Les biocarburants : une grave menace masquée de vert
Article publié le 8 mars 2007

L’idée de remplacer les carburants d’origine fossile par des biocarburants (produits àpartir de la biomasse végétale) peut paraître un pas dans la bonne direction pour éviter l’aggravation du changement climatique. Pourtant, non seulement les plans pour leur production et leur utilisation ne sont pas la solution de ce problème mais ils en aggravent bien d’autres.

Les biocarburants que l’on propose d’adopter sont le biodiesel (obtenu àpartir des plantes oléagineuses) et l’éthanol (obtenu àpartir de la fermentation de la cellulose contenue dans les végétaux). Parmi les nombreuses cultures qui s’adaptent àcette fin figurent le soja, le maïs, le colza, l’arachide, le tournesol, le palmier àhuile, la canne àsucre, le peuplier et l’eucalyptus.

Étant donné que les grands consommateurs du Nord n’envisagent pas de réduire vraiment leur consommation démesurée de carburants et que, dans la plupart des cas, ils ne disposent pas de terres agricoles suffisantes pour produire la matière première nécessaire àl’élaboration de leurs propres biocarburants, leurs gouvernements et leurs entreprises prévoient d’encourager, surtout dans les pays du Sud, les cultures destinées àla production de biodiesel et d’éthanol.

Il faut souligner que, dans les régions boisées du Sud, une telle politique n’impliquera aucun changement en matière d’exploitation pétrolière ou gazière. Celle-ci va non seulement se poursuivre mais s’élargir, puisque les carburants fossiles continueront d’être l’élément principal de la matrice énergétique des pays du Nord. Par contre, l’affaire des biocarburants ajoutera de nouvelles atteintes àcelles que subissent déjàles forêts.

Le soja et le palmier àhuile, qui semblent être les principaux candidats pour la production de biodiesel àl’échelle industrielle, suffisent àprouver ce qui précède. Le premier est devenu la principale cause de déboisement dans l’Amazonie brésilienne et au Paraguay, même avant que l’on commence àle planter pour produire de l’énergie. Le deuxième est lui aussi la cause principale de déboisement en Indonésie, et commence àporter atteinte aux forêts dans bien d’autres pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

D’autre part, on a déjàcommencé àmettre au point des techniques pour transformer le bois en éthanol (en utilisant des organismes génétiquement modifiés), de sorte que l’industrie des biocarburants poussera àélargir encore les monocultures d’arbres àcroissance rapide, aussi bien dans les zones boisées (ce qui augmentera la déforestation) que dans les régions de prairie.

Autant le déboisement que le changement d’affectation des prairies impliquent la libération du carbone stocké. À cela s’ajoutent les émissions découlant de la culture, le traitement et le transport des biocarburants, qui se font surtout àbase de pétrole et d’autres éléments émetteurs de gaz àeffet de serre : la fabrication des machines utilisées, le carburant utilisé pour les faire fonctionner, la production et l’utilisation d’engrais et de produits agrochimiques toxiques, les camions et les bateaux pour les transporter jusqu’àdestination, etc. Autrement dit, le bilan net du carbone dans les zones consacrées àla production de biocarburants risque même d’être négatif, augmentant ainsi la concentration de gaz àeffet de serre dans l’atmosphère ; or, c’est précisément cela que l’on prétend éviter.

En définitive, non seulement l’utilisation de biocarburants ne résout pas le problème du changement climatique mais elle implique d’aggraver encore d’autres problèmes également graves.

En effet, des dizaines ou des centaines de millions d’hectares de terres fertiles seront concentrées dans les mains de grandes transnationales et passeront de la production d’aliments àla production de carburants... dans un monde où la faim et la malnutrition sont des problèmes très graves. Au cours du même processus, des millions de producteurs ruraux et de petits agriculteurs seront expulsés et devront émigrer vers les ceintures de misère des grandes villes. Les forêts cesseront d’assurer la subsistance de millions de personnes qui en dépendent, pour être remplacées par du soja, des palmiers àhuile ou d’autres cultures énergétiques. L’eau sera contaminée (par suite de l’utilisation de produits agrochimiques) ou disparaîtra (par suite de la plantation d’arbres àcroissance rapide) ; la faune locale sera gravement affectée par d’énormes déserts verts qui ne lui fourniront pas de nourriture ; la flore indigène disparaîtra, remplacée par de vastes monocultures, et de nombreuses espèces seront contaminées par les organismes génétiquement modifiés qui y seront utilisés, tandis que la monoculture et l’usage de produits chimiques dégradera les sols.

Il est donc évident que cette solution n’est pas la bonne, ni pour les gens ni pour l’environnement. Pourtant, il s’agit d’une excellente opportunité d’affaires pour de grandes entreprises qui opèrent au plan national et, surtout, pour les transnationales : celles du secteur de production et de commercialisation de produits agricoles pour l’exportation, les industries biotechnologique et chimique (qui augmenteront leurs ventes de matériel transgénique et de fournitures agricoles), l’industrie automobile (qui pourra continuer de se développer sous une couverture « verte  »), les nouvelles entreprises apparues sur le sillage des biocarburants et les sociétés pétrolières elles-mêmes, qui sont déjàen train de se joindre àcette nouvelle affaire lucrative.

C’est la raison pour laquelle tant de gouvernements, d’organismes d’aide, d’agences bilatérales ou multilatérales et d’experts internationaux concourent àpromouvoir une solution aussi absurde : pour servir les intérêts de ces groupes économiques puissants qui sont ceux qui dictent les politiques mondiales et les tournent àleur profit.

Il faut pourtant préciser que le problème ne réside pas dans les biocarburants eux-mêmes. Au contraire : dans une approche appropriée pour la société et l’environnement, ils peuvent servir àsatisfaire une partie des besoins énergétiques de nos pays et surtout ceux des populations locales. Le problème réside dans le modèle dans lequel ils s’insèrent, qui comporte la production àgrande échelle, la monoculture, l’usage massif de fournitures extérieures, l’utilisation de transgéniques, la mécanisation et l’exportation pour alimenter la consommation démesurée d’énergie dans le Nord.

Il est donc impérieux de faire face àcette nouvelle menace qui plane sur les peuples et les écosystèmes du Sud, et intégrer la question des biocarburants àla lutte pour la défense des forêts et de la diversité biologique, contre l’avancée des monocultures et des transgéniques, pour la souveraineté alimentaire et pour le droit des peuples àchoisir leur propre destinée.

Source : Bulletin mensuel du Mouvement mondial pour les forêts (WRM, World Rainforest Movement), n°112, novembre 2006 - Site Internet : http://www.wrm.org.uy.

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