« L’Equateur ne se dirige pas vers une époque de changements mais bien vers un changement d’époque !  » Depuis dimanche, le président Rafael Correa possède toutes les cartes en main pour concrétiser son astucieuse formule. Avec le raz-de-marée électoral de son parti à l’Assemblée constituante, c’est la troisième fois en moins d’un an que la population équatorienne exprime sa confiance en ce jeune économiste social-chrétien adepte d’une économie régulée, de redistribution sociale et de démocratie participative.
Réduits à l’état de groupuscules, les partis traditionnels disparaissent donc de concert avec la Constitution de 1998 qui s’était attachée à traduire leur modèle de développement libéral et colonial en termes juridiques. Ferme allié de Washington, l’Equateur avait été jusqu’à abandonner sa propre monnaie pour le dollar. Comme un symbole du renoncement à toute souveraineté.
Mais au-delà du vote sanction, la victoire d’Acuerdo PaÃs porte aussi l’empreinte de ce surprenant Rafael Correa. A la tête de l’Etat depuis huit mois, cet ancien fonctionnaire du ministère de l’Économie démontre un réel sens politique. Conscient du profond désir de rénovation des Equatoriens, Rafael Correa a poursuivi sur l’élan de son élection et, jouant du plébiscite populaire, il est parvenu à marginaliser sans trop de peine l’ancienne élite politico-économique du pays.
Cette stratégie de l’affrontement était périlleuse mais réaliste : qui pouvait imaginer que les magnats de la banque et autres géants bananiers allaient se laisser dépouiller de leur pouvoir politique sans réagir ? Alors, autant s’y frotter en position de force et ne pas céder le moindre pouce de terrain...
Soucieux de ne pas répéter les erreurs d’Evo Morales en Bolivie, M. Correa a parfaitement balisé le terrain de l’Assemblée constituante. Disposant d’une majorité suffisante, d’un canevas constitutionnel commandé à des universitaires et d’un cadre réglementaire précis, les constituants pourraient terminer leur travail avant mai 2008, de façon à éviter l’enlisement et la déception populaire qui pointe déjà en Bolivie.
En complément aux politiques économiques et sociales du gouvernement, l’Assemblée constituante dispose donc de six petits mois pour redéfinir une sphère publique inclusive et égalitaire. Les deux nouveautés institutionnelles testées lors de ce scrutin vont dans la bonne direction : dimanche, pour la première fois en Equateur, un candidat sur deux était une femme ! Quant à la propagande politique, elle a été sévèrement réglementée durant toute la campagne : chaque parti a disposé exactement du même espace et du même temps de parole... Un exemple de démocratie à méditer.
Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch), Genève, 2 octobre 2007.