Venezuela
Villa León : la démocratie participative àl’épreuve des clivages sociaux
par Renaud Lambert
Article publié le 13 novembre 2006

Pour encourager la participation populaire, Caracas a institué l’an dernier des conseils communaux. Reportage dans un quartier symbolique des fractures vénézuéliennes.

« Au début, je voulais planter des arbres de part et d’autre de la place, avec des fleurs au milieu. Mais bon, il n’y a personne pour me donner un coup de main...  » Cela fait deux ans que José G. Masciangioli habite dans le lotissement de Villa León, àla sortie de La Vela de Coro, dans la péninsule de Paraguaná, dans l’ouest du Venezuela. « Tout seul, je n’ai le temps de m’occuper que de ce coin-làet, avec le soleil qu’on a ici, c’est déjàdu boulot.  » Il hausse les épaules et reprend l’arrosage des quelques fleurs au milieu desquelles il est planté. Il ne les quitte des yeux que pour observer, de temps en temps, le groupe qui se forme àl’entrée du lotissement, àquelques pas de là. Aujourd’hui, Villa León élit son « conseil communal  »... José soupire : « Ce n’est pas sà»r qu’on ait assez de monde... C’est la troisième fois qu’on essaie !  » Votée en avril 2006, la loi des conseils communaux vise àdoter la « communauté  » [1] d’un outil pour sa participation effective. Cette nouvelle structure est composée de représentants des organisations sociales déjàactives au niveau local (les « missions  » gouvernementales, notamment), d’un conseil de surveillance et d’une coopérative chargée d’administrer les ressources. Le conseil se charge de piloter la rédaction du « diagnostic participatif et social  » au sein du quartier : nombre d’habitants, revenus, problèmes techniques et surtout sociaux. Mais c’est une assemblée de citoyens, devant réunir au moins 10% des votants [2], qui, sur la base de ce travail, formule les projets qui seront financés par le gouvernement [3]. José n’est pas convaincu : « La participation, ce n’est pas l’affaire d’une assemblée ou d’un vote. La participation, c’est tous les jours, comme les plantes. Et puis ici, tout est plus compliqué.  » Il faut dire que Villa León n’est pas un lotissement comme les autres. Construit en 2004 par la société Coromix, elle était destinée àla classe moyenne supérieure, comme cet enseignant universitaire, « El Professor  », qui s’était « acheté une maison ici pour passer [ses] vieux jours dans un endroit agréable  ». Seulement, au bout de quelques mois, alors qu’àpeine la moitié de la petite centaine de maisons est vendue, les murs commencent às’effriter, les canalisations d’eau àéclater et l’opération de Coromix àressembler de plus en plus àune « entourloupe  »... A la même époque, un fleuve qui sortait de son lit allait balayer un barrio [quartier populaire] de la région et laisser plusieurs centaines de personnes sans abri. Pour répondre àl’urgence de la situation, le gouvernement vénézuélien décidait d’acheter des habitations làoù elles étaient disponibles. A Villa León, par exemple. Le hasard devait donc faire qu’au sein de ce petit lotissement, se retrouveraient les clivages sociaux caricaturaux du pays...
Toujours seul, José range son tuyau d’arrosage. « Ici, le problème est double. D’un côté, les gens de la classe moyenne, préoccupés par leur boulot rentrent dans leurs nids douillets et ne sortent plus. De l’autre, les « beneficiados  » n’ont pas encore la culture de la participation.  » Manque de « culture de la participation », vraiment ? De leur côté, Marjoly Sanchez et Teresa García, qui arpentent les rues de leur quartier pour faire sortir les « beneficiados  », ne s’en laissent pas conter : « Nous devons tous participer, sinon nous n’arriverons àrien !  »
Bien sà»r, quand finalement, une soixantaine de personnes sont regroupées pour discuter - « Ouf, nous sommes assez  », souffle Teresa -, la classe moyenne est surreprésentée, convaincue, elle, de sa capacité à« peser  » et dotée des outils sociaux et culturels qui facilitent la prise de parole en public. Les conseils communaux ont pour vocation de « solder la dette sociale du pays  ». Reste às’entendre sur les priorités. Les fleurs de José ne font pas partie de celles du « Professeur  », qui enrage après Coromix. Ni de celles des « beneficiados  », dont beaucoup ne mangent pas àleur faim. Mais le conseil communal est créé, tant bien que mal. Suffira-t-il àdonner corps àcette ambition « bolivarienne » que rappelle un conseiller de la mairie, venu aider au processus : « L’Etat, c’est nous, tous ensemble  » ? José prend la parole avant la fin de la réunion : « Le conseil communal, c’est très bien, mais si on ne se met pas tous au travail, dans un an il est mort, comme les arbres qu’on avait plantés et dont personne ne s’est occupé. C’est aussi simple que ça...  »

Notes :

[1De 200 à400 familles en milieu urbain, une centaine en milieu rural, autour de dix en territoire indigène.

[2Avoir plus de 15 ans et habiter depuis six mois le quartier.

[32 000 milliards de bolivars (environ 744 millions d’euros) devraient être versés en 2006 par Caracas aux conseils.

Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), 30 septembre 2006.

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