Depuis huit ans, la petite communauté mapuche de Juan Paillalef tente de récupérer ses terres et de se défendre contre ses envahissants voisins. Rencontre avec sa cheffe, l’énergique Juana Calfunao.
« Indignée  ». L’interview de la présidente chilienne Michelle Bachelet, publiée récemment dans Le Courrier [1], a fait sortir Juana Calfunao de ses gonds. « Elle parle de l’importance de la mémoire et se prétend ’présidente de tous les Chiliens’, mais pas une seule fois elle n’a prononcé le mot Mapuche !  », s’agace l’éruptive dirigeante indigène. L’image d’une Michelle Bachelet ex-opposante à Pinochet devenue cheffe de l’Etat, l’énerve au plus haut point. « Si elle avait réellement souffert, elle montrerait davantage de compréhension envers nous  », raille Mme Calfunao. Car pour la cheffe de la petite communauté de Juan Paillalef (IXe région [2], sud), la répression et les violations des droits fondamentaux, ce n’est pas de l’histoire ancienne [3]. « La situation de nos quatre familles est d’une extrême gravité  », avertit-elle. En huit ans d’activisme pour récupérer ses terres, la communauté mapuche a subi des dizaines d’arrestations et exactions. Par trois fois, la maison de Mme Calfunao est partie en flammes. Un oncle de Juana a même perdu la vie dans l’un des incendies. En 2004, Amnesty International s’est publiquement inquiétée pour la sécurité de Mme Cafulnao et dénoncé l’inaction de la justice. Alors même que la lonka (cheffe traditionnelle) de Juan Paillalef a, de son côté, été plusieurs fois arrêtée et même battue par la police. Mais si la justice est muette quant à l’origine des attentats subis par Mme Calfunao, la communauté n’a, elle, que peu de doutes. Elle accuse un « groupe paramilitaire  » formé par les grands propriétaires terriens de la zone. « Sur les 120 hectares que nous possédons légalement, ceux-ci en occupent impunément une centaine, relève-t-elle. Il semble que nos actions pour récupérer nos terres les ont dérangés... »
L’autre conflit qui oppose les Mapuches à leurs puissants voisins a débuté en 2000, quand la société Frontel installe une ligne à haute tension en plein coeur de Juan Paillalef. « Ils ne nous ont rien demandé, la ligne est donc illégale  », affirme Juana Calfunao. D’autant plus révoltée que l’ouvrage ne servirait qu’à alimenter un resort voisin, accueillant la haute société chilienne au bord d’un lac paradisiaque. « Nous, nous avons pas l’électricité et n’en voulons pas.  » Six ans de démarches juridiques pour démanteler la ligne n’ont encore rien donné, lorsqu’une équipe de la société Frontel - encadrée par des dizaines de policiers - se rend sur place, le 31 juillet dernier, pour effectuer des travaux d’entretien. En l’absence de la lonka, en voyage à Genève pour la rencontre onusienne des peuples autochtones, c’est son fils qui tente d’empêcher le passage des ouvriers sur ses terres. « Il a été arrêté et inculpé pour avoir pris en otage les travailleurs... C’est ridicule et scandaleux !  » Et comme si cela ne suffisait pas, les habitants de Juan Paillalef devront bientôt affronter une « nouvelle agression  ». Le chemin de terre « privé  » qui traverse la communauté pourrait bientôt recevoir une couche d’asphalte, afin de permettre aux camions des entreprises forestières de gagner du temps. « Vous imaginez des dizaines de camions passer au milieu de chez vous ?!  » interroge la cheffe indienne. « Tout ça pour favoriser les cultures de pins et d’eucalyptus qui assèchent notre terre et détruisent les bois natifs !  »
Et ne lui parlez pas, en paraphrasant Michelle Bachelet, de « développement économique  » et de « modernisation  » : « Qu’y a-t-il de plus moderne que le respect des êtres humains et de la nature ? Bachelet vante un Chili ’moderne’ mais elle est incapable de trouver la moindre solution aux problèmes des Mapuches...  » réplique-t-elle. Percutante contre le gouvernement de son pays, Juana Calfunao veut aussi profiter de son passage en Europe pour adresser un clair message aux détenteurs de capitaux étrangers au Chili : « Quand je vois ce continent, cette richesse, ici, en Europe, je vois le saccage de l’Amérique. Mais les Mapuches sommes décidés à défendre notre terre. Sachez donc que nous ne pouvons garantir vos investissements au sud du rÃo Bio Bio [4]...  ».
[1] Voir l’édition du Courrier du 16 aoà »t 2006.
[2] [NDLR] La dictature a réorganisé le Chili en 12+1 regiónes, des sous divisions administratives. Santiago, la capitale, est une région à part entière : la región metropolitana.
[3] Voir Le Courrier du 9 juillet 2005 : Simon Petite, Pour les indigènes mapuches, le Chili n’a pas vraiment changé.
[4] Du XVIe au XIXe, cette rivière a marqué la frontière entre les terres conquises par l’Espagne et celles restées sous contrôle mapuche.
Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), 5 septembre 2006.