Etats-Unis - Cuba
Nouveau rapport de la Commission sur Cuba : la recette pour un nouvel échec
par Wayne S. Smith
Article publié le 21 août 2006

Au mois de mai 2004, la Commission d’assistance àune Cuba libre de l’administration Bush publia un rapport de presque 500 pages qui semblait conclure que le gouvernement de Castro était au bord de l’effondrement. Selon ce rapport, il suffirait de quelques pressions supplémentaires - quelques émissions de Radio Marti [1] de plus, quelques refus de visas supplémentaires, et un soutien àquelques dissidents de plus - et ce serait la fin. Les Etats-Unis, laissait entendre le rapport, entreraient alors en scène pour montrer aux Cubains comment faire fonctionner leurs écoles, comme faire arriver leurs trains àl’heure et comment cultiver leurs récoltes. L’opération devait être si ouvertement menée par les Etats-Unis qu’en juillet 2005 fut nommé un coordinateur pour la transition. Un observateur sceptique remarqua àl’époque que l’administration Bush, dans le cas de l’Irak, avait au moins attendu l’invasion et l’occupation du pays avant de nommer un coordinateur. Est-ce que dans ce cas les Etats-Unis avaient l’intention d’envahir Cuba aussi ? Et si ce n’était pas le cas, qu’est-ce que le coordinateur était supposé faire depuis son bureau dans l’immeuble du Département d’Etat ? Aujourd’hui encore, la réponse àla question reste floue.

La réaction du Secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains (OEA), Jose Miguel Insulza, àl’idée d’un coordinateur états-unien de la transition àCuba, résume peut-être le mieux la situation. « Mais il n’y a pas de transition  », a-t-il dit, « et ce n’est pas votre pays  ».

En effet, le plan de transition proposé en 2004 avait une touche tellement « made in USA  » qu’il provoqua des réactions négatives àCuba. Même les Cubains qui étaient en désaccord avec le gouvernement de Castro ne voulaient pas que les Etats-Unis leur disent comment ils devaient diriger leur pays. Des dissidents notoires qualifièrent cette nouvelle approche comme contre-productive. Elizardo Sanchez, de la Commission pour les droits de l’Homme et la réconciliation nationale, par exemple, souligna que la politique états-unienne annoncée en 2004 « a eu un effet exactement contraire àcelui que l’on serait en droit d’attendre  ».

Les évêques catholiques de Cuba ont aussi exprimé leur désaccord avec l’approche états-unienne, en déclarant que ses mesures « menacent àla fois le présent et l’avenir de notre nation  ».

En outre, peu de Cubains étaient d’accord avec l’idée qu’ils devaient abandonner la santé et l’éducation gratuites et plusieurs autres services fournis par leur gouvernement.

Le nouveau rapport

Aujourd’hui, la Commission a publié un nouveau rapport [2], lors d’une cérémonie qui s’est tenue le 10 juillet et présidée par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, le secrétaire au Commerce Gutierrez et le coordinateur de la Transition Caleb McCarry. Il est intéressant de noter que le nouveau plan, peut-être en réponse aux accusations selon lesquelles le premier rapport n’était rien d’autre qu’un plan d’occupation états-unien, insiste sur le fait que son objectif est plutôt l’assistance àporter aux Cubains sur l’île. Il insiste sur le fait que la solution doit venir des Cubains eux-mêmes. Et que les Etats-Unis se contentent de se tenir prêts àsoutenir leurs initiatives. Mais une fois dit cela, le rapport énumère, page après page, toute une série de recommandations, de la réorganisation de l’économie et de l’éducation jusqu’àla tenue d’élections multipartites - àcondition toujours, et bien sà»r que les Cubains sur l’île soient d’accord !

La prémisse de base, que le régime serait au bord de l’effondrement, est aussi prononcée et aussi peu réaliste dans le nouveau rapport que dans l’ancien. Deux années ont passé et, plutôt que de s’effondrer, l’économie cubaine montre des signes de reprise. Même la CIA estime la croissance à8%. Cuba entretient de nouvelles relations économiques vitales avec le Venezuela et la Chine et il existe des indices de la présence d’importantes réserves pétrolières au large de l’île, au nord, et plusieurs pays ont proposé leurs services pour entreprendre des forages. Les choses ont l’air de s’améliorer et non pas d’empirer.

Pourtant, le nouveau rapport ne mentionne rien de tout cela. Au contraire, il affirme : « une malnutrition chronique, des eaux potables polluées, des maladies chroniques non soignées continuent d’affecter une proportion non négligeable de la population cubaine.  » Et bien sà»r, le rapport ajoute que la « situation ne s’améliorera pas tant que Fidel Castro sera au pouvoir.  »

Peu importe que les indicateurs des Nations unies montrent que la population cubaine bénéficie d’une santé nettement meilleure que celles de la plupart de ses voisins, y compris celle du territoire états-unien de Puerto Rico. Une des raisons étant que les Cubains bénéficient d’un système de santé gratuit. Il est intéressant aussi de noter que l’espérance de vie des Cubains est supérieure de 5 ans àcelle des Afro-américains !

Fonds détournés pour des ingérences internationales

Le rapport insiste pour affirmer que les revenus engrangés par l’économie cubaine ne sont pas employés au service du peuple cubain, mais pour des objectifs inavouables. « Les revenus ne profitent pas au peuple cubain  », insiste le rapport, « mais sont détournés pour maintenir l’appareil répressif du régime et financer la politique interventionniste et les opérations de déstabilisation dans d’autres pays du continent... Les ingérences internationales du régime de Castro s’effectuent au détriment du peuple cubain.  »

D’abord, si c’était le cas, si des fonds avaient été si massivement détournés, les Cubains ne bénéficieraient plus de la santé et de l’éducation gratuites et les programmes sociaux se seraient effondrés il y a bien longtemps. Qu’ils ne se soient pas effondrés prouve que les accusations du rapport sont fausses. De plus, le rapport ne donne aucun exemple de cette « ingérence internationale  » vers laquelle une part énorme de l’économie cubaine est censée être détournée. Des médecins cubains ont été envoyés dans de nombreux pays, dont le Guatemala et Haïti, en plus du Venezuela et la Bolivie. A chaque fois, on a loué la qualité et le désintéressement de leur intervention. Si c’est cela l’ingérence internationale àlaquelle se réfère le rapport, alors il en faudrait encore plus. Si ce n’est pas cela, le rapport devrait fournir des exemples de l’interventionnisme àlaquelle il fait allusion.

Empêcher la succession

Selon la constitution cubaine, lorsque Castro disparaîtra, il sera succédé par le vice-président. A l’heure actuelle, il s’agit de Raul Castro. Ils seront nombreux au sein du nouveau pouvoir, et même dans la société cubaine, àsoutenir des réformes politiques et économiques - et ils seront nombreux aussi às’y opposer.

Cependant, l’objectif principal du nouveau plan de la Commission Bush est d’empêcher purement et simplement cette succession, en faisant appel aux citoyens cubains et àla communauté internationale pour rejeter le gouvernement qui serait mis en place dans le cadre de la constitution cubaine et pour exiger àla place un nouveau gouvernement. Mais il est peu probable que le peuple cubain, pas plus que la communauté internationale, ne s’oppose frontalement au régime de succession. Les changements se produiront, lentement, et seront le fruit d’un processus interne et pas d’une recette imposée de l’extérieur - et certainement pas imposée par les Etats-Unis. Comme l’a déclaré Osvaldo Paya, un des dirigeants de la dissidence cubaine, il y a quelques semaines en anticipant la publication de ce second rapport : « Nous n’acceptons pas les programmes de transition concoctés àl’extérieur de Cuba.  »

Des mesures pour empêcher la succession

L’objectif de l’administration Bush, déclaré comme tel dans le rapport de la Commission, est de garantir « l’échec de la stratégie de succession du régime de Castro  », mais les mesures présentées sont aussi inadaptées que celles présentées il y a deux ans contre le gouvernement de Castro.

Extension des émissions

Le nouveau rapport, par exemple, demande une augmentation des émissions de Radio et TV Marti et un renforcement de celles de pays tiers. Mais les émissions de ces deux dernières années n’ont eu aucun effet mesurable sur l’opinion publique. Il est probable que de nouvelles n’aient pas plus d’effet.

Soutien aux dissidents et àla société civile

Le rapport présenté il y a deux ans proposait un soutien aux dissidents et aux représentants de la « société civile  » comme moyen de combattre le gouvernement. Le nouveau rapport propose un peu plus de la même chose, et même la création d’un fonds de 80 millions de dollars pour renforcer le soutien. Mais comme nous l’avons déjàmentionné dans un précédent article, les paroles d’un dissident sur l’île résument àelles seules les effets de ce soutien : « La bonne nouvelle est que la majorité de cet argent reste àMiami. La mauvaise nouvelle est que cela rend, malgré tout, notre situation plus difficile  ».

Ce qu’il voulait dire est que la majorité de cet argent est donnée àdes organisations de Miami, une partie étant supposément transmise àdes groupes àCuba. Mais en réalité, peu de cet argent arrive réellement sur l’île et reste entre les mains de ceux àMiami. De plus, lorsque les Etats-Unis déclarent que leur objectif est de faire tomber le gouvernement cubain, et qu’ensuite ils disent qu’un des moyens pour y parvenir est de fournir des fonds aux dissidents cubains, ces derniers sont placés de facto dans la position d’agents payés par une puissance étrangère pour renverser leur propre gouvernement. Inévitablement, cela les place dans une position plus délicate et limite grandement leur efficacité.

Cela fut vrai dans le passé et l’est encore aujourd’hui. Ce nouveau financement, en un mot comme en cent, n’aura pas plus d’effets que l’ancien, surtout si, comme indiqué ci-dessus, la plupart des dissidents eux-mêmes sont en désaccord avec le plan états-unien. Il faut souligner par exemple qu’un des principaux leaders de la dissidence cubaine, Osvaldo Paya, a publié le 1er juillet de cette année une tribune libre dans le Washington Post qui insistait sur le fait que les Cubains voulaient préserver leur accès àune santé et une éducation gratuites - un élément en contradiction avec les recommandations du rapport original de la Commission. Paya a aussi dit qu’il voulait la fin de l’embargo nord-américain et la levée des limitations aux voyages imposées aux Américains qui devraient être autorisés àvisiter l’île. Cette dernière position a provoqué la colère chez les exilés extrémistes de Miami.

Limitation des voyages

Des mesures ont été mises en place il y a deux ans pour réduire drastiquement le nombre d’Américains qui visitent Cuba, particulièrement les Cubano-américains, et limiter les transferts d’argent et les envois de colis. Tout en affirmant que ces mesures ont eu un grand effet, le nouveau rapport demande leur durcissement. Mais si elles ont effectivement réduit les revenus provenant de ces sources, l’ensemble des revenus du tourisme n’a pas baissé, puisque de plus en plus de Canadiens, d’Européens et de Latino-américains (notamment de Vénézuéliens) continuent de se rendre sur l’île.

De plus, il y a plusieurs aspects àce problème. Il a longtemps été affirmé par exemple que le meilleur moyen de faire passer le message de la démocratie américaine était par le voyage de citoyens américains àl’étranger. Faut-il en déduire que la réduction du nombre de voyageurs américains serait contre-productive àl’encouragement d’un changement àCuba ? Et est-ce que la douleur provoquée par la séparation des familles cubano-américaines juste pour retirer quelques millions au gouvernement cubain, en vaut la peine ? La question est ouverte.

Pas d’assistance au Conseil des églises cubaines

De nouvelles mesures sont proposées même contre les églises cubaines, par le renforcement de la réglementation sur l’aide humanitaire pour garantir qu’une telle aide ne profite pas « aux organisation gouvernementales ou contrôlées par le gouvernement, telle que le Conseil des églises cubaines  ». Cette mesure fait suite àune série de dénis de visas opposés àdifférents membres du Conseil des églises qui, selon l’administration Bush, est contrôlé par le gouvernement cubain. Comme l’a crà»ment contesté un dirigeant religieux américain : « Dans la mesure où elles doivent jouer le jeu selon les règles imposées par le gouvernement cubain, elles sont effectivement "contrôlées". Mais de lààlaisser entendre que le Conseil des églises cubaines est simplement un instrument du gouvernement est absurde. Ce sont des dirigeants religieux légitimes et nous apprécions beaucoup leur coopération.  »

Cela dit, les églises américaines ne pourront plus envoyer d’aide humanitaire au Conseil des églises cubaines, une mesure contre laquelle le Church World Service des Etats-Unis proteste déjàvigoureusement.

Efforts pour contrôler les exportations de nickel

Etant donné que les exportations de nickel sont devenues une importante source de revenus pour le gouvernement cubain, la Commission demande la création d’une équipe inter agence pour tracer le nickel cubain et renforcer les contrôles sur les importations de produits contenant du nickel (« Nous n’achèterons pas votre acier s’il y a une chance qu’il contienne le nickel cubain !  »), et plusieurs autres mesures pour décourager les pays tiers d’acheter du nickel cubain. De telles mesures ont déjàété tentées dans le passé avec très peu de résultats. Il y a peu de chances qu’elles en aient plus cette fois-ci. Il y a même de fortes chances qu’elles provoquent des réactions négatives au sein de la communauté internationale.

Les réactions du peuple cubain aux efforts visant àsaper leur économie

Il faut se demander aussi comment l’administration Bush pense que le peuple cubain réagira devant ces mesures qui ne visent qu’àlui rendre la vie plus difficile. Sont-ils censés être reconnaissants envers les Etats-Unis si ces mesures devaient être àl’origine de nouvelles pénuries et donc soutenir cette campagne contre leur propre gouvernement ? C’est peu probable. Au contraire, provoquer une mentalité d’assiégé àCuba ne fera qu’affaiblir tout soutien àla politique des Etats-Unis envers Cuba.

L’annexe secrète

Les mesures prévues pour bloquer le processus de succession abordées dans ce rapport - du moins celles qui sont ouvertement abordées - ont peu de chances de réussir. Cependant, le rapport contient une annexe qui, est-il dit, doit demeurer secrète « pour des raisons de sécurité nationale  » et maximiser ses chances de succès. On ne peut que deviner ce que cette annexe peut contenir. Etant donné l’histoire des relations Etats-Unis-Cuba, il y aura forcément de la spéculation sur un complot d’assassinat contre Castro (mais cette fois-ci contre Raul) et de nouveaux plans pour des attaques menées par des exilés, si non une action militaire directe des Etats-Unis. Il n’y a pratiquement aucun soutien dans la communauté internationale àla politique des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba. Et ce soutien va probablement encore faiblir devant les incertitudes et les soupçons soulevés par cette annexe secrète.

Cette analyse a été rédigée avant les remous provoqués par la transmission du pouvoir àRaul Castro, le 31 juillet, suite aux ennuis de santé de Fidel Castro.

Notes :

[1[NDLR] Radio anticastriste financée par le gouvernement états-unien et émettant depuis Miami. Elle a été crée en 1985 par un décret du président Reagan.

[2Texte du rapport (en anglais) àtélécharger :
www.state.gov/documents/organizatio....
Retranscription (en anglais) de la séance de présentation du rapport :
www.state.gov/secretary/rm/2006/687....

Source : Center for International Policy (http://ciponline.org), 11 juillet 2006.

Traduction : Cuba Solidarity Project (http://vdedaj.club.fr/spip/index.php). Traduction revue par l’équipe du RISAL.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
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