D’un côté, les partisans de Chavez se manifestent en faveur de la réforme constitutionnelle vers un socialisme du XXIe siècle. De l’autre, une opposition divisée se mobilise et organise des forums. L’initiative propose, entre autres, de créer de nouvelles formes de propriété.
Les quartiers et places de Caracas respirent l’effervescence des assemblées publiques. Même si cela peut sembler être un mensonge, chavistes et antichavistes débattent publiquement de la réforme constitutionnelle qui sera soumise à un référendum en décembre. La réduction de la journée de travail, l’élimination du latifundio [grande propriété rurale improductive, ndlr], des monopoles et la création de nouvelles formes de propriété sont quelques-uns des changements proposés dans les 33 articles à modifier avec lesquels le gouvernement a gagné les rues et l’initiative politique. Bien que divisée, l’opposition veut récupérer le terrain perdu et plusieurs secteurs se sont mobilisés le 22 septembre contre la réforme, tandis que le gouvernement organisait un rassemblement de masse. Du côté de la principale centrale syndicale du pays, l’Union Nationale des Travailleurs (UNT), on tente d’approfondir le processus politique ouvert vers le « socialisme  ».
« Nous n’allons pas permettre de déstabilisation. Qu’ils ne viennent pas dire que le gouvernement de Chávez n’accepte pas la protestation ! Non. Protestez. Mais ils ne respectent pas cette Constitution. Ils ont voté contre elle en 1999. Et maintenant ils disent qu’elle est bonne et qu’il n’est pas nécessaire d’approuver la réforme, c’est quoi cette histoire ?  », a dit avant-hier le ministre du Pouvoir Populaire pour les Relations intérieures et la Justice, Pedro Carreño, d’après la progouvernementale Radio nationale du Venezuela (RNV).
Face à une marée rouge, composée de travailleurs du ministère, de conseils communaux et de communautés organisées, Carreño a dirigé la cérémonie d’assermentation des Comités de défense du projet de réforme constitutionnelle qui s’est tenu sur la place La Candelaria, dans la ville de Caracas. « Nous avons une Constitution et il y a des ennemis historiques des processus de libération des peuples  », a dénoncé Carreño qui estime que l’opposition cherche à engendrer le chaos pour éviter le référendum au travers de protestations sur les services publics ou l’insécurité, a informé la RNV.
Les paroles du ministre faisaient allusion aux groupes de l’opposition, comme le Commando National de la Résistance (CNR, Comando Nacional de la Resistencia), associé à la droite qui a gouverné le Venezuela durant la dénommée Quatrième République [1948-1998], et l’Alliance Bravo Pueblo (ABP), qui avant-hier ont marché – en petit nombre – contre la réforme et l’insécurité vers le siège du ministère de Carreño, selon le journal d’opposition El Universal. Une ordonnance municipale et un cordon de la Police métropolitaine les ont empêchés d’atteindre le ministère.
L’opposition n’est plus la même depuis qu’elle a perdu la capacité de mobilisation qu’elle avait en 2002 et 2003, en grande partie en raison du fort soutien dont bénéficie le président vénézuélien Hugo Chávez. C’est pour cela que maintenant les opposants réalisent des forums et maintiennent un profil bas dans les espaces publics. « Une mobilisation n’est pas envisagée  », a assuré à Página/12 une source de Fedecámaras, l’association patronale la plus importante du Venezuela qui a appuyé le coup d’Etat militaire qui a renversé temporairement Chavez le 11 avril 2002.
Selon un sondage publié le 23 septembre par l’Institut Vénézuélien d’Analyse de Données (IVAD Instituto Venezolano de Análisis de Datos), 40,6% des 1 200 personnes interrogées ont répondu qu’elles voteront en faveur de la modification de l’actuelle constitution, contre 22,5 % qui la rejetteront. Des 33 changements proposés par Chavez à la Carta Magna de 350 articles que lui-même a impulsé et réussi à faire approuver après être arrivé au pouvoir en 1999, le droit à la Sécurité sociale pour les travailleurs comme les chauffeurs de taxi, les employées domestiques et les vendeurs informels est soutenu par 90,8% de la population, suivi par la réduction de la journée de travail de huit à six heures, approuvée par 70,6%.
Parmi les principaux acteurs sociaux qui soutiennent une partie des réformes, il y a l’UNT, la centrale syndicale qui, aujourd’hui, avec plus de 1 200 000 affiliés, a défendu le leader bolivarien quand il a subi l’éphémère coup d’Etat de 2002 [1] et ensuite la « grève  » pétrolière patronale organisée par Fedecámaras et l’autre centrale syndicale, la Confédération des Travailleurs du Venezuela (CTV, Confederación de Trabajadores de Venezuela) et qui s’est terminée en février 2003. « La réforme que le président propose montre que nous sommes dans un processus de changements, une situation révolutionnaire à chaque fois plus profonde, dans laquelle Chavez reprend à sa manière ce que le peuple et les travailleurs développent au travers de luttes et de mobilisations pour en finir avec l’exploitation et l’impérialisme  », a dit à Página/12 Orlando Chirino, coordinateur national de l’UNT et dirigeant du principal courant syndical, C-CURA, de gauche.
Toutefois, Chirino s’est manifesté contre la méthode de réforme de la Constitution, en revendiquant la nécessité pour tout le peuple de discuter le contenu dans sa totalité - pas seulement 33 articles - au travers de mécanismes plus démocratiques que le dénommé « parlementarisme de rue  » [2]. « Si nous allons au socialisme, nous devrions convoquer une assemblée populaire libre et souveraine avec des délégués de travailleurs, de paysans, de communautés, d’étudiants, de membres des forces armées, qui soit supérieure à l’assemblée constituante et qui repose sur le principe : une personne, un vote  », a proposé le syndicaliste de 58 ans et de plus de quatre décennies d’expérience syndicale, appelé dans différentes régions du pays pour des activités et des conflits.
Le contenu du projet gouvernemental, a signalé le leader syndical, présente aussi des limites. « Il ne s’inscrit pas dans une perspective socialiste. La propriété capitaliste n’est en rien remise en cause. Le fruit du travail et les excédents que nous, travailleurs et travailleuses, produisons continueront d’être appropriés par une minorité d’entrepreneurs ou dans le meilleur des cas par l’Etat d’un point de vue capitaliste  », a-t-il indiqué en référence à l’article 115 qui crée quatre nouvelles formes de propriété, dont la propriété mixte, laissant intacte la privée. [3] Un autre problème, a dit Chirino, c’est que la nouvelle réglementation permettrait, à partir de maintenant, que les multinationales aient un pouvoir sur le sol, le sous-sol, les zones maritimes et toutes les ressources naturelles via des entreprises mixtes [publiques-privées].
Derrière la réforme, le coordinateur de l’UNT voit le soutien de secteurs patronaux à quelques articles. Selon Chirino, le président de Fedecámaras, José Manuel González, a remercié le vice-président de la République, Jorge Rodriguez, pour s’être engagé à respecter la propriété privée des moyens de production. De même, José AugustÃn Campos, président de la Confédération des agriculteurs et éleveurs du Venezuela (Confagan, Confederación de Agricultores y Ganaderos de Venezuela), s’est prononcé en aoà »t dernier lors d’une conférence de presse, en faveur de la réforme présentée par le chef de l’État vénézuélien, a informé la chaîne publique Vive TV. Pour Campos, les propositions relatives à la réorganisation territoriale, l’instauration d’une Sécurité sociale pour les travailleurs indépendants et la réduction de la journée de travail à six heures doivent être soutenues.
Parmi ses préoccupations, l’UNT craint que la création du « fonds de stabilité sociale  » [pour les travailleurs indépendants] et la diminution du temps de travail - deux mesures que la centrale syndicale appuie - aient des effets contre-productifs. « On peut ainsi légitimer l’exclusion de millions de compatriotes qui n’ont pas un véritable emploi et qui, maintenant, vont recevoir une allocation, quand, ce dont il s’agit, c’est que l’Etat et la Constitution garantissent le plein emploi dans des conditions dignes  », a alerté Chirino en expliquant que l’assurance sociale n’impliquera pas une prévision sociale (retraite) complète. « On ne dit rien sur le fait que la réduction de la journée de travail n’implique pas de réduction de salaire ni une augmentation de l’exploitation. J’espère qu’il ne s’agit pas de concessions faites aux entreprises en matière d’impôts et de responsabilité sociale comme cela a été justement le cas en France  », a-t-il averti.
[1] [NDLR] L’auteur de l’article commet ici une erreur. Si les principaux leaders de l’UNT ont en effet soutenu le retour de Chavez au pouvoir et contribué à vaincre l’opposition, l’UNT, quant à elle, n’est née qu’en avril 2003, après le coup d’État et le sabotage pétrolier.
[2] [NDLR] Pour la chercheuse universitaire Margarita Lopez Maya, « le parlementarisme de rue est apparu quand l’opposition s’est retirée des élections. Nous nous sommes réveillés avec une Assemblée ‘rouge, très rouge’. Les députés, devant la faiblesse démocratique qui en résultait, ont inventé cette proposition. C’est un mécanisme intéressant pour informer et recueillir les idées et les opinions de ceux qui désirent participer volontairement à la formulation de lois ou de politiques. C’est aussi un espace privilégié d’éducation politique. Mais je ne crois pas qu’en mettant des kiosques et des tables dans des parcs ou sur des places publiques en fin de semaine, pour discuter, par exemple, le budget de 2007 au milieu du peuple, nous ayons une meilleure démocratie que dans l’espace de délibération de l’Assemblée, élue au suffrage universel et direct. Dans des sociétés à intérêts divergents, il faut un lieu comme l’Assemblé nationale, où le pluralisme trouve sa place, où on dialogue et où on tente de vivre avec l’autre de manière pacifique en établissant des consensus élémentaires. Si ce n’est pas ce que font les députés, alors il y a le référendum révocatoire pour les remplacer  ».
Extrait de Margarita Lopez Maya, Participation et politique de rue, RISAL, avril 2007.
[3] [NDLR] L’article 115 de la Constitution garantissait le droit à la propriété. Il reconnaîtra et garantira dorénavant les différentes formes de propriété : la propriété publique, la propriété sociale (indirecte et directe), la propriété collective, la propriété mixte et la propriété privée.
Source : Página/12 (http://www.pagina12.com.ar/), Buenos Aires, Argentine, 24 septembre 2007.
Traduction : (http://amerikenlutte.free.fr). Traduction revue par l’équipe du RISAL (http://risal.collectifs.net).