Le biodiesel de palmier àhuile en Colombie
par Tatiano Roa
Article publié le 8 mars 2007

Le monde occidental, les pays du Nord en particulier, s’est rendu dépendant des énergies fossiles, provoquant quelque chose que personne aujourd’hui ne met plus en doute : le changement climatique. Beaucoup de solutions ont été proposées pour y faire face, mais peu d’entre elles s’opposent àla conduite suicidaire de l’humanité.

Les mégaprojets de biocombustibles sont une des propositions. Ceux qui les ont présentés comme une option viable ont-ils mesuré les conséquences qu’ils pourraient avoir pour des écosystèmes de grande valeur, des peuples et des cultures ? Le présent article décrit d’abord les étapes qui ont frayé le chemin àde tels projets, pour examiner ensuite les implications qu’a eues la plantation de palmier àhuile, ou palmier africain, d’où l’on extrait un des biocombustibles qu’il est prévu de produire.

Les biocombustibles ne sont pas nouveaux : brièvement, disons que lors de la crise énergétique de 1973, le Brésil a transformé une partie de ses raffineries de sucre pour produire de l’éthanol, devenant ainsi le premier pays exportateur de ce produit. Aujourd’hui, la Colombie veut suivre son exemple et devenir un grand producteur de bioéthanol et de biodiesel.

Au niveau légal

En 2001, l’adoption de la loi 693, que la loi 939 est venue compléter en 2004, a ouvert la voie àla production de biocarburants. La loi 693 stipule que l’essence colombienne devra contenir 10% d’éthanol en 2009, et que ce taux devra augmenter graduellement jusqu’àatteindre 25 % dans un délai de 15 à20 ans. Quant àla loi 939 de 2004, elle encourage la production et la commercialisation de biodiesel, mélangé àdu gazole à5 %.

Depuis la fin 2005, la production des raffineries de sucre Cauca, Providencia, Manuelita et Mayagüez (toutes situées dans le département de Valle del Cauca), plus celle de la raffinerie Risaralda, totalise près d’un million de litres de bioéthanol par jour, destinés àsatisfaire la demande de l’ouest du pays et de la Savane de Bogotá. D’autre part, on parle de la construction de 27 usines, éparpillées dans 17 départements du pays, pour étendre le mélange d’essence et de 10 % d’éthanol àtout le territoire colombien. D’après les projections de la Fédération nationale des combustibles, pour doubler la consommation intérieure d’ici à2010, il suffirait de porter à15 % le taux d’éthanol du mélange. À cette date-là, la Colombie aura une capacité d’exportation estimée à2 300 000 litres d’éthanol par jour.

Le palmier pour le biodiesel

Une législation semblable àcelle que nous avons mentionnée plus haut est en préparation, portant cette fois sur le biodiesel dérivé du palmier africain. Ce que l’on connaît le mieux de cette plante est un autre dérivé, l’huile alimentaire, dont on produit 600 000 tonnes, mais c’est le biodiesel qui nous intéresse dans cet article.

Disons d’abord, avant de mentionner des chiffres, que les grands bénéficiaires des lois sur le bioéthanol et de celle qui se prépare sur le biodiesel sont précisément, dans le premier cas, l’agro-industrie de la canne àsucre de Valle del Cauca, un département situé àl’ouest du pays dont nous avons mentionné les raffineries, et, dans le deuxième cas, l’agro-industrie de palmier àhuile.

La consommation de gazole pour le transport automoteur dans le pays augmente plus vite que celle de l’essence et dépasse la capacité de production d’Ecopetrol (l’entreprise pétrolière nationale), de sorte qu’il faut importer 5 % du total du gazole consommé. Une opportunité s’ouvre ainsi pour les agro-industriels du palmier àhuile, qui ont augmenté année après année l’étendue de leurs plantations.

Croissance et marché

En Colombie, l’expansion de cette culture s’est faite àun rythme soutenu. Vers le milieu des années 60, il y avait 18 000 hectares en production. En 2003, plus de 188 000 et, àl’heure actuelle, les plantations couvrent environ 300 000 hectares. En outre, sept usines sont en train d’être construites, àun coà»t approximatif de 100 millions de dollars, dans différentes régions productrices de palmiers du pays. D’après la corporation colombienne des palmiculteurs, Fedepalma, en 2001, la Colombie était déjàle principal producteur d’huile de palme d’Amérique et le quatrième du monde, après l’Indonésie, la Malaisie et le Nigeria. 35% de cette production est exportée.

Cependant, plusieurs études économiques considèrent les marchés internationaux comme très incertains, du fait que la production mondiale augmente chaque jour et que les prix restent bas. Pourtant, les projets agro-industriels de palmiers ont été une priorité du gouvernement actuel, qui les encourage surtout dans les régions du Pacifique colombien, les plaines de l’est et la région Caraïbe, dont les caractéristiques les rendent particulièrement aptes au développement de cette culture. L’objectif est d’atteindre le million d’hectares en quelques années.

Ce qu’il y a au-delà

Des spécialistes de ce développement agro-industriel ont dénoncé que ces cultures ont été utilisées pour le blanchiment d’argent du trafic de drogue et comme mécanisme des paramilitaires pour forcer la population àse déplacer, puisque son objectif est de s’approprier de régions riches et importantes. Leur stratégie a consisté àdéplacer les gens et, une fois les terres abandonnées, àpermettre aux entreprises de palmiculture de les occuper. Les municipalités de Jiguamiandó et Curvaradó, dans la région du Pacifique, en sont des exemples éclatants : la société Urapalma a occupé illégalement ces territoires afrocolombiens.

Ces communautés de la région du Chocó ont reçu les titres de leurs terres en novembre 2000, 9 années après la reconnaissance par la Constitution nationale des droits territoriaux des communautés noires et indigènes et après des violations réitérées de leurs droits humains. Les titres ont été octroyés alors que les populations étaient encore « déplacées  ». À leur retour, elles ont trouvé leur territoire occupé par des plantations de palmier àhuile. Elles ont dà» porter l’affaire en justice pour récupérer leurs territoires, au cours d’un long processus entaché de graves irrégularités destinées àfaire pencher la balance en faveur des entreprises.

Répliques au sud

Quelque chose de semblable arrive dans la région de Tumaco (dans le sud de la Colombie, àla frontière avec l’Équateur). Les communautés ont subi aussi le déplacement forcé et les menaces. Les entreprises, ou l’État lui-même, proposent aux membres des conseils communautaires comme alternative pour rester sur leur territoire de devenir des « entrepreneurs du secteur rural  ». Autrement dit, on les oblige àparticiper àdes alliances ou àdes chaînes de production avec des entreprises palmicoles. C’est ainsi que les territoires qui avant étaient des forêts humides se sont transformés peu àpeu en monocultures de palmier àhuile, de sorte que des régions parmi les plus riches en diversité de la planète sont détruites et les communautés noires dépouillées de leur territoire et de leur culture.

En juin dernier, lors du congrès de Fedepalma àVillavicencio, le président Uribe a dit ce qui suit :

« [...] Je prierais [le ministre de l’Agriculture] de mettre en quarantaine les hommes d’affaires de Tumaco et les compatriotes d’origine africaine, et de ne pas les laisser quitter le bureau, de les laisser enfermés jusqu’àce qu’ils arrivent àun accord. C’est ainsi que cela doit être... Enfermez-les et dites-leur que l’État va y contribuer, qu’il faut qu’ils arrivent àun accord sur l’utilisation des terres et que le gouvernement apportera le capital àrisque. Proposez-leur une date et dites-leur : messieurs, nous nous déclarons en conclave et nous ne sortons pas d’ici tant que nous ne serons pas parvenus àun accord [...] Car il faut reconnaître le bon et le mauvais, dans le Meta et le Casanare et bientôt dans le Guaviare, le palmier pousse extraordinairement bien, mais pas àTumaco. Et pourtant, àTumaco, il y a la route, il y a, un peu plus au nord, la région de Guapi, il y a El Charco, où les conditions sont excellentes mais où il n’y a pas un seul palmier, rien que de la coca qu’il faut éradiquer [...].  »

Ces déclarations ont mis en colère les communautés noires, qui ont répondu avec force au président de la République :

« Si ce palmier àhuile est votre mégaprojet pilote, Monsieur le Président, il ne l’est pas sur nos territoires ethniques. Pire encore : s’il l’était, il entraînerait des dégâts écologiques, sociaux et culturels très graves. Nous l’affirmons en nous fondant sur ce que nous avons vécu depuis la fin des années 60 et jusqu’àaujourd’hui : cela fait plus de 35 ans que nous subissons les impacts de plus de 20 000 hectares de plantation forcée de cette ‘Plantación Adentro Camará’ [1], et qui continuent de s’étendre de manière violente sur nos territoires collectifs.  » [2]

Avec les propositions de production de biodiesel, les entreprises palmicoles et leurs promoteurs ont maintenant de nouveaux motifs pour continuer àcroître. Et pourtant, les histoires des plantations sont douloureuses. Elles sont tachées du sang et des larmes des communautés noires et paysannes du Pacifique, du Magdalena Medio, de la région Caraïbe colombienne. C’est l’histoire silencieuse des forêts disparues pour devenir des plantations. C’est l’histoire des cultures ancestrales transformées en prolétariats ruraux. Ce sont ces voix qui réclament l’arrêt de la destruction que proposent les défenseurs du biodiesel.

Sources :

— Defensoría del Pueblo. Resolución Defensorial. N° 39 de 2005.

— El Espectador. “Ley de tierras podría prestarse al lavado de activos”, octubre 21 de 2006.

— Gestión del Instituto Colombiano de Desarrollo Rural (Incoder), agosto de 2006.

— Salinas, Yamile, los vericuetos de la palma aceitera, Abdala Friday, Nov. 10, 2006.

— Procuraduría General de la Nación. “Análisis de la ejecución de la Reforma Agraria y la Gestión del Instituto Colombiano de Desarrollo Rural (Incoder)”, agosto de 2006.

Sites visités :

— Revue Semillas, www.semillas.org.co

— Fedepalma. www.fedepalma.org

Notes :

[1[NDLR] ‘Plantación Adentro Camará’ fait référence àune chanson populaire ‘Plantación Adentro’, écrite par Tite Curet Alonso et chantée par Ruben Blades.

[2Lettre adressée au Président de la République par les autorités ethniques et territoriales et les représentants légaux des Conseils des communautés noires du territoire ethnique de Kurrulao, situé dans la région du Pacifique Sud de la Colombie.

Source : Censat Agua Viva (www.censat.org) ; et Bulletin mensuel du Mouvement mondial pour les forêts (WRM, World Rainforest Movement), n°112, novembre 2006 - Site Internet : http://www.wrm.org.uy.

Traduction : World Rainforest Movement. Revue par l’équipe du RISAL.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
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