L’état de grâce est terminé pour Evo Morales. Depuis sa prise de pouvoir en janvier, le nouveau président bolivien étonnait ses concitoyens comme les observateurs étrangers par sa capacité à mettre en oeuvre la plupart de ses promesses. Début de la réforme agraire, nationalisation des ressources naturelles, hausse du salaire minimum, mise sur pied de l’Assemblée constituante... Malgré des caisses vides et un personnel politique inexpérimenté, le gouvernement allait de l’avant. Au point que l’élection du 2 juillet à la Constituante a tourné au plébiscite, offrant 60% des sièges aux partisans de M. Morales.
Le coup de semonce a été donné le 6 septembre, lorsque les partis de droite et les organisations patronales ont appelé à une grève antigouvernementale d’une journée. Concentré dans l’est du pays, le mouvement a permis à l’oligarchie des plaines d’exhiber sa détermination et... ses milices, qui ont obligé les commerçants à fermer boutique et fait la chasse aux militants sociaux. Un avant-goà »t de ce qui attend le gouvernement s’il s’entête à tenir ses promesses...
Le prétexte de la grève a été fourni par l’un des autres grands soucis qui tenaillent le pouvoir : le blocage de l’Assemblée constituante. Installés depuis un mois et demi à Sucre, les 255 élus ne se sont toujours pas accordés sur un règlement délibératif. La droite exige que chaque décision de l’assemblée soit prise à la majorité des deux tiers. La gauche préconise la majorité simple, à l’exception du vote final prévu à la majorité qualifiée par la loi électorale.
Mais ce n’est pas tout. Le caractère même de la Constituante fait débat. Car si le camp indigène entend proclamer son rôle « fondateur », les secteurs naguère dominants préfèrent un toilettage constitutionnel. Derrière le symbole sont visées les deux Chambres, où la droite ne se prive pas d’entraver le travail gouvernemental.
Sur le front social, l’exécutif doit aussi gérer le conflit opposant deux des principaux mouvements syndicaux du pays. Mineurs coopérativistes - soutien traditionnel d’Evo Morales - et mineurs salariés - base historique de la classe ouvrière bolivienne - se disputent depuis quatre mois le gisement d’étain de Posokoni. Le jugement de Salomon du président - la moitié à chacun - n’a contenté personne. Et lorsqu’on sait les capacités de mobilisation des deux bords, on se fait du souci pour le ministre des Mines, Walter Villarroel, lui même ex-coopérativiste...
Il est un autre dirigeant qui n’a plus ce genre de problème. Le populaire ministre de l’Energie, Andrés Soliz, a donné vendredi 15 septembre sa démission au chef de l’Etat. Partisan d’une ligne dure face aux multinationales, M. Soliz avait déjà hésité en mai dernier à quitter un gouvernement qui refusait de nationaliser par expropriation, préférant négocier de nouvelles concessions. La « suspension  », jeudi, par le vice-président Alvaro GarcÃa Linera (en l’absence de M. Morales en déplacement à La Havane), d’une résolution ministérielle rendant effective la prise de contrôle de l’Etat sur les deux raffineries de la société brésilienne Petrobras (décrétée en mai mais jamais appliquée) a fait déborder le vase.
Soucieux, comme son vice-président, de ne pas envenimer ses relations avec Lula en pleine campagne électorale brésilienne, Evo Morales a fini par lâcher son fidèle grognard et a nommé Carlos Villegas à l’Energie. Cet autre poids lourd du gouvernement - jusque-là chargé de la Planification du développement - a assuré que les négociations se poursuivraient sans changement majeur jusqu’à la date butoir du 31 octobre. Au vu des nuages noirs qui s’amoncellent sur Evo Morales, tout fléchissement sur ce dossier emblématique lui serait certainement fatal.
Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), 19 septembre 2006.