Ce coup d’État qui n’en finit pas
par Santiago Arconada Rodríguez
Article publié le 7 mars 2003

La propagande de la Coordination démocratique (CD) pour le « Firmazo  » (collecte de signatures), dans le cadre d’une campagne massive àla radio, dans les journaux et àla télévision, terminait en disant « Avec le Firmazo, plus d’erreur possible !  ». Autrement dit, l’opposition admettait qu’il y avait bien eu erreur, aussi grossière qu’évidente, avec cette nouvelle tentative de coup d’État appelée Grève civique nationale active, convoquée par la Coordination démocratique, Fedecámaras et la CTV, àpartir du 2 décembre et levée le 2 février 2003 avec le Firmazo...

1.- La propagande de la Coordination démocratique (CD) pour le « Firmazo  » (collecte de signatures), dans le cadre d’une campagne massive àla radio, dans les journaux et àla télévision, terminait en disant « Avec le Firmazo, plus d’erreur possible !  ». Autrement dit, l’opposition admettait qu’il y avait bien eu erreur, aussi grossière qu’évidente, avec cette nouvelle tentative de coup d’État appelée Grève civique nationale active, convoquée par la Coordination démocratique, Fedecámaras et la CTV, àpartir du 2 décembre et levée le 2 février 2003 avec le Firmazo.

Dire au pays que ce Firmazo était le but àatteindre, pour lequel ils lancèrent une attaque bestiale, ouverte et manifestement anticonstitutionnelle, est un mensonge aussi grand qu’une maison.

Il s’agissait en fait de balayer sous le tapis la honte politique d’avoir dà» lever la Grève civique nationale active, par un éventail de pétitions constitutionnelles, parmi lesquelles le référendum révocatoire (et que Chávez avait d’ailleurs évoqué àplusieurs reprises), mais cette fois, sans PDVSA.

C’était (et c’est) une défaite. Le boomerang lancé par les responsables putschistes de la CD pour renverser le gouvernement (et qui n’a pas atteint sa cible grâce àla résistance sereine du peuple) se retourne maintenant contre eux. Une preuve en est la destitution de Rafael Marín, Secrétaire général du parti Action démocratique.

Mais avant de chanter victoire, les explosions dans les missions diplomatiques de Colombie et d’Espagne viennent nous rappeler que nous serions bien naïfs de croire que l’État-major ayant décidé de saboter l’industrie pétrolière est àcourt de ressources, ou de bombes. Le premier devoir qui s’impose est celui de cerner en profondeur la dynamique de ce coup d’État qui n’en finit pas, non seulement pour continuer de le déjouer, mais aussi pour accroître notre capacité àfaire d’autres choses en plus.

2.- Pour être en mesure d’influer davantage sur l’avenir immédiat, il nous faut analyser avec précision ce qui s’est passé. La défaite indéniable du secteur putschiste de l’opposition correspond àune victoire de la capacité de résistance dont ont fait preuve et le peuple et son gouvernement. Mais ils se fourvoient ceux qui pensent que l’analyse de cette capacité de résistance s’arrête le deux février, jour du Firmazo. Moins de 25 jours après la levée de la tentative de coup d’État par lock-out patronal et sabotage pétrolier, les attentats contre les missions diplomatiques de Colombie et d’Espagne démontrent combien le verbe ’déstabiliser’ est susceptible d’infinies déclinaisons, y compris celle du terrorisme. Ce n’est pas qu’il n’y pas de victoire àcélébrer ; il y en a bien une, et très importante. Simplement l’heure n’est pas aux célébrations. Par ailleurs, le mouvement populaire vénézuélien et le gouvernement du président Chávez sont bel et bien appelés àfournir une série de réponses immédiates àla grave situation économique qui, si elle existait déjà, a aussi été intensifiée par le sabotage pétrolier. C’est pour prendre le temps d’apporter ces réponses qu’il nous faut mettre àprofit cette force que nous a donnée cette victoire contre la tentative de coup d’État de l’opposition. Et non pour la gaspiller en conflits secondaires qui semblent préparés pour satisfaire l’ego.

À l’Assemblée nationale, l’opposition a d’ailleurs repris le chemin vers un nouveau Conseil national électoral. Ce qui montre qu’elle assume désormais le défi de mettre sur pied un arbitre électoral fiable au préalable àtoute consultation électorale. C’est làune victoire du bon sens qu’il convient de souligner. Au moins ne sommes-nous plus àlimités àcette ignominie qui prétendait organiser des élections avec un arbitre totalement discrédité.

Mais àcôté de cela, les attentats àla bombe nous rappellent une fois encore que l’opposition n’est pas une entité homogène. Un secteur joue certes la carte électorale, après avoir levé àl’Assemblée nationale son sabotage de la Commission parlementaire pour les nominations. Mais un autre secteur a maintenant recours aux actes terroristes. Pour donner un exemple, il est évident que Henry Ramos Allup (président du parti AD) et Gustavo Cisneros (propriétaire de Venevisión) ne cherchent pas la même chose, bien que tous deux soient de l’opposition. Ce premier devoir dont je parlais -de bien cerner en profondeur la dynamique de ce coup d’État- passe par la mise en évidence des contradictions internes de l’opposition, afin de pouvoir désarticuler son jeu.

Le deuxième devoir concerne le terrain électoral. Ainsi, après le progrès qu’a représenté la mise sur pied de la Commission parlementaire des nominations pour la désignation d’un nouveau CNE, il nous faut être comme les scouts : « Toujours prêts !  ». Prêts àtoute éventualité de référendum ou d’élections. En d’autres termes, se dire chaviste ou partisan du processus constituant ou du processus révolutionnaire bolivarien, implique, si l’on a plus de 18 ans, d’avoir une carte d’identité laminée et d’être inscrit au Registre électoral permanent. Cela suppose de transformer les dépendances gouvernementales qui, comme la DIEX, sont chargées des documents d’identité. Telle devrait être la priorité absolue de tous les partis politiques et des organisations sociales qui sentent que leur avenir est lié àd’éventuelles élections.

3. - Nous avons rarement vécu des événements aussi porteurs de leçons que cette confrontation et victoire contre deux tentatives de coup d’État en dix mois àpeine. La dynamique sociale mise en lumière par l’enchaînement de ces faits historiques font de notre pays une gigantesque salle de classe où serait donné le cours le plus magistral de sciences politiques. Première grave défaite pour ceux qui ont toujours voulu que le peuple reste dans l’ignorance.

Le 11 avril 2002, les forces politiques de la Coordination démocratique, la CTV et Fedecámaras, ainsi que les hauts gradés avec lesquels elles s’étaient alliées, ont fait d’une manifestation citoyenne la phase ultime d’un coup d’État conçu et mà»ri pendant deux ans de féroce bombardement médiatique. Après les morts calculés pour tenter de justifier leur félonie contre la Constitution nationale, ils renversèrent dans la nuit le président Chávez, emmené prisonnier àla base de Fuerte Tiuna.

Le peuple garda un silence sépulcral. Le message social était trop évident, sans subtilité. En deux mots : les pauvres pleuraient et les riches riaient.

Le vendredi 12 avril 2002, le journal El Universal mentait sur huit colonnes : « C’EST FINI !  », alors que tout recommençait. Dans l’après-midi, en lisant leur premier décret gouvernemental, les riches rayaient Bolivar du nom du Venezuela. Dès ce moment, le mouvement populaire se déborda.

Cette nuit-là, nous fîmes un vacarme monstre, un gigantesque concert métallique de protestation, qui nous permit de savoir qui nous étions et où nous étions. Le lendemain, le samedi 13 avril 2002, civils et militaires sortirent ensemble dans les rues pour renverser, comme on s’arrache un bouton, le gouvernement de la Coordination démocratique, la CTV et Fedecámaras, présidé par Pedro Carmona Estanga.

Aux premières heures de la nuit de ce samedi 13, se constituait le gouvernement provisoire du président faisant fonction Diosdado Cabello. Et àl’aube du dimanche 14 avril 2002, àla surprise de la plus haute autorité de l’Église catholique, Mgr. Ignacio Velasco (qui se trouvait sur l’île de l’Orchila avec la tâche indigne de convaincre le président Chávez de signer sa démission), un commando héliporté loyal au président arrivait pour le délivrer et le ramener au palais de Miraflores, au millieu d’une foule en délire. Avant le lever du jour de ce dimanche 14 avril 2002, le président Chávez s’adressait au pays dans sa première allocution post-coup d’État et demandait pardon pour ses excès, ouvrant la voie àun dialogue national.

Mais àpartir de ce lundi 15 avril 2002 jusqu’au lundi 2 décembre 2002, jour où a commencé cette opération d’encerclement, de harcèlement et d’asphyxie appelée ’Grève civique nationale active’, les médias privés n’ont jamais demandé pardon pour avoir menti sur huit colonnes, ou pour avoir tenté d’effacer, àcoups de dessins animés, les heures historiques pendant lesquelles tout un peuple récupérait le pouvoir perdu. Au lieu de cela, ils poursuivirent sans relâche leur opération de « terre brà»lée  » par des bombardements massifs de propagande prônant la confrontation et la violence, jour après jour. Jusqu’àvaincre les secteurs opposants qui étaient contre les grèves insurrectionnelles et autres aventures destinées, avant tout, àdétruire la Constitution nationale et, ensuite, àrenverser le président Chávez. Alors, le 2 décembre 2002, ils lancèrent leur offensive totale, en promettant non seulement un Noë l sans Chávez, mais aussi que la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela ne serait bientôt plus qu’un cauchemar qu’on oublierait vite.

Le mouvement populaire vénézuélien a le devoir d’analyser en détail ces soixante jours de notre histoire républicaine, où des mythes fondateurs de la politique nationale sont finalement tombés, comme celui de PDVSA. Non seulement l’opposition a-t-elle arrêté l’industrie pétrolière, mais elle a aussi saboté la réouverture des installations et des processus de production, de stockage et de commercialisation. Et non seulement le gouvernement n’est pas tombé ; il en est sorti renforcé. Le troisième devoir aujourd’hui est donc d’éviter que ne tombe dans l’oubli ce nouveau tournant dans la vie de la nation, dans l’histoire du mouvement populaire vénézuélien. Ne pas oublier ces deux mois de tentative de putsch ouverte et dévoilée contre le gouvernement constitutionnel du président Hugo Chávez : suspension de la production pétrolière nationale, générant chaos et terreur, en principe jusqu’àce que le président démissionne ou convoque des élections immédiates anticonstitutionnelles. Deux mois pendant lesquels un lock-out patronal -l’arrêt des opérations préparé et décidé par les chefs d’entreprises- a mis en danger l’approvisionnement des produits alimentaires de consommation massive, comme les pâtes. Deux mois pendant lesquels on a voulu vaincre par la faim la résistance d’un peuple. Deux mois pendant lesquels les militaires de la place Francia àAltamira n’ont jamais cessé d’inciter les militaires actifs de nos forces armées às’insurger contre le gouvernement constitutionnels. Deux mois pendant lesquels des ténors de l’opposition, notamment M. Enrique Tejera París et M. Jorge Olavarría, lors de toutes leurs apparitions publiques sur les chaînes privées de télévision, en appelaient àcesser de reconnaître la Constitution et àrenverser le président Chávez. Deux mois pendant lesquels on a prétendu abolir la Noë l jusqu’àla chute de Chávez. Deux mois terribles, d’inconvénients et d’incertitudes dans les queues du gaz et de l’essence. Deux mois criminels qui auront dans l’immédiat des impacts négatifs sur la disponibilité des ressources. Mais deux mois qui ont aussi été une des expériences ayant permis d’approfondir l’actuel processus de changements. Au-delàdes considérations futures sur ce point, force est d’admettre que si quelque chose a changé, il s’agit de la conscience qu’a le peuple de lui-même, de ses intérêts, de la réalité construite par les médias privés, et sa perception du processus actuel.

La grève civique nationale active devait durer jusqu’àla chute du gouvernement du président Chávez.

Carlos Fernández (Fedecámaras), Carlos Ortega (CTV) et Juan Fernández (Gens du Pétrole) -porte-parole de la Coordination démocratique lors des conférences de presse quotidiennes de 18h, appelées macabrement ’déclarations de guerre’- grondaient jusqu’àla satiété que Chávez était mis àla porte, que le président de PDVSA Alí Rodríguez pouvait licencier tout le personnel, mais que c’était le président Chávez que la société avait licencié.

Le fantôme de la guerre civile fut invoqué àmaintes reprises sur le ton ouvertement provocateur des manifestations de l’opposition. La conflictualité a connu des extrêmes délirants, comme par exemple l’attaque des pompes funèbres où étaient veillés les manifestants assassinés le 3 janvier àla Bandera par la police municipale du maire Alfredo Peña.

La défaite fut double. Le coup d’État n’a pas fonctionné car l’opposition n’a pas pu renverser le gouvernement comme elle l’avait promis. Et car en utilisant le contrôle qu’elle avait sur PDVSA, elle a aussi perdu ce contrôle dans la foulée. La ’Grève civique nationale active’, malgré l’énorme perte économique qu’elle a causée au pays, a jeté les bases d’un élan rénové du processus de changement. Hier, nous payions des millions de dollars àla CIA pour qu’elle nous surveille de près. Aujourd’hui, après la rupture du contrat avec la société INTESA, nous reprenons peu àpeu le contrôle des systèmes d’information de la première entreprise du pays.

4.- Le coup d’État va se poursuivre dans la mesure où le secteur putschiste de l’opposition gardera sa même direction politique, comme le démontrent les événements d’avril 2002 et ceux de décembre 2002 - février 2003. Ce secteur putschiste, qu’il importe d’isoler pour ce qu’il est, c’est-à-dire un danger, a jeté lui aussi un regard sur les événements. Il n’a besoin de personne pour lui expliquer comment tient un gouvernement qui survit àdeux tentatives de coup d’État en dix mois. Cette opposition se vante de posséder une force électorale écrasante, par laquelle elle pourrait balayer Chávez, mais elle ne mentionne ni même la possibilité d’un référendum révocatoire. Elle veut des élections tout de suite, même anticonstitutionnelles, car elle sait que c’est impossible. Et sur d’éventuelles échéances électorales, celles prévues dans le référendum révocatoire (pourtant envisagé en des termes largement favorables àl’opposition), le secteur putschiste reste muet, car l’opposition devrait s’unir malgré toutes ses divisions, et évite même de fixer position. Les putschistes -finit-on par penser- croient en fait que les forces d’opposition sont minoritaires et qu’il faut récupérer le pouvoir perdu envers et contre tout. Et que les pauvres sont bien plus nombreux que les riches, et qu’une majorité écrasante des pauvres soutient le président Chávez. Que toute issue électorale aurait pour résultat de confirmer l’actuel gouvernement.

Dès lors, dans la logique putschiste, les prochaines élections au Venezuela doivent avoir lieu sans le candidat Chávez. Ce n’est pas un hasard si le chercheur américain James Petra prévoit davantage de déstabilisation pour induire un climat de guerre interne rendant ’nécessaire’, pour ’raison humanitaires’, une intervention militaire de Washington.

Lutter contre ce coup d’État qui n’en finit pas implique, pour le gouvernement et pour le peuple, de faire un grand bond qualitatif.

Des temps de crise nous attendent. Et un des aspects les plus délicats àprendre en compte est la dimension qu’acquiert la situation au Venezuela face àla guerre imminente de M. Bush contre l’Irak. La température sociale tendra àaugmenter. Mais c’est en ces temps de crise que nous devons grandir. Une piste que nous donne l’expérience est qu’il faut sortir chercher les problèmes avant que ceux-ci ne viennent nous chercher.

Un dernier devoir qui s’impose ànous, et dérive des autres que j’ai expliqués ici, est celui de gouverner. Abjurer cette excuse selon laquelle on nous empêche de gouverner. Et gouverner.

Organiser ce qu’il faut organiser et gouverner : vaincre le dengue, éduquer les enfants et les jeunes, créer des emplois, attaquer le problème de la pauvreté extrême, apporter des solutions aux problèmes d’infrastructure, de logement, de services, exécuter pleinement tous les budgets, relancer l’économie, recycler les déchets solides, reboiser, administrer la justice, opérer les appendicites dans les hôpitaux. Bref, gouverner.

Source : Alainet.org, 2003.

Traduction de l’espagnol : Gil B. Lahout.

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