Les ennemis de mes ennemis sont-ils des amis ? La tournée que vient d’achever Hugo Chávez en Iran, après avoir visité la Russie et la Biélorussie, illustre cet indémodable principe du jeu d’échecs diplomatique. Confronté à l’hostilité du bloc occidental, le président vénézuélien tisse inlassablement sa toile « anti-impérialiste  ». Il en est à sa sixième visite à Téhéran en huit ans !
La stratégie ne manque pas de raison(s). Avocat ardent d’un monde multipolaire, M. Chávez sait que l’indépendance réelle du Venezuela passe par des alliances tous azimuts. Ainsi, sur le plan militaire, où le pays subit un embargo de fait depuis que les Etats-Unis ont interdit ce commerce à leurs alliés. Moscou n’a pas ces préventions.
Sur le plan économique, le Venezuela - qui ambitionne de relier l’Amérique du Sud par un gazoduc géant - mise gros sur l’expérience des entreprises russes. Quant à l’Iran, il représente un réel appui au sein de l’OPEP, le cartel des pays producteurs de pétrole, que M. Chávez s’efforce de revivifier. Le maintien de prix élevés est une condition sine qua non à ses ambitions sociales et diplomatiques.
A plus long terme, l’antagonisme avec les Etats-Unis, principaux importateurs de brut vénézuélien, oblige Caracas à explorer des alternatives. A travers l’Iran et la Russie, Hugo Chávez lorgne vers l’Asie. Désireux de sortir de la monoculture pétrolière, il trouve aussi à Téhéran un partenaire industriel. Bientôt, il espère que l’Iran lui permettra de développer une industrie nucléaire civile, ce que l’Occident lui refuse.
Alors ? Au risque de paraître naïf, on se dit que la raison d’Etat est parfois bien déraisonnable. Emporté par sa défiance viscérale vis-à -vis des Etats-Unis, M. Chávez n’hésite pas à muer ses échanges stratégiques en alliances politiques. « L’axe de l’unité  », disait-on lundi à Téhéran...
Et là , on ne suit plus. Passe encore qu’il défende le droit des Iraniens à se doter du nucléaire, mais que diable a-t-il besoin d’encenser les « valeurs  » de la réactionnaire « Révolution islamique  » ou de qualifier de « compagnon de lutte  » le sinistre antisémite Mahmoud Ahmadinejad ? Entendre Hugo Chávez dénoncer l’invasion étasunienne au côté de celui qui ne cesse d’alimenter la guerre civile en Irak n’est pas la meilleure façon de défendre une vision pacifiste des relations internationales.
De même, on aurait aimé entendre M. Chávez faire son traditionnel plaidoyer en faveur de la « souveraineté des peuples  » à Vladimir Poutine, le bourreau de la Tchétchénie... On peine enfin à comprendre que le promoteur du socialisme du XXIe siècle sorte de l’isolement l’autocrate biélorusse Alexandre Loukachenko...
Fragile îlot de progressisme, le Venezuela d’Hugo Chávez a de nombreux mérites, dont celui d’avoir su réhabiliter l’action politique. Il l’a fait à domicile, en réorientant les richesses vers ceux qui en avaient besoin. Mais aussi dans ses relations internationales, qu’il a voulues frappées du sceau de la solidarité. En témoignent son soutien à de petits Etats pauvres (Haïti, Jamaïque, etc.) et la création de l’Alternative bolivarienne (ALBA).
Mais à force de vouloir jouer dans la cour des grands, les principes qui ont fait le prestige de la Révolution bolivarienne paraissent de plus en plus à géométrie variable. Pourquoi prêter main forte aux plus marginalisés en Amérique, et servir la soupe à leurs oppresseurs outre-Atlantique ? La force, en politique, n’est pas qu’un rapport de puissance. C’est aussi une affaire de valeurs et de cohérence.
Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch), 4 juillet 2007.