Dans le palais des Miraflores [le palais présidentiel, ndlr], dans les bureaux de direction des grandes entreprises et dans les cafés vénézueliens, tous parlent des changements qui approchent. Le projet de réforme constitutionnelle qu’est en train de préparer le gouvernement d’Hugo Chavez ainsi que les pouvoirs qu’aura le président pour légiférer librement dans les domaines stratégiques pendant un an et demi [1] ont créé un climat d’incertitude. L’opposition craint la possibilité d’une réélection indéfinie et que Chavez continue à concentrer le pouvoir public. Du côté du gouvernement, par contre, on met l’accent sur les réformes de fond, dont l’objectif final est de changer le rapport de forces entre l’Etat et les grandes entreprises, et entre les partis politiques et la société.
Depuis les débuts de son nouveau mandat, le 10 janvier passé, Chavez s’est efforcé de monopoliser la scène politique. A chacune de ces sorties, il a fait une annonce qui a paralysé l’opposition et consterné les marchés : la nationalisation des entreprises de télécommunications et d’électricité les plus importantes du pays, l’occupation de tous les puits pétroliers du delta de l’Orénoque en mai prochain, la réforme constitutionnelle et la demande de super pouvoirs que l’Assemblée Nationale, qui lui est fidèle à cent pour cent, lui a octroyé en seulement quelques semaines. L’opposition, dirigée par son ancien rival électoral et actuel gouverneur du riche état de Zulia, Manuel Rosales, n’a pas su se montrer à la hauteur de l’offensive chaviste. « Chavez est l’unique joueur sur le terrain. Il y a un très grand mécontentement à l’égard de Rosales. Au final, il n’est pas certain qu’il était le leader que l’opposition attendait  », explique à Página 12 Alfred Ramos, directeur du Centre de recherche de politique comparée de l’Université des Andes.
Le gouvernement n’est pas dupe et sait qu’il se trouve dans une situation exceptionnelle. « Nous sommes dans une période de changements radicaux au Venezuela  », affirme le ministre de l’Information et de la Communication, William Lara. Le gouvernement de Chavez avait déjà changé la Constitution en 1999 et avait bénéficié de super pouvoirs - jamais autant que maintenant - à deux occasions. Cependant, jamais il n’a dà » faire face à aussi peu de résistance. « Nous allons approfondir certains changements que nous avions déjà inscrits dans la Constitution de 1999  », affirme Lara en essayant de résumer le sens des futures reformes constitutionnelles.
Selon le gouvernement, il y a deux thèmes centraux qui doivent être approfondis. Tout d’abord, les mécanismes de démocratie directe. « Nous voulons simplifier les procédures pour convoquer un référendum  », donne comme exemple Lara. Ce moyen de contrôle populaire devra être complété par un renforcement du pouvoir du « Pouvoir Citoyen  » (Poder Ciudadano) - une institution créée par la constitution de 1999 - qui, selon Lara, fonctionnerait comme une sorte d’inspection des finances aux mains de la société. Pour le ministre, il s’agit de mettre en oeuvre le principe constitutionnel de la souveraineté populaire. Dans cette logique, le chavisme défend la réélection indéfinie. Seul le peuple peut décider combien de temps doivent gouverner ses leaders, affirment les partisans du gouvernement, sans réussir vraiment à convaincre les opposants et beaucoup d’analystes, qui voient dans ce projet une simple ambition de pouvoir personnel du président. « Le changement fondamental que laissera cette réforme est de type personnel, Chavez veut être habilité pour être candidat de façon indéfinie  », soutient Ramos.
Ledit transfert de pouvoir au peuple inclura aussi le renforcement des conseils communaux, les organismes populaires de base, qui, avec la nouvelle constitution, recevront une portion du budget national pour développer des projets sociaux et d’infrastructures. Comme l’ont soutenu plusieurs membres du gouvernement ces derniers jours, le transfert [de pouvoir] vers le bas est la preuve irréfutable que ni la nouvelle constitution ni les 18 mois de décrets présidentiels déboucheront sur une dictature. Mais les dirigeants de l’opposition vénézuélienne affaiblie ne croient pas au transfert de pouvoir et ne voient les conseils communaux que comme une institution de plus du chavisme. Il y a seulement quelques jours, Rosales, l’ex-candidat unique de l’opposition à la dernière présidentielle, a prévenu que le mur de contention contre le chavisme devait se construire en premier « par en bas  » (les quartiers populaires, les organisations sociales, les clubs).
L’autre axe à approfondir est la participation de l’Etat dans l’économie. Chavez a été clair. L’Etat vénézuélien prendra en charge et sera l’actionnaire majoritaire des entreprises clés pour le développement du pays - télécommunications, électricité, pétrole, gaz - et personne n’écarte l’ajout de nouvelles industries. Pour le gouvernement, c’est la possibilité de récupérer la direction de l’économie nationale et d’arrêter d’être subordonnés aux intérêts des entreprises transnationales. Pour l’opposition, c’est une nouvelle démonstration de pouvoir d’un gouvernant chaque jour plus intouchable.
[1] [NDLR] Sur demande du président Chavez, l’Assemblée nationale a approuvé une « loi habilitante  » octroyant au président le pouvoir de légiférer par décret durant une période de 18 mois.
Source : Pagina/12 (http://www.pagina12.com), 4 février 2007.
Traduction : Audrey Pérès, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).