La Vega : une « Ã©cole bolivarienne  »
par Renaud Lambert
Article publié le 30 novembre 2006

Nourrir les enfants àl’école. L’ambition du gouvernement se heurte aux immenses besoins de la population.

Les hauteurs de La Vega, un quartier du sud-ouest de Caracas. De part et d’autre de la crête, les maisons s’accrochent au flanc de la colline. Des briques, parfois. Du plastique et du bois, plus souvent. Régulièrement, une coulée de boue en emporte quelques-unes en bas, tout en bas de la vallée.

C’est l’un des barrios les plus pauvres du pays. Selon une étude de 2004, plus de 80% des enfants du quartier ne voient qu’une partie de leurs besoins primaires satisfaite. De ceux-là, près de la moitié ne mangent pas àleur faim.

Depuis la rentrée 2005, Mario Maggio est directeur de la petite école du quartier. Pour la trouver, il suffit de suivre le petit ruisseau d’eaux usées qui coule depuis le haut de la colline. Celui-ci dévale la pente jusqu’àun replat, une ancienne décharge, où l’eau stagne : c’est le terrain de l’école. «  La précédente directrice était tombée malade, sà»rement àcause de l’eau noire.  » Mario sourit. « C’est drôle, àforce, on oublie l’odeur.  »

L’établissement est une des « Ã©coles bolivariennes  » que le gouvernement a souhaité voir créer àtravers le pays : on y donne àmanger aux enfants. « Enfin, avec près de 1000 enfants au total, on ne peut pas les accueillir tous toute la journée, explique Mario. Au lieu de trois repas, les enfants, ici, n’en reçoivent que deux. Pour eux, c’est déjàénorme.  »

A mesure que les enfants grandissent, l’équipe de l’école ouvre de nouvelles classes pour qu’ils puissent continuer leur cursus, tout en acceptant les nouveaux venus, toujours nombreux. Mais « nous arrivons ànos limites, constate amèrement Mario. Nous allons devoir, ou bien refuser les nouveaux, ou bien renvoyer les plus grands àla rue. Je ne peux me résoudre ni àl’un, ni àl’autre. Ici, ils mangent, ils dansent, ils chantent. Certains ont même gagné des prix, tu te rends compte ?  »

Comment s’organiser le ventre vide ?

Alors bien sà»r, l’équipe formule, depuis 2003, des demandes pour qu’on agrandisse l’école, qu’on renforce l’encadrement, « qu’on nous aide  », soupire
Yaney Lara, la sous-directrice qui sort les copies des différents courriers adressés àla Mairie, au Ministère, àla Fondation pour les dotations éducatives (FEDE), etc.

Une cuisine a bien été installée en 2003... mais sans équipement. « On nous a donné trois pauvres machines àpresser des oranges, pour 1000 enfants !  » constate Mario. Sans surprise, elles ont rapidement rendu l’âme. Le réfectoire n’a toujours pas de table et aucun accès àl’eau potable n’a été prévu. Alors pour les repas, c’est « arepitas  [1] au jambon et au fromage tous les jours  ».

Pour faire arriver le dossier de l’école sur le dessus de la pile des « priorités  » des autorités locales, l’aide des parents d’élèves serait la bienvenue. Mais ce n’est pas une mince affaire. « A force de convoquer des réunions où sur 600 parents d’élèves n’en venaient qu’une trentaine, un jour, je les ai piégés. J’ai annoncé une distribution de nourriture. Les gens sont venus par centaines !  » raconte Mario en souriant.

Mais la situation n’a guère changé. « Les gens, surtout ici, ne sont pas habitués àdéfendre leurs droits. Pour eux, l’urgence, c’est de savoir d’où viendra le prochain repas... alors les histoires d’école...  »

Sans signe du gouvernement, l’équipe pourrait se tourner vers l’organisation caritative Christel House, qui gère déjàune école, plus bas, dans la vallée. Fondée par Christel De Haan - une philanthrope et richissime cheffe d’entreprise- elle finance ses activités grâce aux dons de banques et en organisant des tournois de golf où les droits d’inscriptions se chiffrent en centaines de dollars. Un paradoxe àl’heure où le Venezuela se propose d’ouvrir la voie au « socialisme du XXIe siècle  »...

A La Vega, même àl’école, rares sont ceux qui se posent la question en ces termes. Rares sont d’ailleurs ceux qui iront voter dimanche. L’important, c’est de savoir si l’école va survivre, pour les uns. Si l’on va manger ce soir, pour les autres.

Notes :

[1Galettes de maïs.

Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), 29 novembre 2006.

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