En septembre dernier, une des plus grandes mines jamais vues en Argentine a commencé à opérer à San Juan. Elle est si grande qu’elle traverse la cordillère et arrive jusqu’au Chili. L’histoire de la Barrick Gold Corporation (BGC) est connue. Cette compagnie compte dans ses rangs des personnalités telles George Bush père et le dictateur Suharto, ainsi que des fonctionnaires et des avocats du pouvoir à Washington, l’ancien président argentin De La Rúa, le banquier en fuite Puchi Rohm et, au début, le trafiquant d’armes international Adnan Khashoggi.
Au mois de septembre dernier, l’entreprise canadienne Barrick Gold Corporation (BGC) a commencé l’exploitation de la mine Pascua-Lama en Argentine et au Chili, « le premier projet minier binational qui élimine les restrictions naturelles qu’impose une frontière  », a annoncé l’entreprise dans le journal El Diario de Cuyo. Avec un investissement total estimé à 1,25 milliard de dollars et des pointes d’extraction de jusqu’à un million d’onces d’or par an, il s’agit d’un projet important, qui crée un millier d’emplois et qui a reçu le soutien enthousiaste du gouverneur de San Juan, José Luis Gioja : « un vieux rêve des habitants de San Juan  », selon lui.
Mais le projet a été la cible de critiques de plusieurs écologistes pour les dégâts que la mine pourrait causer à l’environnement, en particulier aux glaciers de San Juan [1]. De plus, la mise en route de la mine a lieu en plein débat sur la propriété des ressources naturelles en Amérique latine. Certains économistes mettent les avantages dont jouit le secteur minier en question dans un pays où l’exploitation publique exclusive est interdite. Ce qui est en jeu n’est pas négligeable : ces dernières années, les prix des minéraux ont explosé sur le marché mondial et ne semblent pas avoir de plafond.
Pour ces raisons, il est utile de rappeler l’histoire de cette firme, depuis sa fondation grâce à l’apport d’un célèbre traficant d’armes, en passant par le coup de main de Bush père pour qu’elle puisse s’établir aux Etats-Unis et par l’opération du même Bush avec le dictateur Suharto d’Indonésie qui déboucha sur une énorme fraude. Il faut aussi mentionner le rôle que jouèrent l’ex-président argentin Fernando De La Rúa et le banquier en fuite José « Puchi  » Rohm pour faciliter la venue de la firme en Argentine.
L’ami de Bush
D’après Greg Palast, journaliste d’investigation de la BBC et chroniqueur dans les journaux britanniques The Guardian et The Sunday Observer, la BGC est issue de la Barrick Petroleum Corporation, une firme fondée en 1981 au Delaware aux Etats-Unis, par le trafiquant d’armes Adnan Khashoggi, connu dans le monde entier pour son yacht extravagant et pour le rôle important qu’il a joué dans le scandale Iran-Contra [2]. A cette époque, Bush père était vice-président et chef des Opérations clandestines de la Maison Blanche - il venait de quitter la direction de la CIA - et il s’agissait de vendre des armes aux ayatollahs pour financer la Contra du Nicaragua.
Selon la biographie autorisée de Peter Munk, fondateur et directeur exécutif de la Barrick Gold, écrite par Donald Rumball, Khashoggi et Munk se connurent à Londres, dans les bureaux du Peninsular Orient dont les directeurs s’étonnaient de voir « un juif et un arabe ensemble au réfectoire  ». Munk et Khashoggi furent ensuite partenaires dans une entreprise hôtelière qui n’a pas prospéré, près des pyramides égyptiennes. Les deux associés auraient récupéré du gouvernement égyptien leur investissement de 17 millions de dollars grâce à un arbitrage international. En 1985, peu après l’éclatement du scandale Iran-Contra, Khashoggi aurait vendu ses actions dans la BGC, Munk devenant la figure publique du groupe. Depuis lors, la firme répète régulièrement qu’elle n’entretient aucune relation avec des traficants d’armes.
En 1992, deux faits significatifs se produisirent dans les derniers jours de la présidence de Bush père. Le premier en faveur de Khashoggi, le second en faveur de la BGC. Tout d’abord, le président Bush grâciat les principaux co-conspirateurs de Khashoggi, dont le le colonel Oliver North et des membres du gouvernement états-unien. Bush évita ainsi au traficant saudi d’être l’objet d’accusations. En second lieu, le gouvernement vendit à la BGC la propriété de la mine Goldstrike au Nevada. Evaluée à un milliard de dollars, elle fut cédée pour 10 000 dollars. Pour pouvoir faire cela, il se servit d’une très ancienne loi datant de 1872 qui subventionnait les petits mineurs qui secouaient leurs tamis dans les rivières de l’ouest américain. L’ancien gouverneur de l’Etat d’Arizona et secrétaire de l’Intérieur (Environnement) de Clinton, Bruce Babbit, qualifia cette transaction de « plus grande tromperie sur l’or depuis Butch Cassidy  ». L’entreprise, qui avait contribué pour au moins 148 000 dollars à la tentative frustrée de Bush père de se faire réélire, précisa qu’elle n’avait enfreint aucune loi dans l’achat de cette mine.
Contact à Djakarta
Trois ans plus tard, en 1995, Bush père devint président honoraire du Comité international des conseillers de la BGC, un poste qu’il occupa pendant au moins quatre ans. Un porte-parole de l’entreprise affirma en 2000 que Bush recevait 15 000 dollars par an plus un per diem pour ses services qui consistaient à participer à quatre réunions tous les deux mois. S’il en est ainsi, il s’agirait d’une véritable bonne affaire vu les services fournis à l’entreprise par l’ancien président.
En 1996, le géologue Mike de Guzmán, de la firme canadienne Bre X, annonça en Indonésie la découverte de la mine d’or la plus grande du monde, évaluée à 23 milliards de dollars. Selon une enquête du Los Angeles Times, Bush écrivit alors une lettre à Suharto, dictateur de l’Indonésie à l’époque : « Je voudrais simplement prendre la liberté de vous dire que je suis très impressionné par la Barrick, sa direction visionnaire, ses réussites technologiques et sa robustesse financière  ». La lettre fit son effet : peu de temps après, le gouvernement décréta que Bre X devait transférer deux tiers de la mine à la BGC. Selon le site CNN.com, en plus des bons offices de Bush, la fille de Suharto devint conseillère de l’entreprise pour faciliter la transaction. Mais lorsque l’on commença à perforer, on se rendit compte qu’il s’agissait d’une gigantesque fraude. Le géologue de Guzmán fut convoqué pour donner des explications, mais périt dans un accident : il tomba d’un hélicoptère qu’on lui avait envoyé. La BGC eut plus de chance : peu avant la découverte de la fraude, elle s’était retirée de l’affaire et avait vendu sa part à une autre entreprise canadienne, Freeport.
Bush père donna sa démission au directoire international en 1999, selon la BGC.
Les mines de Fernando
Une des premières affaires réalisées par la BGC en Argentine fut d’acheter une mine au chef du gouvernement de l’époque de la récemment baptisée Ville autonome de Buenos Aires, Fernando De La Rúa. Il s’agit de la mine de Diablillos dans le département de Salta. Selon un article de la revue Noticias en l’an 2000, non seulement Fernando De La Rúa en était actionnaire, mais son cousin Eduardo en était le représentant depuis plus de 10 ans. Lors d’une autre opération parallèle, De La Rúa vendit la part qu’il possédait dans une autre mine de Salta, Taca Taca, à une « entreprise aux capitaux canadiens  » appelée Corriente Argentina, domiciliée au bureau de Fernando Acoroni, le comptable de la famille De La Rúa. Celui-ci, en plus d’aider les cousins Fernando et Eduardo, travaillait pour Antonio, le fiancé de la chanteuse Shakira. D’après Eduardo, Taca Taca n’apparaissait pas dans le patrimoine de De La Rúa parce qu’il aurait vendu sa part avant de devenir président de l’Argentine.
Dans le rapport 2001 sur les mines de la Chambre des Députés, la mine de Diablillos figure comme appartenant à Pacific Rim Mining Argentina-Barrick Exploraciones (Canada) et Taca Taca Bajo comme étant la propriété de Corriente Argentina (Canada) et de Rio Tinto (Angleterre) qui « se sont associés en mars 1999 par le biais d’une joint venture  ».
Le 3 mars 2000, De La Rúa reçut le vice-président des opérations de la BGC, Alan Hill, à la Casa Rosada (palais présidentiel). Après la réunion, la secrétaire au Commerce, à l’Industie et aux Mines de l’époque annonça que l’exploitation de Pascua-Lama durera de 20 à 25 ans et que l’Argentine en bénéficiera grâce à « la croissance régionale  » que ce projet apportera.
Puchi Rohm en tire avantage
On les a appelé les barracudas de la Barrick. Le directoire de conseillers internationaux de la firme réunit des vedettes de la politique mondiale.Y défilèrent l’ancien Premier ministre canadien Brian Mulroney, le puissant avocat de Washington qui défendit Clinton contre les accusations de Monica Lewinski, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies et ancien maire de la ville d’Atlanta, siège de CNN et de Coca-Cola, Andrew Young, l’ancien chef de cabinet de Reagan, Howard Baker, l’ancien président de la Bundesbank allemande, Karl Otto Pohl, et l’ancien Secrétaire à la Défense des Etats-Unis, William Cohen.
Dans la présentation publique du directoire en 1995, Munk, le directeur exécutif de la BGC, annonça : « Ils nous donneront des conseils stratégiques sur des domaines géopolitiques qui touchent la Barrick  ».
L’Amérique latine a eu ses représentants dans ce groupe select. L’un d’entre eux est le tsar du transport chilien, Andrónico Luksic, à la tête d’un groupe économique dont les actifs sont évalués à 2,8 milliards de dollars. L’autre est José « Puchi  » Rohm. Il est présenté dans les rapports annuels de la Barrick de 1995 à 2001 comme « José E. Rohm, managing director, Banco General de Negocios (BGN)  », et membre du International Advisory Board (directoire international) de la BGC. Il n’apparaît déjà plus dans le rapport de 2002 ce qui est compréhensible puisqu’en janvier de cette année-là , son frère et vice-président de la BGN fut arrêté en Argentine. Puchi Rohm échappa à un ordre de capture et fut recherché pendant plusieurs années.
La banque ferma et tant lui que son frère furent jugés pour fraude et « subversion  » économique dans un procès présidé par la juge fédérale MarÃa Servini de CubrÃa.
Selon les explications de Puchi à ses partenaires étrangers, en pleine corrida [crise bancaire, retrait massif des dépôts, ndlr] due au corralito, son frère avait retiré des obligations négociables évaluées à 250 millions de dollars de deux entités financières uruguayennes que les frères contrôlaient et les aurait vendues au Panamá sans en laisser de traces dans les livres comptables des organismes uruguayens. Tout cela, selon ses explications, pour boucher un trou creusé plusieurs années auparavant dans une banque argentine.
Rohm travaillait pour une banque assez particulière. Sans être une des plus importantes d’Argentine, un pays périphérique dans le monde de la finance, la BGN avait le privilège de compter parmi ses directeurs, en plus du célèbre ex-ministre José Alfredo MartÃnez de Hoz [ministre de l’Économie sous la dictature argentine, ndlr], trois des banquiers les plus puissants du monde : David Mulford, président du Crédit Suisse-First Boston ; Lukas Muhleman, président de la Dresdner Bank, et William Harrison, président de la JP Morgan Chase.
Par les comptes de cette banque ont transité les dessous de table de l’affaire de contrebande d’armes à la Croatie et du scandale IBM-Banco Nación. Un journaliste états-unien qui enquêtait sur la Barrick Gold décrit Rohm comme « un expert à tirer avantage de la procédure de privatisation de biens  ».
Olé Olé
L’année dernière, la BGC a commis un faux-pas, lorsqu’à Famatina, dans la province de La Rioja, son allié, le gouverneur Angel Maza, fut destitué au cours d’une protestation populaire contre l’exploitation minière à ciel ouvert avec du cyanure que réalisait cette firme sur le cerro Famatina. Le successeur de Maza, Luis Beder Herrera, s’opposa à la méthode d’extraction de la BGC et convoqua un référendum sur le thème. L’entreprise annonça alors qu’elle levait le camp et suspendait ses activités exploratoires.
De l’autre côté de la frontière, les représentants de l’entreprise furent quelque peu froissés en mai de l’année dernière lorsque, sur demande du politicien « écologiste  » Al Gore, la BGC dut retirer sa proposition de sponsoriser une conférence sur l’environnement à laquelle devait assister la présidente du Chili Michelle Bachelet et l’auteur de Une verite qui dérange. L’entreprise annonça que les 50 000 dollars de la sponsorisation seraient versés à des hôpitaux ou des œuvres publiques.
A San Juan, l’insertion sociale de la BGC marche mieux qu’à La Rioja grâce à une subtile campagne de relations publiques basée sur cette faiblesse des Argentins : leur passion pour le football. San MartÃn, l’équipe provinciale qui venait de débuter en première division par une grande victoire, a accepté que ses joueurs arborent fièrement la devise « San Martin minier  » sur le glorieux maillot vert et noir. Cela fut possible grâce à l’apport monétaire de rigueur donné par la Chambre des Entrepreneurs Miniers (CAEM) dont la Barrick Gold Corporation est le membre le plus notable.
[1] [NDLR] Lire à ce propos Maxime Lowy, Chili : mobilisations contre des méga projets miniers, RISAL, 31 aoà »t 2005 ; Antoine Casgrain, Dans les Andes, l’eau vaut son pesant d’or, RISAL, 11 mai 2007 ; Benito Pérez, Quand la fièvre de l’or fait fondre les glaciers, RISAL, 2 mars 2006.
[2] [NDLR] En 1984, le Hezbollah prend en otage un groupe d’Etats-Uniens, dont un officier de renseignement. Le marché conclu pour libérer les otages va devenir, sous le nom d’Irangate, le plus grand scandale de la présidence Reagan. Les Etats-Unis livrent ainsi secrètement, via Israë l, des missiles à l’Iran, alors sous embargo international. Le paiement doit servir à financer la Contra, les contre-révolutionnaires organisés militairement contre la Révolution sandiniste (Nicaragua), tout cela pour contourner le veto du Congrès.
Source : Página/12 (http://www.pagina12.com.ar), 5 aoà »t 2007.
Traduction : Jac Forton, pour le RISAL
(http://risal.collectifs.net).