Colombie
La liberté d’Ingrid Betancourt, une histoire sans fin
par Constanza Vieira
Article publié le 28 février 2007

S’il y a eu un changement au cours de la dernière année dans la lutte pour la liberté de l’ex-candidate présidentielle colombienne Ingrid Betancourt, qui est détenue depuis un lustre par la guérilla, c’est que la situation s’est davantage compliquée et que l’échange humanitaire ne semble pas encore être d’actualité.

Betancourt a été prise en otage par les insurgés des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) le 23 février 2002, en compagnie de sa collaboratrice et candidate àla vice-présidence Clara Rojas, toujours captive et mère d’un enfant de trois ans qu’elle a eu avec un guérillero, selon une enquête du journaliste Jorge Enrique Botero.

Toutes deux font partie depuis lors du groupe des 20 politiciens, 14 officiers et sous-officiers de l’armée et 21 policiers que les FARC espèrent échanger contre des guérilleros emprisonnés.

Les positions des parties pour organiser un échange ont semblé se rapprocher, mais il y a eu un recul de la part du gouvernement.

En décembre 2002, les FARC exigeaient pour l’échange deux départements démilitarisés - environ 115 mille kilomètres carré. En décembre 2004, elles demandaient la démilitarisation des municipalités de Florida et Pradera, dans le département de El Valle, dans l’ouest du pays.

Pendant ce temps, le président Alvaro Uribe, après avoir accepté de démilitariser une zone de 180 kilomètres carrés dans cette région, a fait un pas en arrière : il n’y aura aucune démilitarisation dans l’absolu.

Le jeudi 22 février, le porte-parole de la guérilla, Raúl Reyes, a réitéré la conviction des FARC qu’Uribe ne veut pas de l’échange et a rappelé qu’il reste trois ans et demi avant la fin de son second mandat.(..)

Depuis le mois de novembre, une véritable occupation militaire de Florida et Pradera a été déclenchée.

Le 23 janvier, entre 18h30 et 19h, heure locale, l’armée a attaqué par des rafales de fusil un véhicule de transport public dans la zone rurale de Florida. Le conducteur a été tué. Une femme et deux enfants, de cinq et treize ans, ont été blessés.

En réaction, des membres de la « garde indigène  » de cette région ont retenu durant quelques heures douze des trente militaires agresseurs et ne les ont remis àleur supérieur et aux autorités de contrôle qu’àla condition qu’ils soient jugés.(...)

Le mercredi 21 février, Uribe a lancé la version que Betancourt se trouverait hors du territoire colombien [1]. « Merci àDieu  », a commenté immédiatement Yolanda Pulecio, la mère de Betancourt. Elle pense en fait que sa fille court plus de danger en Colombie àcause de l’ordre présidentiel, lancé en octobre, de procéder au sauvetage militaire des otages. Les familles [des séquestrés] s’opposent àun tel ordre.

En décembre prochain, Libio Martinez et Pablo Moncayo, caporaux chefs de l’armée, auront passé 10 ans dans les mains des FARC. Sans accusations, sans jugement, comme les « prisonniers ennemis  » que garde le gouvernement des Etats-Unis àla base militaire cubaine de Guantanamo.

En 2008, 12 militaires et 12 policiers « célébreront  » le même anniversaire. Le capitaine Julián Guevara n’est déjàplus des leurs : il y a un an, on a appris qu’il est décédé en captivité, en janvier 2006. La guérilla allègue que la pression militaire l’a empêchée de remettre le corps àla famille. (...)

Pour ce qui est des prisonniers de la guérilla, condamnés àde longues peines, entassés dans de dangereuses prisons où sont reclus également leurs ennemis paramilitaires, les FARC n’ont fait connaître que les noms de Ricardo Palmera alias « Simon Trinidad  », ex-négociateur pour un échange, et d’Anayibe Rojas Valderrama alias « Sonia  ». Tous deux ont été extradés et remis àla justice des Etats-Unis.

Le mardi 20 février, « Sonia  » a été reconnue coupable de trafic de drogue par un juré états-unien. Elle connaîtra sa sentence le 7 mai. Si son appel est rejeté, la paysanne insurgée devrait purger entre 20 et 30 ans de prison aux Etats-Unis.

Le premier jugement àWashington contre « Trinidad  » a été annulé et doit recommencer. De plus, le 26 mars, un autre procès débutera contre lui.

L’aval donné àces extraditions par Uribe a mis la liberté de Betancourt et de ses compagnons dans les mains de Washington, puisque, pour les FARC, il n’y a pas d’échange sans « Sonia  » et « Trinidad  ».

Pendant ce temps, dans la cadre du scandale de la « para-politique  », ou « paragate  », Uribe a dà» abandonner sa ministre des Affaires étrangères, María Consuelo Araújo [2], dont la famille est accusée d’attenter contre la sécurité de l’Etat pour avoir formé des groupes paramilitaires, et Jorge Noguera, ex-chef de la police secrète, le Département Administratif de Sécurité (DAS, Departamento Administrativo de Seguridad), arrêté le jeudi 22 février.

Le cas de Noguera est le plus grave pour Uribe dans le cadre dudit « paragate  », un processus de dénonciation qui a conduit en prison ou àsa porte des dizaines de politiciens pro-gouvernementaux pour leur participation au phénomène paramilitaire.

Noguera a dirigé en 2002 la campagne présidentielle [du candidat Uribe] dans la région du Magdalena, dans le nord du pays. Il est ensuite devenu chef du DAS, un organisme de renseignement qui dépend directement du président. Quand il a été forcé d’abandonner son poste àcause de dénonciations contre cet organisme, Uribe l’a nommé consul dans la ville italienne de Milan.

Du fait de sa captivité, l’ex-sénatrice Betancourt n’a pas pu participé aux débats parlementaires, promus par l’opposition, au cours desquels une partie du scandale a été révélé.

Les FARC ont appelé àl’unité de toutes les forces politiques contre Uribe mais, paradoxalement, elles maintiennent dans un silence forcé une féroce critique du président.

Durant la campagne présidentielle de 2002, Betancourt avait accusé Uribe d’avoir promu le paramilitarisme avec la mise en place des coopératives armées privées, les Convivir, quand il était gouverneur du département d’Antioquia (1995-1997) dans le nord du pays. Ces organisations se sont avérées être directement liées au trafic de drogue et responsables de nombreux crimes contre l’humanité.

Le gouvernement des Etats-Unis - dont trois « employés  » du Département de la Défense ont été attrapés il y a trois ans par les FARC et qui sont aussi susceptibles d’être échangés - agit conjointement avec Uribe dans la plus totale discrétion.

En mars 2006, le Procureur général des Etats-Unis a lancé un ordre de capture pour trafic de drogue àl’encontre de 50 leaders insurgés, dont les 24 membres du secrétariat et de l’état-major de la plus grande guérilla colombienne.

Parallèlement, Uribe a demandé àl’Europe son « soutien  » pour récupérer militairement des otages et des prisonniers, même s’il a vite précisé qu’il ne veut pas de « troupes  » mais du renseignement et des équipements.

Astrid, la sÅ“ur d’Ingrid Betancourt, a affirmé que l’otage est en vie et que des émissaires européens ont contacté les FARC (plus de 15 missions, selon le quotidien colombien El Tiempo). La dernière preuve de vie connue est une vidéo enregistrée en mai 2003.

Notes :

[1[NDLR] Les FARC ont démenti les propos du président Uribe.

[2[NDLR] Elle a démissionné le 10 février et a été remplacée par M. Fernando Araújo - aucun lien de parenté -, ministre du développement en 2000, ayant récemment accédé àla notoriété pour son évasion spectaculaire, le 31 décembre 2006, d’un campement des FARC, dont il était prisonnier depuis six années.

Source : IPS Noticias (http://www.ipsnoticias.net), 23 février 2007.

Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).

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