« Commandant en chef, à vos ordres !  » . La consigne de la crise des missiles de 1962 est toujours en vigueur. Cependant, ni Cuba, ni le monde ne sont les mêmes qu’à cette époque de Guerre froide et d’enthousiasme débordant devant une révolution qui faisait ses premiers pas. 48 ans après cette geste, la « génération héroïque  » s’éteint peu à peu et les nouvelles portées et les imaginaires et valeurs de la société sont très différents de ceux de 1959.
La maladie et la retraite « temporaire  » de Fidel Castro - annoncée le 31 juillet 2006 à cause d’une grave affection gastrique - ont été assimilées avec calme par les Cubains. L’évolution de son état de santé est couverte comme un secret d’Etat [1] et le peu d’information vient d’austères annonces de son frère, vice-président et successeur constitutionnel, Raúl Castro : « Fidel est au courant de tout et va un peu mieux chaque jour  » (08-02-07), ou du Venezuela, d’où proviennent des bilans de santé donnés par Hugo Chávez ou des interventions du leader cubain dans l’émission Aló Presidente [l’émission télévisée dominicale de Chavez, ndlr]. A La Havane, peu s’aventurent à élaborer des scénarios et les Cubains sont partagés entre la résignation de perdre celui qui les a gouvernés pendant presque cinq décennies et l’espoir de revoir dans son bureau du Palais de la Révolution le chef socialiste de 80 ans.
Economie « de services  »
Le dynamisme actuel de la capitale cubaine contraste avec les jours noirs de la « période spéciale en temps de paix  » qui a suivi la disparition de l’URSS et provoqué la chute du Produit Intérieur Brut (PIB) de 35% en seulement quatre ans, au milieu d’un embargo-blocus des Etats-Unis qui dure depuis déjà presque un demi siècle. Cela se remarque dans les rues : on voit peu de bicyclettes, il n’y a pas de coupures d’électricité et la « révolution énergétique  » a impulsé le changement, organisé maison par maison, des vétustes appareils électroménagers russes par des chinois, de moindre consommation. Cuba produit aujourd’hui environ 50% de sa consommation de pétrole, extrait en association avec des entreprises étrangères, alors qu’elle en importait presque 100% au début des années 90. Le déficit est couvert avec les 100 000 barils quotidiens envoyés par le Venezuela bolivarien, dans le cadre d’un accord de coopération, signé en octobre 2000, qui donne un délai de paiement de 15 ans avec un taux d’intérêts annuel de 2%.
Un des plus grands déficits est le transport en commun : ceux qui n’ont pas de voiture ni d’argent pour un taxi, l’énorme majorité, doivent s’entasser dans des autobus ou « chameaux  » - une sorte de remorque avec de la place pour 300 personnes - dont la fréquence est faible pour une ville de plus de deux millions d’habitants. Ce manque chronique de transport - qu’on essaie maintenant de pallier avec des bus chinois - est en train de faire échouer la campagne pour augmenter la discipline au travail, commencée en janvier de cette année. « Nous faisons comme si nous travaillions et l’Etat fait comme s’il nous payait  », dit un des dictons qui traduisent les aspects les plus difficiles de la vie quotidienne dans un humour populaire acide. Qui, dans ce cas, soulève un autre problème des Cubains : tandis que l’Etat paie en pesos « monnaie nationale  » - le salaire minimum que touchent 1,2 million de travailleurs est de 225 pesos, environ 12 dollars - on trouve de plus en plus de produits en pesos convertibles ou CUC, équivalents à 1,20 dollar. [2]
Au cours des dernières années, les Forces Armées Révolutionnaires (FAR) ont assumé un rôle sans précédent dans la gestion de l’économie de l’île, avec l’objectif de la mettre en ordre à temps pour obtenir des fonds pour leur propre équipement défensif après la fin des subventions et de l’aide soviétiques. Les militaires sont très présents dans des secteurs comme le tourisme, l’agriculture et l’élevage, le tabac, le sucre, les services d’importation et d’exportation, les télécommunications, la construction et les zones franches. Environ 30% des entreprises cubaines et plus de 60% des devises qui entrent dans le pays sont sous le contrôle des FAR, notamment des généraux formés au Groupe d’administration des entreprises dépendant du ministère des FAR (MINFAR) [3]. Ainsi, à la tête des grandes entreprises figurent depuis d’anciens commandants de l’Armée rebelle jusqu’à de jeunes officiers qui ont acquis une formation économique dans des écoles de gestion européennes [4]. « Si nous voulons que l’ensemble de l’économie fonctionne mieux, il s’agit de faire entrer plus d’entreprises dans le système  », s’enthousiasme le colonel Armando Pérez Betancourt, responsable du système de perfectionnement des entreprises. Il dit qu’il s’agit de combiner « l’organisation capitaliste avec les principes socialistes  », ce qui n’empêche pas que les analystes libéraux voient dans les militaires les « pionniers du capitalisme cubain  » [5].
Selon les indicateurs officiels - une méthodologie propre qui intègre des variables sociales -, l’économie a crà » de 12,5% en 2006. Avec la méthodologie internationale, le chiffre est inférieur, de l’ordre de 7%, selon les calculs de plusieurs économistes. Dans tous les cas, un résultat excellent qui s’explique, dans une large mesure, par les accords économiques avec le Venezuela et la Chine, les prix élevés du nickel et du cobalt que Cuba exporte, le tourisme et les envois d’argent des émigrants. Le talon d’Achille du modèle est que la croissance n’inclut pas l’industrie - qui pendant le « quinquennat doré  » 1976-1980 était le paradigme du développement - ni l’agriculture, qui continue son déclin. « A cette époque, Cuba produisait même des biens d’équipement de l’agro-industrie, 95% des pièces des machines pour l’industrie sucrière et 100% des cueilleuses de canne à sucre étaient de fabrication nationale  », dit Pedro Monreal, chargé du Centre de recherches économiques international (CIEI, Centro de Investigaciones Económicas Internacional) à l’Université de La Havane. Monreal apporte deux données supplémentaires : un tiers de la terre cultivable n’est pas semée et Cuba importe 50% des aliments qu’elle consomme. Son importante flotte de pêche n’est plus qu’un souvenir et le poisson est devenu un bien de luxe, de même que la viande bovine. Le tourisme, planche de salut face à la chute du bloc socialiste, a atteint un plafond tant dans le nombre de visiteurs (2,2 millions en 2006 ; 3,6% de moins qu’en 2005), que dans son effet démultiplicateur sur les autres industries, comme la construction. La grande nouveauté est l’exportation de médecins et d’enseignants, ce qui explique pourquoi le discours officiel prédominant vante la condition de Cuba comme une « économie de services  ». Non sans raison : ils équivalent à 76% du PIB [6].
« Le problème est que c’est une économie déstructurée, sans base productive, avec un talon d’Achille au niveau alimentaire : le principal ennemi de la révolution, c’est la pénurie de produits de première nécessité sur les marchés libres  », signale Monreal.
L’existence de deux monnaies -de cohabitation tendue - engendre de fortes inégalités entre ceux qui réussissent à accéder au « peso fort  » pourvu par le tourisme, les entreprises mixtes et les envois de l’extérieur et ceux qui doivent se contenter de ce que fournit la « partie socialiste  » de l’économie : services de gaz, d’éclairage et de téléphone à prix subventionné, santé et éducation gratuites et un carnet de rationnement avec des biens de base qui durent une ou deux semaines, ce qui ne serait pas rien dans les pays des Caraïbes et d’Amérique latine, mais qui est un recul par rapport aux niveaux de vie cubains des années 70 et 80.
De là est né un autre dicton populaire : « Il faut avoir foi dans le socialisme  ». Sauf qu’il ne s’agit pas de l’esprit mais des proches à l’étranger pour accéder aux devises convoitées que le gouvernement reçoit et en échange desquelles il délivre des pesos convertibles. Les études indiquent que si depuis les débuts de la Révolution cubaine l’émigration avait eu un composant politique notable, à partir de la décennie des années 90 elle a commencé à jouer un rôle économique croissant, tant par les remises (remesas) des émigrés permanents, envoyées principalement depuis les Etats-Unis, que par l’ « exportation de médecins  » - plus de 20 000 sont au Venezuela -non plus seulement avec la finalité internationaliste d’autrefois, mais avec l’objectif de générer les devises dont a besoin l’économie, en plus d’être une source de revenus en dollars pour les médecins eux-mêmes.
Inégalités et marché noir
Les CUC ont un destin : le « chopin  » (pour shopping) ; des magasins en tout genre, des kiosques aux salons de coiffure ou restaurants, à des prix presque européens. « Le CUC est une monnaie fantôme, l’État - qui emploie presque 80% de la population - paie en pesos cubains mais de plus en plus de produits sont vendus en CUC  », dit un Havanais d’environ 35 ans qui vient de commencer à travailler sur une ligne aérienne internationale, mais qui utilise sa voiture comme taxi pendant son temps libre. Le gouvernement argue que les prix élevés sur le marché libre - imputés de taxes élevées - servent à subventionner ceux qui ne peuvent pas accéder à la monnaie convertible. Ils disent même qu’interdire la circulation du CUC serait une mesure impopulaire pour ceux qui n’en ont pas et qui aspirent à en avoir. Certaines estimations indiquent que le carnet de rationnement fournit environ 50% des aliments, le marché libre en monnaie nationale 25% et le marché libre en CUC les 25% restant. « Les Cubains inventent des façons d’obtenir des CUC  », dit le chauffeur d’un « cocotaxi  » - scooter qui transporte deux passagers, propriété de l’État- qui parcourt tous les jours le Malecón havanais. Et parmi les « inventions  » figure en premier lieu la corruption massive, à plus ou moins grande échelle, qui émerge par tous les pores de l’économie planifiée et a amené Fidel à prévenir en novembre 2005, que « ce pays et cette révolution peuvent s’autodétruire  ».
Avant de tomber malade, le président cubain a organisé des groupes de « travailleurs sociaux  » très jeunes qu’il a mis à contrôler les stations service, où de grandes quantités de combustible étaient détournées vers le marché noir. Il y avait même des stations service illégales chez des particuliers...
La décision a été prise dans le cadre de la « bataille des idées  » et à la suite d’une étude qui a démontré que beaucoup de jeunes ne travaillaient et n’étudiaient pas et que l’université conservait une logique élitiste qui les laissait sur le côté. Ainsi, des milliers de Cubains de 18 ou 19 ans sont devenus des travailleurs sociaux, avec un an de préparation en sociologie, psychologie, histoire et pas mal de politique [7]. Selon Celia Hart - fille du dirigeant historique Armando Hart et sympathisante de la critique de Léon Trotsky de la bureaucratie -, les travailleurs sociaux sont une sorte de « parti de Fidel, sans médiation avec le Parti Communiste Cubain (PCC)  ».
Une autre des alternatives pour les jeunes qui n’ont pas eu accès aux salles universitaires est de s’inscrire comme enseignants « émergents  » - avec moins de formation que les vieux enseignants et en charge de toutes les matières - dont le but est de couvrir le déficit provoqué par la désertion de nombreux professionnels vers l’économie du CUC. Mais cette formule est en train de remettre en cause une des plus grandes fiertés de la révolution : la qualité éducative. « Moi j’ai prévenu verbalement que je donnais des cours et, en peu de temps, 20 élèves m’ont appelée  », raconte une travailleuse du ministère de la Culture dotée d’un diplôme universitaire.
Les « inventions  » - de la prostitution au commerce de produits volés - sont visibles et tolérés en grande mesure. Aux portes de divers magasins, comme ceux de matériaux de construction ou de pièces détachées pour les voitures, des groupes de jeunes proposent aux acheteurs potentiels « le même produit, mais moins cher  ». Ce sont en effet les mêmes produits, détournés vers le marché noir. Par exemple, il est relativement facile d’obtenir les fameux cigares Cohiba à un prix quatre fois inférieur. C’est là aussi qu’on trouve les décodeurs pour voir la télévision satellite et, surtout, les feuilletons que passe le canal 23 de Miami, qui a plus de succès que la propagande contre-révolutionnaire. « Un voisin se connecte et vend le service au reste du bloc, qui est obligé de voir la chaîne que met le propriétaire de l’antenne, lequel choisit normalement en accord avec les goà »ts de la majorité  », explique une universitaire qui a voyagé au Venezuela et en Bolivie dans le cadre de la coopération qui s’est ouverte avec l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA).
Beaucoup sont d’accord sur le caractère systémique des activités illégales, auxquelles certains ajoutent un rôle politique : les Cubains, en étant presque tous « dans quelque chose  », sont obligés de montrer une adhésion permanente aux « valeurs de la révolution  », comme la participation aux marches ou aux taches de quartiers dans le cadre des Comités de Défense de la Révolution (CDR) [8].
Derrière l’écrasante propagande officielle, on peut percevoir des niveaux élevés d’ « évasion  » de la politique, surtout chez les jeunes, nombre d’entre eux étant embarqués dans des expériences musicales en expansion, comme le rap et le reggaeton. En même temps, dans les milieux étatiques de production d’idéologie, on met en place une forte réaffirmation symbolique du nationalisme révolutionnaire au détriment du marxisme-léninisme et du « classisme  » ouvrier qui prédominait fortement dans les années 70 [9]. Les auteurs du Manifeste communiste et le créateur de l’Etat des soviets ne sont pas nommés dans les déclarations officielles, le leader national José Martà est devenu totalement maître de la scène. C’est de cette façon qu’une résistance politique et symbolique efficace a été envisagée après la chute de l’URSS, en lien avec la réalité du monde populaire, où le « fidelisme  » et l’ « anti-yankisme  » continuent d’être la principale source de légitimité de la révolution cubaine. Et c’est aussi un pont avec la « révolution bolivarienne  » au Venezuela, à forte tendance nationale-populaire. La question actuelle est de savoir la part du capital politique personnel de Fidel dont son frère Raúl pourra hériter, installé sur le fort prestige dont bénéficie encore les FAR. Mais avec un leadership charismatique moindre, hors des milieux militaires.
« Forteresse assiégée  »
« L’attitude des Cubains face à la maladie de Fidel est d’attendre. Beaucoup croient que ce n’est pas le moment d’ouvrir des débats pour ne pas laisser de flancs ouverts à l’ennemi  », dit un des participants à la récente « révolution des mails  », un mouvement né d’une réaction de plusieurs personnalités du monde de la culture - comme le Prix national de l’édition Desiderio Navarro - contre l’apparition sur les écrans de télévision de Luis Pavón, directeur du Conseil national de la Culture entre 1971 et 1975. Ces années sont connues sous le nom de « quinquennat gris  » et rappellent la prédominance du réalisme socialiste dans l’art, la persécution des homosexuels et le bâillonnement d’intellectuels. [10] Plusieurs jeunes qui font partie de cette nouvelle expérience sont d’accord pour souligner l’absence d’espaces pour socialiser les débats sur la conjoncture que vit l’île et parlent de l’échec du « socialisme de caserne  ». « Voici une société qui est habituée à ne pas protester pour ses droits, vu que les canaux sont oxydés. Les syndicats, qui sont des appendices des directions des entreprises, ne fonctionnent même pas. N’importe quelle grève est immédiatement considérée comme contre-révolutionnaire  », dit l’un d’eux, qui travaille dans un institut de recherche.
L’information est un des biens rares de l’île et les critères selon lesquels toute révélation sur les problèmes du socialisme cubain « fait le jeu de Miami  » dominent. L’accès à Internet se limite aux hôtels (plus de quatre dollars les quinze minutes) et à quelques entreprises et centres académiques. Selon le gouvernement, c’est dà » au blocus, qui empêche l’accès aux canaux internationaux de fibre optique que fournira prochainement le Venezuela. La chaîne Telesur - dont Cuba est copropriétaire - ne transmet pas plus d’une heure par jour en canal ouvert, dans un résumé édité à l’avance. Parmi les rares espaces de discussion, on compte des revues comme Criterio, Temas ou El Caimán Barbudo, qui abordent des questions autrefois taboues comme l’homosexualité ou la discrimination raciale envers les afro-cubains. Le paradoxe c’est que cette lourdeur médiatique se heurte aux succès mêmes de la révolution : la création d’une société instruite, consommatrice potentielle d’information de haute qualité. D’autre part, la « langue de bois  » prédominante limite sévèrement la crédibilité des médias.
Il y a de plus un fait biologique : la majorité de la population - née après 1959 - n’a non seulement pas connu le Cuba prérévolutionnaire, mais a aussi vécu une grande partie de sa vie dans la crise. Ainsi, dans l’imaginaire collectif, le « socialisme  » est associé à la pénurie économique et aux relations sociales verticales. « Avec les réformes des années 90, chez beaucoup de gens, s’est installée la sensation que le capitalisme fonctionne mieux que le socialisme. La preuve en étaient les petites entreprises privées comme les paladares (restaurants qui ont très peu de tables) ou des activités à compte propre, comme les plombiers, tout cela avec un certain succès en termes monétaires. La même chose s’est passée parmi les dirigeants des secteurs ouverts à l’investissement étranger. Pour eux, le modèle alternatif est déjà inventé : c’est le capitalisme  », explique Monreal. Pour cela, en 2003, le gouvernement est revenu sur ses pas, a éliminé plusieurs des mesures qui ont libéralisé les activités des petits métiers - qui subsistent au marché noir - et a recentralisé la gestion des entreprises.
Dans ce contexte, la transition est un secret d’Etat plus grand encore que la santé de Fidel Castro. La seule chose sà »re est que presque personne n’évoque la possibilité d’une « perestroïka caribéenne  » et que, à la différence de l’URSS et de l’Europe de l’Est, il y a moins de naïveté dans la population en ce qui concerne les effets d’une restauration tout court du capitalisme sur « les conquêtes de la révolution et la dignité nationale  ». Différentes déclarations officielles élogieuses sur le modèle chinois ou vietnamien permettent d’entrevoir qu’une bonne partie de la « nomenklatura  » verrait d’un bon Å“il une combinaison de contrôle politique fort - via le PCC et les FAR - articulé avec des enclaves capitalistes. « Les réformes qu’a faites le camarade Deng Xiaoping en Chine sont très positives pour le peuple chinois. Mais il faut comprendre ces réformes à l’intérieur du contexte de la révolution chinoise... Pour faire des réformes en Chine il faut beaucoup de Chinois. Ce pays avec cette population énorme a des caractéristiques que nous, nous n’avons pas. Leurs traditions et leur mentalité sont très particulières, ils sont très travailleurs, très vaillants. Nous, nous avons ces caractéristiques, mais différemment  », a dit Ricardo Alarcón, président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire [11]. Pour des communistes critiques comme Celia Hart, les processus ouverts au Venezuela et en Bolivie pourraient servir à éviter la voie chinoise. « Les indices de mortalité infantile dans le Cuba du blocus sont plus bas qu’en Chine, qui est une puissance. Le modèle chinois se base sur la surexploitation du travail. Le grand rôle des expériences novatrices comme la vénézuelienne ou la bolivienne est de montrer qu’il y a d’autres chemins, avec une participation populaire  », ajoute-t-elle dans sa maison du quartier de Miramar de La Havane.
Il n’y a pas de doute que Cuba est dans une période de transition. L’incertitude repose sur le fait de savoir si ce sera une transition du socialisme vers le capitalisme ou d’un projet socialiste construit sur le moule de la Guerre froide et de la dépendance de l’Union soviétique - obligée en partie par l’embargo-blocus des Etats-Unis - vers un socialisme construit à partir de la discussion depuis la base. A la différence des années 90, quand Cuba était une « forteresse assiégée  » et que la démocratisation de la vie politique et sociale semblait ouvrir les vannes à un capitalisme triomphant et sauvage, aujourd’hui le changement de climat idéologique et les projets d’intégration latino-américaine comme l’ALBA permettent de penser une transition non catastrophique, dans le cadre de laquelle on pourrait commencer à discuter - de manière plus ouverte - de thèmes comme le rôle du marché, la démocratie, les médias et la participation sociale. Un chercheur du Centre d’études sur l’Amérique (Centro de Estudios sobre América) - qui dépend du comité central du PCC mais comprend aussi quelques intellectuels critiques -, l’explique ainsi dans un récent séminaire de l’Union des Jeunes communistes : « Il est certain que nous sommes toujours une forteresse assiégée, mais c’était José Martà lui-même qui soutenait que même pendant la guerre il faut créer les embryons des institutions démocratiques qui régiront pendant la période de paix.  »
[1] Malgré les commentaires scandalisés de la presse internationale, ce traitement n’est pas différent de celui fait d’autres chefs d’Etat dans la même situation. Par exemple, le cancer dont a souffert le président français François Mitterrand.
[2] [NDLR] « Trois monnaies étaient en circulation à Cuba : le dollar, le peso convertible utilisé dans les magasins spéciaux vendant en dollars au taux de un pour un, et le peso traditionnel utilisé pour le paiement des salaires et le marché interne. Désormais il ne reste que deux monnaies en circulation. (...) Depuis l’automne 2004, les transactions en dollars n’ont plus cours. Le billet vert a été remplacé depuis par le peso convertible (CUC) pour l’ensemble des transactions en espèces sur l’île. Mais ce CUC - qui est paritaire avec le dollar sur l’île -n’est pas convertible à l’extérieur. L’autre peso, le peso usuel, s’échange au taux de 26 pesos pour un dollar et reste encore la monnaie courante pour les salaires. Quant aux entreprises d’État qui détiennent des comptes en pesos convertibles, elles ne peuvent plus les alimenter en cash par des dollars. Il en est de même pour les sociétés commerciales à capitaux 100 % cubains.  »
Extrait de Janette Habel, Le castrisme après Fidel Castro : une répétition générale, RISAL, 29 décembre 2006.
[3] Juan Jesús Aznárez, El ejército controla la economÃa cubana, El PaÃs, Madrid, 11-02-07.
[4] Janette Habel, Le castrisme après Fidel Castro : une répétition générale, RISAL, 29-12-06.
[5] The Economist, 05-08-06, cité par Habel, op. cit.
[6] Granma internacional, La Havane, 18-02-07.
[7] Jean Castillo, La succession à la tête de la révolution sous le sceau de la continuité, Inprecor, France, numéro 523-524, décembre 2006-janvier 2007.
[8] Vincent Bloch, L’imaginaire de la lutte, dans Problèmes d’Amérique Latine, Paris, numéro 61-62, été-automne 2006.
[9] Rafael Rojas, L’idéologie du postcommunisme, Problèmes d’Amérique Latine, Paris, numéro 61-62, été-automne 2006.
[10] [NDLR] Lire à ce propos Arturo Garcia Hernandez, La politique culturelle de Cuba, sans dogmes, ni sectarismes, RISAL, 23 avril 2007.
[11] ClarÃn, Buenos Aires, 12-03-07.
Source : Le Monde diplomatique - El Dipló (http://www.eldiplo.org/), édition du cône Sud, nº 94, avril 2007.
Traduction : Cathie Duval, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net/).