Le mouvement social pour la défense des ressources naturelles en Méso-amérique
par Gustavo Castro S.
Article publié le 20 juin 2006

La mise en marche de la Zone de libre-échange des Amériques (ALCA, sigles en espagnol) [1], du Plan Puebla-Panama (PPP) [2] et du Traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Amérique centrale (CAFTA, sigles en anglais) [3] pose et requiert - entre autres questions - la résolution de deux éléments centraux : une série de réformes légales (qui impliquent un processus de dérégulation nationale et de régulation régionale) et le moteur qui fait fonctionner le système et son modèle de production néolibérale : l’énergie. Sans elle, les investissements attendus tout comme l’extraction des ressources naturelles ne seraient pas possibles. Maquiladoras [4], ports, aéroports, canaux secs [5], autoroutes, chemins de fer et couloirs industriels ; le tourisme, les grandes étendues de monocultures pour l’exportation (palmier àhuile ou eucalyptus) ou l’extraction de pétrole, d’or, d’argent ou d’aluminium, exigent de grandes quantités d’énergie. L’une des ressources qui a été privilégiée pour la production d’énergie est précisément l’eau (l’or bleu), associée - et indispensable - àn’importe quel type de production et dont l’exploitation est aussi liée àcelle des forêts et de leur banque génétique de millions de dollars : la biodiversité (l’or vert). C’est ainsi que l’ensemble des ressources naturelles qui sont en voie d’incorporation àla logique du marché comme des « biens commerciaux  » sont intimement liées et en même temps disputées par divers secteurs économiques comme les méga-entreprises alimentaires, d’exploitation d’eau, de fabrication de papier, d’énergie électrique, pétrolières ou pharmaceutiques, entre autres.

Certainement, tous ces investissements ne se feront pas sans un autre élément crucial : la construction de voies de communication et de l’infrastructure qui y est associée. Mais celle-ci et les ressources naturelles se trouvent en majorité sur des terres de pauvres, de paysans et d’indigènes, dans toute région méso-américaine [6]. La terre se situe ainsi au centre de la dispute, ce qui implique d’entreprendre un processus de désarticulation de la propriété communale, « ejidale  » [7] ou communautaire qui se trouve entre les mains de noyaux agraires et ruraux pour la transférer au grand capital. Dans ce processus, et dans la mesure où les gouvernements cèdent progressivement leur place et leur rôle aux grandes entreprises transnationales, on peut remarquer le passage de la confrontation entre société et gouvernements àcelle entre société et entreprises transnationales. Une confrontation àlaquelle nous assistons aujourd’hui par rapport, entre autres, aux thèmes de l’eau, de l’énergie électrique, des forêts, du pétrole ; et qui montre le développement de la résistance méso-américaine.

Les changements légaux

En 2000, le Fonds monétaire international (FMI) a octroyé des prêts àdouze pays àla condition qu’ils privatisent l’eau (Grusky, 2001) ; parmi ces pays, le Honduras, le Nicaragua et le Panama [8]. Entre 1990 et 1995, la Banque mondiale (BM) a imposé la même condition pour accorder vingt et un prêts pour des projets relatifs àl’eau. Durant cette période, le Mexique [9], le Salvador [10] et le Honduras notamment, ont entrepris - àplusieurs niveaux - différents processus et projets de privatisation de l’eau. Contre ces politiques, en septembre 2005, au Guatemala, plus de 15 000 personnes se sont rassemblées devant le gouvernement départemental de Totonicapan pour refuser la nouvelle loi des eaux.

Cependant, le processus de privatisation de l’eau est aussi associé au financement de barrages auxquels, àla fin du XXe siècle, les banques multilatérales avaient destiné 125 milliards de dollars (Castro Soto, 2005). Ce processus est également lié au commerce de l’eau en bouteilles [11] et aux exigences d’autres secteurs économiques qui consomment de grandes quantités de ce liquide : le secteur pétrolier, celui de l’automobile, ceux des bières et des boissons rafraîchissantes, les secteurs minier, textile, de l’aluminium, hydroélectrique, du papier et du carton, l’agro-industrie et tout particulièrement les grandes étendues de monoculture pour l’exportation, entre autres.

D’autre part, dans le domaine des ressources génétiques, les lois ont été modifiées dans toute la région méso-américaine, particulièrement dans le contexte de la création du Corredor Biológico Mesoamericano (CBM - Couloir biologique méso-américain) [12]. En 2005, le Mexique a adopté la Loi sur la biodiversité, mieux connue comme la « Loi Monsanto  ». Au Costa Rica, au Honduras et au Guatemala aussi, des lois relatives àl’emploi des ressources forestières, du matériel génétique et des zones naturelles protégées ont été approuvées. De ce fait, du point de vue de la privatisation de la biodiversité, la région est pleine de projets des banques multilatérales, de fondations, de transnationales [13], d’organisations et universités étrangères, entre autres acteurs qui se disputent les ressources génétiques [14]. Dans le cas de la région de Montes Azules dans l’état du Chiapas, au Mexique, la haute concentration en eau et en ressources génétiques a amené le gouvernement àmettre en oeuvre divers schémas d’expulsion et de réinstallation de la population indigène de la zone. Sans oublier le projet de biopiraterie ICBG-Maya [15] appliqué dans la région qui a obligé le Consejo de Médicos y Parteras Indígenas Tradicionales del estado de Chiapas (Compitch - Conseil des médecins et accoucheuses indigènes traditionnelles de l’état du Chiapas) àmener une lutte acharnée, jusqu’àce qu’il parvienne àle faire annuler [16].

Dans ce domaine, le mouvement méso-américain a aussi encouragé et mis en place différentes initiatives et différents processus sociaux, parmi lesquels la « Semaine pour la diversité biologique et culturelle  » inaugurée au Chiapas en 2001, semaine qui, depuis lors, se déroule chaque année dans différents pays d’Amérique centrale. Dans cet espace convergent des centaines d’organisations qui élaborent des diagnostics, des analyses et des plans d’action communs [17]. Cependant, la réaction des gouvernements et des Etats-Unis a été la militarisation de la région, l’installation d’un plus grand nombre de bases militaires [18] et la création d’une nouvelle école de formation militaire au Salvador [19].

L’eau comme ressource naturelle stratégique

Après la Seconde guerre mondiale, de 1948 à2000, On a enregistré 1 831 conflits provoqués àcause de l’eau. Tout semble indiquer que l’assimilation de la ressource naturelle « eau  » en tant que ressource économique sera la principale source de conflits dans le monde au XXIe siècle. Ismaïl Serageldin, vice-président de la Banque mondiale, l’a confirmé lorsque qu’il a dit que « la prochaine guerre mondiale sera àcause de l’eau  » (Rothfeder, 2001). Les fronts de ces conflits se situeront à5 niveaux : àl’intérieur et àl’extérieur des nations ; entre les populations rurales et urbaines ; entre les intérêts de l’amont et de l’aval d’un fleuve ; entre les secteurs agricole, industriel et domestique ; entre les besoins humains et les exigences d’un environnement sain (Comisión Mundial de Represas - CMR, Commission mondiale des barrages).

Face àun tel scénario, il faut prendre en compte le fait que, sur les 261 cours d’eau qui traversent les frontières politiques de deux nations ou plus dans le monde, quatre-vingt se trouvent sur le continent américain ; et sachant, en outre, que la privatisation touche aussi le sous-sol, où les réserves d’eau se concentrent soixante fois plus qu’àla surface (CMR). Rien que dans la région méso-américaine, on calcule qu’il y a cent-vingt bassins hydrographiques principaux, parmi lesquels 23 sont internationaux, équivalents à19% des systèmes hydriques de la région et à10,7% des bassins internationaux de la planète (Delgado, 2004). Dans le cas de cette région, il pourrait y avoir prochainement des conflits violents au sujet des fleuves Lempa, Bravo [20] ou Usumacinta, ou au sujet des besoins de l’agriculture (qui consomme aujourd’hui 67% de l’eau douce dans le monde), de l’industrie (20%) ou encore au sujet des usages municipaux et domestiques (10%). N’oublions pas non plus que dans les villes des pays pauvres, 70% des pauvres n’ont pas d’eau potable (CMR). Dans ce sens, la perspective de conflits nationaux et internationaux pour l’eau augmentera dans la mesure où la résistance sociale augmentera.

D’autre part, les politiques de privatisation, liée àla commercialisation de l’eau, ont conduit àjustifier la construction de davantage de barrages, le type d’infrastructure qui a le plus gros impact sur l’environnement dans le monde ; qui, de plus, produit de grandes quantités de gaz àeffet de serre, accélérant le changement climatique, qui a déplacé le plus grand nombre de populations dans le monde (entre quatre-vingt et cent millions de personnes pour les plus de quarante-cinq mille grands barrages qui ont « bloqué  » 60% des fleuves de la planète), et qui a provoqué une résistance mondiale sans précédent. La retenue de grands volumes d’eau dans les réservoirs a provoqué la détérioration sérieuse des conditions de vie des déplacés, ainsi que de graves maladies (Delgado, 2005).

Ces processus ont permis l’émergence et la croissance d’une résistance sans précédent dans la région méso-américaine pour la défense des ressources naturelles. Ainsi, la lutte stratégique populaire contre la privatisation du triptyque terre - eau - énergie s’est avérée être le talon d’Achille du modèle néolibéral.

La traduction de ce texte est volontairement incomplète, la suite de cet article s’avérant être avant tout une énumération des différents forums, initiatives, campagnes, appels des mouvements sociaux et ONG méso-américains. Si vous êtes intéressés par lire cette partie non publiée sur le site Web du RISAL, vous pouvez vous y reporter dans l’article original en espagnol.

Bibliographie

— Castro Soto, Gustavo, “La estrategia para el control eléctrico del Plan Puebla-Panamá”
en Chiapas al Día (CIEPAC) Nº 307, 11 septiembre 2002.

— Castro Soto, Gustavo, “No Seas Presa de las Represas” (México : CIEPAC), 2005.

— Comisión Mundial de Represas (CMR), Rapport annuel, 2000 : http://www.dams.org.

— Delgado, Gian Carlo, “Biodiversidad, desarrollo sustentable y militarización. Esquema
de saqueo en Mesoamérica”, México : Plaza y Valdés, 2004.

— Delgado, Gian Carlo, “Agua y Seguridad Nacional. El recurso natural frente a las
guerras del futuro”, México : Arena Abierta, 2005.

— Grusky, Sara, “IMF Forces Water Privatization on Poor Countries”, Globalization
Challenge Iniciative, 2001.

— Rothfeder, J., “Every Drop for Sale”, Sandia Water Iniciative, 2001 : http://www.sandia.gov/water.

Notes :

[1[NDLR] à rea de Libre Comercio de las Américas - ALCA ; Free Trade Area of the Americas - FTAA ; Zone de libre-échange des Amériques - ZLEA.
Consultez nos articles sur la « Zone de libre-échange des Amériques et les traités de libre-échange  » .

[2[NDLR] Consultez le dossier « Plan Puebla Panama  » sur RISAL.

[3[NDLR] Consultez le dossier « l’Amérique centrale sous la coupe du libre-échange » sur RISAL.

[4[NDLR] Les maquilas sont des entreprises de sous-traitance, filiales de multinationales, faisant appel àune main-d’Å“uvre non qualifiée. « Maquila  » est un terme d’origine arabe signifiant «  portion de grain, de farine ou d’huile qui revient au meunier pour la mouture  ». Ce terme est invariablement associé àune précarité du travail, àune absence de libertés syndicales et de négociations, àdes salaires de misère, àdes journées de travail interminables et épuisantes et - il faut le souligner - àl’embauche prioritaire de femmes.
Lire Jon Ander Bilbao, Olga Rocha, Magdalena Mayorga, Nicaragua : espoirs et déceptions autour des maquilas, RISAL, 29 septembre 2004 ; Yanina Turcios Gómez, Voyage au coeur d’une « maquila  », RISAL, octobre 2002 ; Marcelo Colussi, Les maquilas en Amérique latine, RISAL, 20 juillet 2004.

[5[NDLR] faisceau d’autoroutes et de voies ferrées.

[6Dans cette analyse, nous entendons par Méso-amérique la région qui comprend les pays suivants : Panama, Costa Rica, Nicaragua, El Salvador, Honduras, Guatémala, Belize et Sud-Est du Mexique.

[7[NDLR] Héritage de la révolution mexicaine, l’ejido est la propriété collective de la terre.

[8Voir www.imf.org.

[9Voir l’analyse sur le contrat entre la Banque mondiale, le gouvernement du président Fox et le gouvernement du Chiapas relatif àla privatisation de l’eau dans Chiapas al Dia (CIEPAC) n°348 et 357.

[10Début 2000, la Banque interaméricaine de développement (BID) a approuvé un prêt de 46 millions de dollars au Salvador ; dont 75% étaient destinés àla réforme des entreprises dans le but de promouvoir l’investissement privé et de créer les conditions pour lui permettre de s’approprier le commerce.

[11Coca-Cola-FEMSA, la plus grande entreprise de mise en bouteille d’Amérique latine, y vend chaque jour 30 millions de litres de rafraîchissements, ce qui correspond àla consommation normale de 14 500 000 personnes. Entre 2000 et 2003, au Mexique, le gouvernement a accordé vingt-sept concessions pour l’extraction d’eau dans dix états et sur quinze fleuves du pays àseize entreprises de mise en bouteille. Voir G.C.Soto, 2005 « La Coca-Cola en México. El Agua tiembla  », in Chiapas al Dia (CIEPAC) n°445 .

[12[NDLR] Dès 1993, le couloir biologique méso-américain (CBM), sous prétexte de créer une réserve naturelle reliant trente écosystèmes, du Chiapas au Panamá, a servi àrépertorier les ressources biogénétiques de la région pour leur exploitation industrielle.

[13Parmi les entreprises transnationales intéressées àla privatisation des ressources génétiques, il y a Bristol-Myers Squibb, Dow Agrosciences, Monsanto, McDonalds, Ford, Conservation International et Pfizer.

[14Voir Delgado (2004).

[15[NDLR] L’International Cooperative Biodiversity Group (ICBG) est un consortium américain créé en 1992 pour effectuer des recherches sur la biodiversité. ICBG exige la participation des entreprises privées dans les projets qu’il commandite et associe àses travaux l’industrie pharmaceutique en vue de réaliser le brevetage du vivant.

[16Pour des informations détaillées sur la problématique de Montes Azules et le projet ICBGMayaau Chiapas, consultez les documents sur www.ciepac.org.

[17Voir Chiapas al Dia, n° 248,296,364 et 423 sur www.ciepac.org.

[18Voir Chiapas al Dia, n° 340, 371-372 sur www.ciepac.org.

[20Delgado (2005).

Source : Revue de l’Observatorio Social de América Latina (http://osal.clacso.org/), n°17, mai-aoà»t 2005.

Traduction : Marie-Paule Cartuyvels, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
RISAL.info - 9, quai du Commerce 1000 Bruxelles, Belgique | E-mail : info(at)risal.info