De son p’tit nom, Sierra
par Camille Gourdeau
Article publié le 24 avril 2007

Il est des endroits qui révèlent la contradiction, des lieux qui font réfléchir sur l’histoire de l’Amérique du Sud, des espaces où l’on vit en relation avec la terre. Il en est de ces lieux où gronde la lutte, où coure le río, où l’on parle des langues aux accents inconnus, la Sierra de Périja est un de ces lieux là.

Situé àl’est du Venezuela, àla frontière colombienne, est planté un massif montagneux, branche du début (ou de la fin ?) de la Cordillère des Andes. Il y a des arbres, de toute sorte, des animaux et des rivières et puis des hommes et des femmes. Ces hommes et ces femmes qui font vivre et vivent de ces terres, qui utilisent les arbres comme panneau de signalisation ou boîte àpharmacie, qui regardent les singes jouer dans les arbres, élèvent leur brebis qui donneront du lait puis du fromage et qui protègent leur âne-transport familial. Et puis, il y a les rivières dans lesquelles on se lave, on nettoie le linge et que l’on boit. Sans elle, comment faire parvenir jusqu’aux maisons des litres d’eau en plastique ? En plus, cette eau, elle n’est pas seulement vitale pour les habitants de ces monts, elle approvisionne même la ville voisine, Maracaïbo, deuxième ville du pays et un des centres pétroliers.

Ceux qui peuplent la Sierra, on les dénomme indigène ou encore indien. Ils appartiennent àtrois peuples différents : les Wayuu, les Bari et les Yukpa. [1] Leur histoire est longue et traversée de résistance, de métissage et pourtant ils sont là, reconnaissables, ils ont conservé une langue, une organisation sociale, des croyances et des architectures spécifiques.

Au Venezuela de Chavez, la nouvelle Constitution [2] leur a enfin accordé des droits, leur a offert la possibilité de s’exprimer dans les médias et leur a surtout donné une reconnaissance, en tant que citoyens du pays et en tant qu’indigènes, peuple premier. Pourtant dans la Sierra de Périja, sourde une lutte, s’organise une résistance. Il y a vingt ans, une mine de charbon a été ouverte et l’on a commencé àextraire le minerai, àdéplacer des monticules de terre, àpolluer les rivières et le vent porte encore aux oreilles les récits des gens, déplacés de leurs terres et de leurs morts et maintenant on parle d’ouvrir de nouvelles mines [3].

Si cela était fait, cela signifierait le déplacement de ces populations (où ? A Maracaïbo ? Certes tous les indigènes n’y sont pas tous indigents mais l’on voit beaucoup d’entre eux survivre en vendant quelques légumes, en gardant les maisons des riches ou en y faisant le ménage), la pollution de l’eau, l’écosystème irrévocablement endommagé. Un des arguments promus par ceux partis prenants de l’exploitation du charbon c’est àdire CORPOZULIA (Corporation de développement de la région de Zulia, institution de l’Etat alliée àdes multinationales [4]) est celui du développement. [5]

Mais quel développement doit être choisi, celui dont parle le gouvernement, de développement endogène, en accord avec les populations concernées ou celui qui, certes permet des exportations, mais en détruisant vies, nature et couche d’ozone, celui où ce qui prévaut, c’est l’intérêt économique ?

Les gens vivent là, dans la Sierra de Périja et se nourrissent du travail de la terre, élèvent des bêtes, c’est le cas des Wayuu. Quant aux Bari, un autre enjeu vient s’ajouter : celui de récupérer une partie de leur territoire (et donc de refuser la délimitation de territoire que l’on vient de leur accorder àtravers la Loi de Délimitation de l’Habitat et des Terres Indigènes). Les domaines agricoles ou haciendas se sont accaparés au fil des années une bonne partie de leurs terres, leur alimentation s’en est trouvé perturbée puisqu’ils ne peuvent plus chasser comme ils le faisaient et semer comme ils en avaient l’habitude. C’est une population -particulièrement ceux dont les villages sont les plus proches des haciendas- affaiblie.

Il faut donc empêcher l’ouverture de ces mines par respect pour l’environnement et par respect pour ces gens. Il faut écouter leur refus, en tant qu’habitants de ces terres, que ne s’ouvrent ces mines.
Et ce, d’autant plus parce que le Venezuela essaie et parvient dans certains secteurs de créer le socialisme du XXIe siècle, parce qu’il promeut un autre type de développement qui ne soit plus prédateur ni des hommes ni de la nature.
C’est parce que Venezuela est un espoir pour l’Amérique du Sud et pour nous, que nous croyons que l’avis des populations indigènes pourra être entendu, que leur mode de vie sera préservé et qu’eux aussi pourront participer pleinement au processus bolivarien dans leur pays, au Venezuela.

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En guise de Happy End ?

Il était une fois, une décision prise par une ministre de l’Environnement (Yuribi Ortrga de Carrizales) et un président (Hugo Chavez) : celle d’interdire l’ouverture de nouvelles mines de charbon dans la Sierra de Périja.
Ainsi,le 29 mars a eu lieu une rencontre où des centaines d’indigènes Bari, Yukpa, Japreria et Wayuu sont venus présenter devant les différentes instances environnementales et indigènes des propositions alternatives àl’entreprise carbonifère. Ils ont dit leur volonté de mettre en place des projets respectueux de l’environnement et de ceux qui peuplent la Sierra de Perija.
Quelques jours auparavant, les représentants des communautés Wayuu et Yukpa ainsi que l’association écologiste Homo et Natura avaient exprimé devant la ministre de l’Environnement leur soulagement. Ce qui donnait un peu près ceci : « Hier, nous les mouvements de résistance indigène, les mouvements sociaux et écologistes, avons eu le sentiment d’avoir enterré àCaracas le fantôme du charbon et la menace qui planait sur les peuples indiens de la région de Zulia pendant des années. La lutte continue jusqu’àce que toutes les concessions minières, en terre indigène soient totalement supprimées.  »
Alors, on se laisse respirer avant de reprendre notre souffle pour les nouvelles luttes àvenir( parce que faire vivre une révolution est une lutte permanente).
Je leur laisse le mot de la fin « Dire aujourd’hui plus une mine de charbon dans la région de Zulia signifie donner espoir en l’avenir pour les peuples Wayuu de Mara et Paez, pour les peuples indigènes de la Sierra de Périja  ».

Notes :

[1Au dernier recensement, les Wayuu comptaient 168 729 personnes, ce qui fait d’eux le peuple indigène le plus nombreux parmi la soixantaine que compte le pays ; las Yukpa sont au nombre de 4174 et les Bari de 1520.

[2Dont, par exemple l’article 119 : « L’état reconnaît l’existence des peuples et communautés indigènes, leur organisation sociale, politique et économique, leurs cultures, us et coutumes, langues et religion comme leur habitat et droits coutumiers, les terres ancestrales que traditionnellement, nécessaires pour développer et garantir leur mode de vie. Il est du ressort de l’Exécutif National, avec la participation des peuples indigènes , de délimiter et de garantir la propriété collective de leurs terres, lesquelles sont inaliénables, imprescriptibles et in-transférables(..).  »

[3On projette d’ouvrir trois mines : sur la rivière Socuy, la mine « Socuy  » ; sur la rivière Mache, la mine “Cano Seco” et la mine “Las Carmélitas”.

[4Voir, par exemple, la récente création de Carbo Suramérica, alliance de la vénézuelienne Carbo Zulia, filiale de CORPOZULIA et de l’entreprise anglo-brésilienne, Vale do Rio Doce.

[5L’exploitation du charbon dans la Sierra de Périja s’inscrit dans un vaste projet d’infrastructure qui prévoit la construction d’un port, Puerto America àl’endroit même d’une île, qui serait donc détruite. Le plan projette aussi de construire des voies ferroviaires, tout cela pour faciliter l’exportation vers les marchés nord-américains et européens.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
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