Venezuela : la machine àtisser des alliances
par Raúl Zibechi
Article publié le 22 septembre 2006

La diplomatie vénézuélienne a su se mouvoir dans toutes les directions possibles, établir des accords et prendre des initiatives inimaginables pour la majorité des pays de la région, avec des résultats surprenants. Depuis sa plate-forme latino-américaine où il maintient des liens solides avec une bonne partie des gouvernements, Hugo Chavez parcourt le monde avec l’ambition de renforcer son pays et le continent.

A la fin du mois de juillet, le président Chavez a visité la Russie, la Biélorussie, le Qatar, l’Iran et le Vietnam. En aoà»t, il était en Chine, puis en Malaisie et en Angola. Mais il a aussi rendu visite àFidel Castro sur son lit de convalescence. A chaque visite, il a tissé des alliances politiques, signé des accords de coopération économique et élargi ainsi l’éventail déjàimportant de relations diplomatiques et commerciales qui font du Venezuela, et de sa propre personne, un acteur de premier plan sur la scène mondiale.

A Moscou, il a signé des contrats pour environ trois milliards de dollars pour l’approvisionnement d’avions et d’hélicoptères de combat au Venezuela, dont les chasseurs modernes Su-30 et les hélicoptères Mi-17, qui s’ajoutent aux accords millionnaires passés avec l’industrie militaire espagnole. A Pékin, où il atterrissait pour la quatrième fois, Chavez s’est engagé àpasser des 150 mille barils de pétrole par jour que son pays vend àla Chine à500 mille en 2009, et jusqu’àun million par jour pour la prochaine décennie. De son côté, tandis que le Venezuela achètera des bateaux citernes pour le transport du pétrole - puisqu’il entend disposer de sa propre flotte - et prétend faire l’acquisition de douze plates-formes de perforation de puits, la Chine a annoncé des investissements dans le pays caraïbéen pour cinq milliards de dollars dans les six prochaines années.

Le bras de fer régional

Cette année, le Venezuela s’est retiré de la Communauté Andine des Nations (CAN) quand la Colombie et le Pérou ont décidé de signer leur traité de libre-échange (TLC, sigles en espagnol) avec les Etats-Unis. Mais il continue àappuyer la construction d’un gazoduc binational avec la Colombie et d’impulser le commerce avec ce pays, qui peut atteindre cette année les cinq milliards de dollars. Les affaires sont les affaires et l’économie vénézuélienne en est àson onzième trimestre consécutif d’expansion, avec une croissance moyenne annuelle de 12,6% au cours de cette période. Le dimanche 3 septembre, dans le programme Aló presidente, Chavez a informé que l’économie de son pays a cru de 60% depuis 1998, passant d’un Produit Intérieur Brut (PIB) de 90 milliards de dollars à150 milliards. Une telle vigueur ne peut qu’avoir un impact sur les relations avec ses voisins.

Avec l’Argentine, Chavez partage plusieurs domaines de travail : échange intense de pétrole et autres combustibles ; collaboration dans le domaine financier, depuis que le Venezuela a acheté des bons argentins [des bons de la dette extérieure argentine, ndlr] dans des moments difficiles pour l’administration de Nestor Kirchner, qui ensuite est allé plus loin avec la proposition de créer la Banque du Sud ; et la coopération dans le domaine de l’agriculture, dont notamment l’importation de 500 tracteurs argentins.

Avec le Brésil, les domaines de coopération dépassent aussi le cadre énergétique. Ils vont de la coopération technique àla vente d’avions, ce àquoi il faut ajouter l’exploitation conjointe (Venezuela, Brésil, Argentine et Uruguay) du bassin pétrolifère de l’Orénoque. L’entreprise vénézuélienne Petroleos de Venezuela SA (PDVSA) a passé un accord récemment avec la brésilienne Petrobras pour l’importation d’éthanol pour parvenir àl’élimination du plomb dans l’essence vénézuélienne. De plus, le Venezuela achètera au Brésil la technologie nécessaire pour installer 15 usines d’éthanol d’ici 2010. L’association entre Petrobras et PDVSA permettra la construction d’une grande raffinerie dans l’Etat du Pernambuco, dans le Nordeste brésilien, qui traitera 200 mille barils par jour - 100 mille de chaque pays - et commencera àopérer vers 2011.

En parallèle, il a été annoncé la semaine dernière [début septembre, ndlr] que le Venezuela investira 2,1 milliards de dollars en Bolivie pour la construction de quatre centrales d’hydrocarbures et qu’une société entre PDVSA et la bolivienne Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos (YPFB) sera créée pour des centrales pétrochimiques et de gaz liquide. Cet accord s’ajoute àceux qui ont été signés entre les deux pays depuis fin janvier, quand Evo Morales a pris ses fonctions de président.

Les relations avec les pays caraïbéens et centraméricains méritent un chapitre àpart. Cette région est le théâtre d’un puissant bras de fer entre le gouvernement de Chavez et l’administration de George W. Bush. Caracas a impulsé en 2005 la création de Petrocaribe qui fournit du pétrole àplusieurs pays àdes conditions de prix et de financement très avantageuses. Parmi les signataires de l’Accord de coopération énergétique, signé àPuerto La Cruz (Venezuela) en juin 2005, figurent Antigua-et-barbuda, les Bahamas, Belize, Cuba, l’île Dominique, la République dominicaine, Grenade, la Guyane, la Jamaïque, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès, et le Surinam, tandis que le Nicaragua et le Salvador ont créé des entreprises mixtes avec PDVSA.

Récemment, on a appris que le Mexique, avec l’appui des Etats-Unis, est en train d’analyser un projet énergétique pour neutraliser l’influence de Chavez dans cette région. Il s’agit du Programme d’Intégration Energétique Méso-américain (PIEM) qui comprendrait les mêmes pays en sus d’autres d’Amérique centrale qui n’ont pas signé d’accords avec le Venezuela, ainsi que le Mexique et la Colombie. Ce projet bénéficie d’un financement de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) de neuf milliards de dollars pour construire au Mexique une raffinerie ayant une capacité de 360 mille barils par jour ainsi qu’un gazoduc de trois mille kilomètres. Le ministre mexicain de l’Energie, Canales Clariond, a affirmé que le projet vise àfaire en sorte « que ces pays ne dépendent pas de Chavez en matière d’énergie  ».

Mais le président vénézuélien continue àaller de l’avant. Les bonnes relations entre Chavez et le président russe Vladimir Poutine ont ouvert les portes àla présence de l’entreprise publique russe Gazprom (première entreprise mondiale de gaz) en Amérique du Sud. Le géant russe mise sur une coopération avec plusieurs des principales entreprises énergétiques sud-américaines : la brésilienne Petrobras, la vénézuélienne PDVSA, la bolivienne YPFB et l’argentine Transportadora de Gas del Sur (TGS, entreprise privée bénéficiant d’un soutien de l’Etat). Gazprom peut jouer un rôle décisif àun moment où plusieurs pays cherchent l’indépendance technologique des multinationales pétrolières occidentales et pourrait transmettre àses associés des technologies avancées de construction et de maintenance de grands gazoducs. Le Venezuela et le Brésil ont invité le consortium àparticiper àla phase d’étude de faisabilité du Gazoduc du Sud.

Diplomatie globale

Une idée de l’importance du rôle du Venezuela dans le monde ressort de l’analyse de l’expert russe Vladimir Ovchinski, conseiller du président du Tribunal constitutionnel, pour qui la possible attaque des Etats-Unis contre l’Iran est due àla rivalité géostratégique avec la Chine, comme il est signalé dans le rapport « Projet 2020  » qui soutient qu’àcette date le pays asiatique se sera érigé en leader mondial au détriment de la superpuissance actuelle. Le talon d‘Achille chinois est le pétrole : il reçoit 47% de ses importations de brut de l’Iran. « Pour mettre la Chine àgenoux, les Etats-Unis peuvent attaquer des artères pétrolières  » iraniennes, affirme Ovchinski dans une analyse diffusée par RIA Novosti, le 30 aoà»t.

Cependant, selon l’analyste, « les accords sino-vénézuéliens changent radicalement le cadre du monde contemporain  », puisqu’ils réduisent la dépendance chinoise des Iraniens. Mais face au renforcement militaire et diplomatique du Venezuela suite aux tournées présidentielles de juillet et aoà»t, la possibilité que Washington décide de s’appliquer àfond àrenverser Chavez - avec l’objectif identique de porter préjudice àla Chine - est de plus en plus lointaine.

A la mi-aoà»t, de retour de la tournée qui l’a emmené en Russie, Chavez a décidé d’une relève au ministère des Affaires étrangères. En lieu et place d’Ali Rodriguez (ex-président de PDVSA et ex-secrétaire général de l’OPEP, et qui connaîtrait des problèmes de santé), il a investi Nicolas Maduro, ex-syndicaliste et dirigeant du Mouvement Cinquième République [MVR, le parti de Chavez, ndlr] qui occupait le poste de président du Parlement. Pour l’opposition, la désignation de Maduro signifie que « la diplomatie se politise encore plus et n’est plus d’Etat sinon de parti  », selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Milos Alcalay, interviewé par IPS (19 aoà»t 2006).

Chavez cherche àfaire en sorte que le Venezuela occupe un siège au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2007-2008, et dispose déjàdu soutien du Mercosur, de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et peut bénéficier de l’appui de ses nouveaux alliés : la Chine, la Russie, et l’Iran et peut-être d’autres pays du monde arabe et musulman, où son affrontement verbal et diplomatique avec Israë l lui a apporté des sympathies. Pendant ce temps, les Etats-Unis misent sur le Guatemala dans une bataille qui sera un moment de définition. Le président vénézuélien n’occulte pas son intention de poursuivre une diplomatie pétrolière. Il l’a reconnu lors de l’investiture de Maduro, en signalant que « dans le cas vénézuélien, nous ne pouvons séparer la stratégie énergétique pétrolière de la diplomatie  ».

Source : Brecha (www.brecha.com.uy) ; ALAI, Agencia Latinoamericana de Información (http://www.alainet.org/index.phtml.es), 8 septembre 2006.

Traduction : Frédéric Lévêque, pour RISAL.info.

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