travailleurs du secteur culturel afin de défendre la culture colombienne. L’Organisation nationale indigène de Colombie, qui regroupe un million de personnes de 71 ethnies, dénonce la « situation d’extermination  » à laquelle sont soumis les peuples indigènes de Colombie, ainsi que l’assassinat d’un de ses membres lors d’une manifestation à laquelle participaient quelques 25 000 indigènes. Le mercredi 12, un arrêt de travail national a été organisé. Il paralysa toute la nation et plus d’un demi-million de personnes y a participé dans un premier temps.
Toujours le 12 octobre, toutes les Andes se sont rebellées contre la « nouvelle conquête  » des États-Unis [8]. Divers collectifs comme le Réseau colombien d’action contre le libre-échange et la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), la campagne « l’Équateur décide  », la campagne « le TLE [Traité de libre-échange] comme ça, non  », du Pérou, le Mouvement bolivien de lutte contre le TLE et la ZLEA se sont lancé dans les rues des quatre pays de la cordillère en pour rejeter l’imposition de l’accord et exprimer tant leur rejet de celui-ci que l’exigence de le soumettre à la décision des citoyennes et citoyens de la région.
Ce qui se tisse depuis les peuples latino-américains, ce n’est déjà plus le seul rejet du libre-échange. Au sein même des protestations se construit depuis la base l’intégration d’une nouvelle économie sociale, solidaire, durable et sans exclusions.
[1] NDLR] AFTA en anglais, et TLEC en espagnol.
[2] [NDLR]Le Traité de libre-échange andin est un accord en cours de négociation entre les Etats-Unis, la Colombie, l’Equateur et le Pérou (et la Bolivie en tant qu’observateur).
[3] [NDLR] Expression utilisée en Amérique latine qui désigne l’indigène qui adopte des usages occidentaux.
[4] [NDLR] L’auteur fait référence ici aux effets néfastes, notamment en matière agricole, de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1993 par les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, et qui est entré en vigueur le premier janvier 1994.
Consultez le dossier « ALENA  » sur RISAL.
[5] [NDLR] Lire Eduardo Gudynas, Les difficiles chemins de la « Communauté sud-américaine des nations  », RISAL, 10 avril 2005 ; Raúl Zibechi, Amérique du Sud : l’intégration régionale à la croisée des chemins, RISAL, 19 octobre 2005.
[6] [NDLR] Marcelo Colussi, L’ALBA : une alternative réelle pour l’Amérique latine, RISAL, 17 mai 2005.
[7] [NDLR] Mouvement national pour le salut agricole de la Colombie.
[8] [NDLR] Le 12 octobre est officiellement le jour du « Colombus day  », la date de ladite découverte du continent américain par Christophe Colomb. C’est aussi depuis plusieurs années une journée de mobilisations des indigènes du continent.
A ce sujet, lire Jesus Ramirez Cuevas, Le jour de la résistance indigène, RISAL, 17 octobre 2005 ; Rosa Amelia Plumelle-Uribe, 12 octobre : le jour de la race ou l’apologie du crime, RISAL, 21 octobre 2004.
Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), Mexico, 22 octobre 2005.
Traduction : Gregory Van de Put, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).