Interview de Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique
« Fidel Castro, biographie àdeux voix  »
par Hernando Calvo Ospina
Article publié le 9 avril 2007

Ignacio Ramonet est le directeur du mensuel français de référence Le Monde Diplomatique, mais aussi l’une des personnalités les plus prestigieuses parmi les intellectuels progressistes àtravers le monde. Voici un an qu’est sortie en Espagne la première édition de son livre « Fidel Castro, Biographie àdeux voix  » où il s’entretient longuement et sans réserves avec le dirigeant principal de la révolution cubaine. Le livre se vend massivement àCuba et des traductions sont en préparation dans différents pays. Cette interview a été réalisée àpeine trois semaines après la publication du livre en France.

Ignacio Ramonet, je renouvelle la question que l’on vous a peut-être déjàposée souvent : Quels objectifs vous ont incité àréaliser ces longs entretiens avec Fidel Castro, entretiens qui ont pris la forme d’un livre l’an dernier ?

L’objectif principal de ces conversations avec Fidel Castro était de lui donner la parole. En effet, bien qu’il soit question de lui de façon très régulière dans les médias mondiaux, c’est presque toujours pour l’attaquer, sans que jamais ne lui soit donnée la possibilité de présenter ses arguments, sa propre version des choses.

Fidel Castro est l’un des rares hommes àconnaître la gloire d’entrer de son vivant dans l’histoire et la légende universelle. C’est le dernier « monstre sacré  » de la politique internationale. On peut penser de lui ce que l’on veut mais objectivement, il est l’un de ces personnages qui se sont lancés dans l’action politique en quête d’un idéal de justice, dans l’espoir de réaliser des changements dans un monde où règnent l’injustice et la discrimination.

Sous son impulsion, les habitants de cette petite île ont résisté àtoutes les agressions et pressions des Etats-Unis depuis le début de la révolution. Avec son guide, ce peuple a développé la politique d’une grande puissance mondiale, tout en étant un exemple pour son niveau éducatif, culturel, sanitaire, ainsi qu’en ce qui concerne la solidarité internationale. Dans ce domaine, curieusement, elle dépasse des nations comme la France et les Etats-Unis.

Fidel Castro est dans l’histoire et entrera dans l’histoire. J’ai déjàdit que c’est le latino-américain le plus universel depuis Simon Bolivar.

De sorte qu’il m’est apparu qu’un livre qui serait une synthèse de son Å“uvre, de sa pensée, de sa vie faisait défaut, car personne n’y avait songé, ni lui, ni les Cubains. Pour moi, cela représentait un objectif politique et journalistique.

Il m’a semblé que les médias qui mentionnent le livre le font de façon méprisante. Tandis que d’autres l’ignorent complètement, comme c’est le cas en France. Pourquoi ?

Bien que la majorité des journalistes traitent Fidel Castro avec dureté et déforment ses propos régulièrement, tous rêvent de l’interviewer. Pouvoir seulement lui serrer la main les remplirait d’aise. Evidemment, ils ne vont pas le reconnaître publiquement. Mais nombre de mes collègues de par le monde qui sont des « vedettes  » sont persuadés qu’ils sont en « droit  » d’interviewer Fidel Castro, ils attendent cela depuis des années et ont le sentiment que je leur ai volé leur place. Et bien sà»r, ils tentent de discréditer ce travail en disant qu’il n’est pas objectif car Ignacio Ramonet est ami avec Fidel Castro.

La plupart des grands médias ont été très habiles, car la meilleure façon d’attaquer un livre est de ne pas l’attaquer. En l’attaquant, ils alerteraient quelques lecteurs. Je savais que j’allais être boycotté, en particulier en France. Et cette intuition s’est précisée quand Fidel a fait sa réapparition fin janvier, en bien meilleure forme, alors qu’ils attendaient tous sa mort. Ils ont été tellement désappointés qu’ils ont reporté tout leur dépit sur le livre.

Mais il ne faut pas oublier non plus qu’au Monde Diplomatique, nous avons toujours critiqué durement les médias et leurs relations avec le pouvoir économique, étatique et politique.

J’ai publié plusieurs livres sur ce sujet. Par conséquent, ils ne peuvent pas voir en moi un ami. Ils ont donc trouvé l’occasion de prendre leur revanche en dénigrant ce livre. Cela démontre le peu de professionnalisme présent dans le journalisme.

S’ils sont vraiment scrupuleux et honnêtes, les détracteurs de Fidel Castro pourront vérifier que lui, il n’a pas menti dans ses réponses, qu’il expose des arguments sérieux et importants àprendre en compte. Et je crois que c’est cela que de nombreux grands médias ne supportent pas : àsavoir que dans le livre on ait abordé en toute franchise précisément les sujets sur lesquels Fidel Castro et la Révolution cubaine sont mis en accusation. On pensait que je me montrerais complaisant dans ce travail.

Or, pour réaliser ce travail de façon professionnelle, j’ai pris de la distance avec mon sujet. Jamais je n’aurais pu avoir recours àla pratique malhonnête très courante dans de nombreux médias au monde, qui consiste àmanipuler et àdéformer les propos de l’interviewé lorsque ceux-ci ne leur conviennent pas politiquement. On le poignarde dans le dos sous prétexte que le journaliste est libre de décider de ce qu’il publie, et c’est sur cela qu’ils fondent la liberté d’expression. De façon parfaitement malhonnête, des déclarations importantes sont donc escamotées ou sorties de leur contexte.

Mais ces médias et ces intellectuels qui cherchent àattaquer ou àignorer l’Å“uvre pour sa soi-disant « partialité  », sont liés aux sphères du pouvoir politique et économique.

De nos jours, il y a en France peu d’intellectuels sérieux et respectables. Les intellectuels les plus renommés, les plus médiatiques ont rejoint à80% le candidat àla présidence Nicolas Sarkozy, qui représente la droite la plus dure, la plus néo libérale, la plus pro-étasunienne et pro-israélienne. Cela en dit long sur ces intellectuels.

Nous devons aussi considérer que les grands médias français- dont la propagande a propulsé au rang d’ « intellectuels  » de nombreux pro Sarkozy, appartiennent àde puissants groupes économiques, y compris àdes secteurs de l’industrie de l’armement. Il est logique que ces médias ne se répandent pas en propos élogieux sur les projets politiques développés àCuba, au Venezuela, en Bolivie, etc...Ils prônent la mondialisation, celle qui signifie la priorité du marché sur l’Etat.

Sur bon nombre de sujets politiques importants pour les citoyens, voici des années qu’a été érigée en norme ce que j’appelle « la censure du consensus  ». C’est àdire qu’une fois qu’un consensus est établi, il fonctionne comme une censure. Actuellement, l’idée véhiculée est qu’il n’y a rien de bon àCuba, ni au Venezuela, ni chez Fidel, ni chez Chavez. Si tu vas àl’encontre de cela, si tu rames àcontre courant, tu sembles être quelqu’un d’étrange, on t’accuse de tout. D’être acheté, vendu, d’être un espion. Et par conséquent, personne ne t’accepte.

L’effort nécessaire au rétablissement de la vérité est si énorme qu’il vaut mieux laisser tomber. Le mieux, le plus commode, c’est de se complaire dans la répétition plutôt que de se lancer dans une démonstration. On voit se répandre aujourd’hui cet esprit goebbelsien (du nom du chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels) qui consiste àaccepter l’idée que la répétition a valeur de démonstration. Cela ne vaut pas la peine de vérifier la version unique et unilatérale des faits, que certains présentent comme le résultat de « révélations  », de « recherches  ». Tout cela, c’est la grande misère du journalisme. Et c’est d’autant plus misérable que les mêmes versions de la grande presse et de la droite étasunienne sont répétées depuis des lustres.

Ignacio Ramonet, cet ouvrage, qui est comme un enfant que vous avez en commun Fidel Castro et vous, quel chemin peut-il prendre dans ce monde hostile et agressif, que souhaitez-vous pour lui ?

Je suis convaincu qu’il aura des prolongements. De quelle manière ? Demain ou un jour prochain, dans un endroit d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, un jeune le lira et ce livre lui donnera des idées, une inspiration pour construire sa vie au service des siens. Ce livre est une semence. Je suis convaincu que l’honnêteté de Fidel Castro tout au long de ces pages et sa pensée imprégnée d’une série de positions éthiques et de projets politiques vont germer làoù on s’y attend le moins.

L’objectif de ce livre, ce ne sont pas les médias. Ce sont les esprits de nombreux jeunes mécontents de l’injustice, de l’inégalité et des abus qu’ils subissent en France, aux Etats-Unis, au Mexique, presque dans le monde entier. Ils vont y trouver un projet de transformation de la société car il est bourré de convictions. C’est làtout mon espoir. S’il a un avenir, c’est celui-ci. Ce qui est indispensable, c’est d’avoir des convictions qui aillent dans le sens d’une transformation du monde dans l’intérêt de tous ceux qui sont humiliés, marginalisés et opprimés. Car il y a dans ce livre une force qui s’impose grâce aux convictions de Fidel Castro.

Paris, le 22 février 2007.

Source : Rebelión (www.rebelion.org), 1er mars 2007.

Traduction : Simone Bosveuil.

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