Lors d’une allocution publique, au début du mois de décembre 2006, le président colombien Alvaro Uribe a demandé que toute personne ayant des liens avec les groupes paramilitaires d’extrême droite, ou qui leur aurait apporté de l’aide, à l’intérieur ou à l’extérieur des institutions publiques, le confesse publiquement devant le pays.
Cette demande a été formulée par le président Uribe au milieu d’un scandale politique qualifié par des opposants et des partisans du gouvernement comme l’affaire de corruption politique la plus grave dans l’histoire récente de la Colombie et à laquelle l’opinion publique a donné le nom de « para-politique  ». Dans cette affaire, ont été dénoncés la participation d’au moins une dizaine de membres du Congrès et d’autres élus publics, comme des gouverneurs et des maires, à la formation, au financement, au soutien logistique et à la conduite d’organisations paramilitaires d’extrême droite, accusées de commettre des massacres, des assassinats sélectifs, des déplacements forcés, des appropriations de fonds publics destinés à la santé et à l’éducation dans les régions ainsi que toute une série de crimes en rapport avec les agissements de ces armées privées.
Deux semaines après la demande du président, une lettre signée par 18 000 Colombiens - éleveurs, commerçants, industriels, chefs d’entreprise, transporteurs et dirigeants politiques - a été rendue publique. Ils avouent, dans celle-ci, avoir participé à la formation et au financement des groupes paramilitaires d’extrême droite. Les signataires de la lettre habitent la région du Bajo Cauca antioqueño [sous-région du département d’Antioquia, ndlr], dans le nord-ouest de la Colombie, des zones de terres riches, avec beaucoup de forêts au bois exploitable, de mines d’or, d’élevages, de monocultures industrielles comme le palmier à huile et les bananeraies.
Les auteurs de ces aveux publics expliquent que, durant les années 1980, des groupes de guérilleros se sont présentés dans la région en menaçant les activités commerciales agricoles au moyen d’extorsions, d’enlèvements et d’assassinats. C’est donc en réaction, soutiennent les signataires, et en l’absence de l’Etat et de sa force publique, qu’ils ont soutenu la formation d’armées privées, lesquelles ont mené des opérations dans les départements d’Antioquia, de Córdoba et de Sucre, sur la côte nord du pays, pendant 25 ans.
L’une des premières voix entendues, après la confession publique massive de soutien au paramilitarisme colombien, a été celle du gouverneur du département d’Antioquia, AnÃbal Gaviria. Ce dernier a déclaré que « [la confession publique] ne peut pas se transformer en stimulant de l’impunité  », anticipant ce qui pourrait arriver après l’enquête sur les quelque 50 leaders paramilitaires détenus et après l’application dans leur cas de la très controversée Loi de justice et paix [1], créée tout spécialement pour ce processus [de démobilisation des paramilitaires, ndlr] [2] et qui prévoit des peines qui vont de cinq à huit ans pour ceux qui se reconnaissent comme paramilitaires.
Selon le gouverneur AnÃbal Gaviria, Antioquia a été le département le plus actif dans ledit « processus de paix avec les paramilitaires  » qui a marqué les quatre années de gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez [son premier mandat, 2002-2006, ndlr]. Les statistiques fournies par le gouvernement départemental montrent que 40% du total des paramilitaires qui ont participé à ce processus à l’échelle nationale se sont démobilisés dans l’Antioquia, soit 18 000 personnes. Mais c’est également dans ce département, admet le gouverneur, que de nouveaux groupes de paramilitaires se sont formés, à la tête de ceux qui ne se sont jamais démobilisés ou bien avec des démobilisés qui considèrent que le gouvernement n’applique pas les conditions qui leur avaient été offertes lors des négociations de Sante Fe de Ralito [3] ; des accords dont les détails sont inconnus de l’opinion publique.
Les menaces de ces nouveaux paramilitaires font déjà leur première victimes officielles : le Defensor del Pueblo [4] de la région de l’Urabá, zone bananière à l’extrême nord-ouest du département d’Antioquia, a abandonné son poste et son domicile en raison d’une campagne visant à l’assassiner. Le gouverneur d’Antioquia, lui-même, admet que dans toute cette situation, le vrai moteur qui dynamise les assassinats, les pillages, les déplacements et la désinstitutionalisation est sous-jacent. Il s’agit du narcotrafic et de ses grands profits financiers.
Pour AnÃbal Gaviria, ces nouveaux groupes gèrent la production de cocaïne dans la région et son transport vers l’étranger par les côtes des départements d’Antioquia, de Córdoba et de Sucre.
Mais, pendant que les signataires de la lettre d’aveu tentent de légitimer la formation de groupes paramilitaires d’extrême droite par la menace sur leurs biens et leur vie que représente, pour eux, la guérilla, l’affrontement direct entre paramilitaires et guérillas - deux armées irrégulières - n’est pas ce qui caractérise le plus le conflit dans cette zone du pays. Selon des organisations comme la ConsejerÃa para los Derechos Humanos el Desplazamiento (CODHES), la violence paramilitaire dans le Bas Cauca antioqueño s’est caractérisée par des massacres de paysans, de leaders civils, sociaux et politiques, d’instituteurs et de professeurs, d’étudiants et de travailleurs syndiqués.
Dans l’Antioquia - le département qui apporte le plus en hommes et en ressources au paramilitarisme, selon le gouverneur AnÃbal Gaviria -, la dynamique de la guerre a été différente : tueurs à gage, assassinats sélectifs dans les villes, massacres et déplacements forcés dans les campagnes qui frappent les paysans et les ouvriers agricoles accusés de soutenir logistiquement et idéologiquement les guérillas.
Les grandes armées bien équipées que nous avons vues défiler devant les médias lors des démobilisations massives [de paramilitaires, ndlr] - près de 40 000 hommes selon le Programme pour la réinsertion de la Présidence de la République, contre 16 000 guérilleros reconnus par les services de renseignement militaire - ne semblent n’avoir joué qu’un rôle coà »teux et passif dans le conflit.
De son côté, Germán Mendoza Diago, le Vice-procureur général de la Nation, a annoncé que le parquet allait ouvrir une enquête préliminaire pour établir quel type d’aide a été apportée par les 18 000 signataires de la confession publique aux paramilitaires qui ont opéré dans le Bas Cauca antioqueño et dans trois départements du nord du pays.
Pour le haut fonctionnaire de la justice, il est nécessaire d’établir clairement de quelle façon ce soutien au paramilitarisme a déterminé les massacres, les déplacements forcés, les vols de biens et les homicides sélectifs d’opposants au gouvernement dans l’une des régions les plus riches et les plus disputées du territoire colombien, sous lequel gît, comme un trésor maudit et silencieux, le business de la production et de l’exportation de la cocaïne.
[1] [NDLR] Le 21 juin 2005, la Chambre des députés colombienne approuvait, après un an de discussion, la très controversée Loi de justice et paix. Celle-ci doit fournir un cadre légal à la démobilisation des paramilitaires (extrême droite). Elle est considérée par ses détracteurs, dont la Commission colombienne de juristes, qui dispose d’un statut consultatif à l’ONU, comme une « loi d’impunité  ».
[2] [NDLR] En décembre 2002, un cessez-le-feu (non respecté) a été déclaré entre le gouvernement colombien et les paramilitaires (Autodéfenses unies de Colombie) afin de mener à bien un très contesté processus de « paix  » et de « démobilisation  » des forces d’extrême droite. La démobilisation a pris fin en avril 2006 selon le gouvernement. Plus de 30.000 combattants auraient rendu leurs armes.
[3] [NDLR] Santa Fe de Ralito est la zone où ont résidé de nombreux leaders des Autodéfenses unies de Colombie, les paramilitaires d’extrême droite, dans le cadre du processus de dialogue avec le gouvernement.
[4] [NDLR] La Defensoria del Pueblo est une institution de l’Etat chargée de surveiller le respect des droits humains et de défendre les citoyens.
Source : TeleSur (http://www.telesurtv.net/), janvier 2007.
Traduction : Numancia MartÃnez Poggi. Traduction revue par l’équipe du RISAL.