Dégâts sur l’environnement, non respect des communautés indigènes et paysannes, violation des droits des travailleurs. On pourrait établir une liste de ce genre pour n’importe quelle multinationale active dans un pays en développement. Mais aujourd’hui, c’est sur le compte de Petrobrás [1] qu’une telle liste d’abus doit être établie.
La Fédération des organisations pour l’assistance sociale et éducationnelle (FASE), à travers son projet « Un Brésil durable et démocratique  », a publié récemment un livre choc : « Petrobrás : integración o explotación ? (Petrobrás : intégration ou exploitation ?)  » [2]. A travers ses 130 pages sont décrits les dépravations dues aux activités de la compagnie nationale brésilienne de pétrole dans cinq pays d’Amérique du Sud, à savoir l’Argentine, la Bolivie, la Colombie, l’Equateur et le Pérou.
L’idée de ce livre est née suite aux plaintes reçues par le « Réseau brésilien de justice environnementale  » [3], réseau auquel appartient la FASE. Des mouvements sociaux équatoriens avaient révélé que Petrobrás était en train de causer par ses activités d’exploitation du pétrole des dommages sur l’environnement et à l’encontre des populations locales. D’autres organisations avaient quant à elles fait part de leur inquiétude concernant le projet envisagé par l’entreprise à l’intérieur même du Parc national Yasuni, où se trouve une réserve du peuple indigène Huaorani [Amazonie équatorienne] [4]. A partir de tout cela, le Réseau a voulu savoir des autres organisations sud-américaines avec lesquelles il était en contact de quelle manière celles-ci voyaient les agissements de Petrobrás dans leurs pays respectifs.
Deux visages
Julianna Malerba, employée de la FASE et l’une des auteurs du livre, dit que l’entreprise publique brésilienne utilise dans les pays sud-américains un modèle différent de celui qu’elle adopte au Brésil, en se faufilant dans les brèches de la législation qu’elle cherche ainsi à mettre à son profit, et surtout, « en ne prêtant pas l’attention nécessaire aux conflits avec les populations affectées et en restant indifférente à ceux pouvant surgir dans des zones fragiles, dans des territoires indigènes notamment  ». L’explication à cela se trouvant, selon Julianna Malerba, dans la politique d’intégration erronée menée par le gouvernement brésilien.
« L’intégration énergétique et des transports a certes constitué l’une des priorités du gouvernement, mais elle a comme objectif celui d’exporter des ressources naturelles  » dit-elle. « Par exemple, on ouvre des voies hydrauliques pour exporter du soja  ». Selon Juliana, le rôle de la société civile organisée est de revendiquer un autre type de politique, qui privilégie « non pas une intégration de marché, mais une intégration de projets socioculturels, qui ne déconsidèrent pas des groupes ayant une autre perception de l’environnement et entretenant une relation différente avec celui-ci  ».
Elizabeth Bravo, chercheuse à la Oilwatch en Equateur [5] et l’une des auteurs du livre, a déclaré à l’hebdomadaire Brasil de Fato que le début de l’activité de la Petrobrás dans le bloc 31 - là où se trouvent le Parc national Yasuni [Equateur] et le territoire indigène Huaorani - affectera quelques communautés de la région, puisqu’il sera nécessaire de construire toute une série d’infrastructures. « Une opération pétrolière ne peut jamais être compatible avec la conservation d’une zone protégée, encore moins avec les droits collectifs et la survie des communautés indigènes, surtout dans le cas de peuples vivant dans la forêt, et qui, il y a 50 ans encore, n’avaient aucun contact avec le monde extérieur  », explique-t-elle.
Flexibilisation
En juin 2005, le ministère de l’Environnement équatorien a retiré la licence environnementale accordée à Petrobrás pour l’exploitation de la région, licence qui avait été concédée par le gouvernement antérieur, celui de Lucio Gutierrez [6]. Selon Elizabeth Bravo, il existe un document datant du mois d’aoà »t de la même année indiquant que le gouvernement brésilien était en train d’exercer des pressions sur le gouvernement équatorien afin que celui-ci accorde ladite autorisation environnementale.
En Argentine, l’exploitation va au-delà des dégâts sur l’environnement. Les mouvements sociaux de ce pays accusent l’entreprise publique brésilienne de violer également les droits de ses salariés. Des travailleurs d’une raffinerie de l’entreprise à Bahia Blanca dénoncent par exemple la flexibilisation des relations de travail et l’externalisation (sous-traitance) de certaines opérations. De plus, il existe des rapports faisant état d’accidents de travail et de fatigues causées par l’imposition du travail par équipes.
Laura Calderon, étudiante de philosophie à l’Université de Buenos Aires et Hernan Scandizzo, jounaliste au Collectif Peuples originaires, d’Indymedia Argentine, co-auteurs également du livre, ont affirmé à Brasil de Fato que la manière d’agir de Petrobrás en Argentine s’expliquait par les bénéfices mêmes que l’entreprise brésilienne réalise dans le pays. Ou, en d’autres termes, que celle-ci poursuivait les mêmes objectifs que n’importe quelle autre multinationale, à savoir « augmenter en permanence sa rentabilité à tout prix, que ce soit par la flexibilisation imposée aux travailleurs, l’externalisation de la production ou la non prise en compte des dommages environnementaux causés par l’exploitation, le raffinement et le transport de ses produits  ».
Hégémonie brésilienne
En plus de cela, toujours selon Laura Calderon et Hernan Scandizzo, le contrôle d’une bonne partie du pétrole argentin par Petrobrás conduit également à un grave problème géopolitique, dans la mesure où « la relation asymétrique entre les deux pays s’accentue, démontrant ainsi une fois de plus que l’intégration régionale n’aura pas lieu en termes de parité, mais qu’elle consolidera l’hégémonie brésilienne sur le reste des membres du Mercosur [7]  ».
En Colombie, Petrobrás est accusée de forer des puits à proximité de la source de certains fleuves et de surexploiter les eaux du fleuve Sumapaz, dans la région de Melgar. En Bolivie, un site de production de gaz de l’entreprise est en train de causer des effets très négatifs sur la nappe phréatique en raison de l’ouverture de puits et de la pollution du fleuve San Alberto par des résidus d’opérations de traitement. Au Pérou, l’entreprise publique brésilienne prétend exploiter le gaz dans des régions proches de la réserve indigène Nahua Kugapakori [Amazonie péruvienne], mettant ainsi en danger des peuples vivant isolés [8].
Dans une note envoyée à l’Agence Brasil, Petrobrás a nié toutes les accusations portées contre elle dans ce livre. Elle affirme que ses activités ne causent aucun tort à l’environnement et qu’elle cultive de bons rapports avec les communautés vivant près des zones d’exploitation. Elle prétend même faire des investissements dans des projets sociaux.
[1] [NDLR] Petrobrás est une société qui a acquis le statut de monopole d’Etat en 1953 ; statut qui s’est élargi à l’importation et à l’exportation du pétrole en 1963. Ce statut correspond à la politique « développementiste  », sous divers régimes politiques, de l’après Seconde Guerre mondiale. Actuellement, Petrobras est une firme géante dont le chiffre d’affaires en 2004 s’élevait à 108,2 milliards de reais. Elle dispose d’une réserve de 11,82 milliards de barils de pétrole ou d’équivalent gaz. Elle est fortement impliquée dans l’extraction offshore. Petrobrás dispose de nombreuses filiales, spécialisée, entre autres dans, le transport du gaz (avec le grand projet de gazoduc Bolivie-Brésil) : Transpetro. Petrobrás est aussi fortement impliqué dans la production d’engrais. Ce genre de firme dispose, généralement, de filières et filiales dans l’électronique (Petrobras Negocios Electronicos SA) et dans la finance (PIFCO). Petrobrás vient d’élargir son champ d’action, en 2006, à la Turquie (Mer noire) et a racheté des installations de raffinerie au Texas (Pasadena).
[2] [NDLR] Le choix de la publication en espagnol (plutôt qu’en brésilien) s’est fait dans l’optique de pouvoir dialoguer avec les organisations des pays où Petrobrás agit en Amérique latine.
[3] [NDLR] http://www.justicaambiental.org.br/....
[4] [NDLR] Consultez le dossier « L’Amazonie équatorienne, butin des entreprises pétrolières » sur RISAL.
[5] [NDLR] http://www.oilwatch.org.
[6] [NDLR] Président de l’Equateur de 2003 à 2005, renversé par une rébellion populaire en avril 2005.
Consultez le dossier « La trahison de Lucio Gutierrez  » sur RISAL.
[7] [NDLR] Le Marché commun du Cône Sud, ou Mercosur, a été créé en 1991. Il rassemble à l’origine le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Le Venezuela a entamé son processus d’adhésion en décembre 2005. Plusieurs pays ont le statut de "pays associé" : la Bolivie et le Chili, depuis 1996 ; le Pérou, depuis 2003 ; la Colombie et l’Equateur, depuis 2004.
[8] [NDLR] Il s’agit du Projet de Gaz naturel de Camisea dénoncé part de nombreuses ONG, entre autres la Alianza Amazónica para los Pueblos IndÃgenas y Tradicionales de la Cuenca Amazónica
Source : Brasil de Fato (http://www.brasildefato.com.br/), 17 mars 2006.
Traduction : revue A l’Encontre (http://www.alencontre.org/), revue par l’équipe du Risal (http://www.risal.collectifs.net/).