Un plébiscite. Les électeurs boliviens ont confirmé dimanche en masse leur soutien au Mouvement au socialisme (MAS) d’Evo Morales, envoyant une majorité d’élus du parti au pouvoir à la future Assemblée constituante. S’il n’a pas transformé en votes les 75% d’approbation populaire du président, le MAS dépasse nettement les 54% obtenus par M. Morales lors de son élection en décembre 2005. Il s’impose en outre comme le seul parti possédant une réelle assise nationale. Avec ses victoires dans les bastions de l’oligarchie bolivienne - Santa Cruz, Tarija et la circonscription résidentielle de La Paz - Evo Morales inflige un magistral camouflet à l’opposition. Agiter l’épouvantail d’une prétendue intrusion du président vénézuélien Hugo Chávez dans les affaires boliviennes ou afficher un mépris plus ou moins marqué envers les peuples andins ne suffit pas à fonder une politique.
A contrario, le succès des candidats du MAS témoigne de l’attachement populaire envers le projet de transformation sociale et économique mis en oeuvre depuis cinq mois. La volonté affichée par le gouvernement de mieux répartir la terre et les fruits des ressources naturelles mais aussi la lutte engagée contre la corruption et une pratique du pouvoir plus proche du peuple expliquent sans aucun doute ce raz-de-marée électoral.
La forte participation et le calme - inhabituel - dans lequel s’est déroulé le scrutin constituent aussi d’excellentes nouvelles pour M. Morales. Après une dizaine d’années d’agitation sociale, la Bolivie semble désormais capable de se saisir des problèmes de ses citoyens dans le cadre d’institutions démocratiques légitimées. Fatigués de l’instabilité chronique de leur pays, les Boliviens apprécient cela plus qu’on ne l’imagine.
Reste un paradoxe douloureux. Si cette élection constitutionnelle renforcera indéniablement l’action gouvernementale, son projet de réforme constitutionnelle paraît, lui, fortement compromis. Par la faute d’une loi électorale généreusement concédée à l’opposition, le MAS et ses alliés n’atteignent pas les deux tiers des sièges nécessaires à l’adoption de la future Constitution.
Certes, on conçoit qu’un parti promouvant un projet d’intégration nationale se refuse à exclure les minorités politiques, fussent-elles les représentantes des maîtres économiques du pays. L’écriture d’une charte fondatrice exige un minimum de consensus sans lequel sa légitimité sera sans cesse contestée.
Cet impératif de dialogue est souligné par le résultat du référendum sur les autonomies départementales, tenu également dimanche. Avec quatre départements tropicaux désireux de conserver leurs ressources naturelles et cinq provinces andines réclamant leur part au nom de la solidarité nationale, le gouvernement bolivien se doit de tout mettre en oeuvre pour empêcher que les discours chauvins et sécessionnistes de prospérer.
Il n’en reste pas moins qu’Evo Morales a pris un risque important. Si, malgré la pression populaire qui ne manquera pas de s’exprimer autour des constituants, une minorité de blocage venait à empêcher la « refondation » de la Bolivie en un Etat plurinational, l’échec serait très durement ressenti. Et l’on sait que le mouvement indigène n’est pas tendre avec ceux qui manquent à leurs promesses.
Source : Le Courrier (->www.lecourrier.ch]), 4 juillet 2006.