Le vendredi 11 janvier, dans un discours à l’Assemblée nationale de son pays, le président vénézuélien a osé proposer la reconnaissance des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) comme force belligérante. Les réactions nationales et internationales étaient en grande partie prévisibles.
Par exemple, le gouvernement colombien a rejeté immédiatement la proposition de reconnaissance des FARC comme force belligérante et a insisté sur la voie militaire pour les extirper comme « un cancer  » afin que la Colombie devienne « un pays sans terroristes  » en 2010. L’initiative de Chavez a été critiquée dans les cercles politiques colombiens, pour constituer notamment une intervention dans les affaires internes de la Colombie. Le porte-parole du Département d’État, Sean Mc Cormack, a rejeté le 14 janvier la proposition de retirer les FARC de la « liste des organisations terroristes  ». En Allemagne, la chancelière Angela Merkel a fait preuve le lendemain d’un même « scepticisme  ».
Intéressante proposition que celle du président Chavez, non pas parce qu’elle serait impossible à mettre en œuvre mais par l’importance d’ouvrir le débat au niveaux national et international sur le concept subjectif et pratique de « terrorisme  » (…). Particulièrement quand l’« ingérence internationale  », à notre époque, ne vient pas de cercles terroristes mais de milieux financiers.
La sénatrice colombienne Piedad Cordoba a exprimé de son côté, le 13 janvier, que « les gens doivent comprendre que les FARC sont véritablement une armée, un sujet politique dans le pays, une réalité politique et qu’on ne peut faire fi de ceci, (…) [sinon] nous n’obtiendrons pas ce que nous voulons, la libération de tous les compañeros  ». L’argument est important : « Elles sont un acteur politique dans le pays, une réalité politique  ». C’est justement la dimension que plusieurs gouvernements dans le monde essaient d’éliminer, d’occulter ou de dénaturer à propos de processus sociaux d’opposition ou de mouvements de résistance à des occupations territoriales par des forces étrangères. Il n’est pas difficile de se rendre compte qu’en Tchétchénie, en Irak, en Palestine, au Pakistan ou en Colombie, pour prendre quelques exemples, on disqualifie politiquement des mouvements et des processus sociaux de manière intéressée. La demande de reconnaissance des FARC comme force belligérante a de similitudes avec de nombreux cas dans de nombreux pays du monde, dont le Mexique.
En juillet 1997, plusieurs documents des services mexicains de renseignement militaire étaient divulgués dans l’hebdomadaire Proceso. On pouvait lire dans l’un d’entre eux une lettre adressée au ministre de la Défense du Mexique :
« En 1991 et 1992, le docteur Alberto Zékelly, fonctionnaire du ministère des Relations extérieures à l’époque, s’est rendu au ministère de la Défense nationale pour que celui-ci marque son accord pour que notre pays souscrive le Protocole II additionnel aux Conventions de Genève [1], qui régule des conflits armés internes. Ce ministère exprima son désaccord, il considérait que la signature de ce protocole menaçait la souveraineté du pays et ouvrait la possibilité d’une ingérence extérieure qui, dans un cas déterminé, notamment à propos de bandes de narcotrafiquants, aurait pu leur faire obtenir un statut de belligérants. Ils auraient pu ainsi en appeler au droit international. Face à ce refus, le docteur Zékelly proposa qu’on accepte une demande la Croix Rouge internationale d’ouvrir un bureau au Mexique. Le ministère en question exprima aussi son désaccord sur ce point.  »
Il est clair que le ministère de la Défense s’est opposé à la signature par le Mexique du Protocole II additionnel aux Conventions de Genève parce qu’il avait détecté la présence du groupe armé qui allait se faire connaître par la suite comme l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN, sigles en espagnol). La signature du Protocole favorisait, en termes militaires, le groupe armé avant même qu’il lance sa déclaration de guerre. Mais l’autre argument était particulier : une telle signature mettait en danger notre souveraineté car il faciliterait l’ingérence internationale. Cette vision est contradictoire non seulement de par l’ « ingérence  » que le Mexique subissait depuis déjà un certain temps à cause des organismes financiers internationaux, mais aussi par le simple fait que l’engagement croissant de l’armée dans la lutte contre la drogue est le résultat d’une ingérence internationale.
La loi états-unienne définit le terrorisme comme la « violence préméditée, motivée politiquement et perpétrée contre des cibles non combattantes par des groupes sous-nationaux ou des agents clandestins  » et le terrorisme international comme celui qui « implique des citoyens ou le territoire de plus d’un pays  ». En septembre 2001, le Département d’État publia le rapport global sur le terrorisme, qui identifiait 29 organisations terroristes partout dans le monde. Parmi elles, 14 étaient de tendance extrémiste islamiste et bénéficiaient d’un certain type de soutien ouvert ou clandestin de gouvernements de pays comme l’Afghanistan, la Syrie, l’Iran ou la Libye.
Le rapport du Département d’État décrivait chacune des organisations, ses principales activités, une estimation de sa puissance, son théâtre d’opération et ses appuis extérieurs. Les organisations considérées comme terroristes étaient surtout de fondamentalistes islamistes et d’extrême gauche. Avaient été inclues dans la liste des organisations comme les FARC, de Colombie, l’ETA, d’Espagne et l’IRA irlandaise.
Selon ce rapport, les organisations fondamentalistes islamiques avaient augmenté leur activité par l’explosion de violence dans le conflit israélo-palestinien en septembre 2000, une donnée importante parce que le rapport signalait que la majorité d’entre elles avaient Israë l et les Etats-Unis comme principales cibles. Ce qui veut dire que la caractéristique qui fait que les États-Unis considèrent ces organisations comme terroristes n’est pas la « terreur  » qu’exercent ces groupes ou le dommage qu’ils produisent pour la population civile mais la disqualification politique (…).
En avril de l’an dernier, on a considéré comme une forme de modernisation des lois au Mexique le fait de reconnaître le délit de terrorisme comme une réalité mondiale dont on doit se prémunir, en sachant que le terme terrorisme n’est pas le résultat, en termes réels, d’une analyse sociale mais provient d’une disqualification politique pratique. Au Mexique, on prétend assimiler le concept de terrorisme aux groupes qui entreprennent certaines actions « qui provoquent de l’inquiétude, de la peur ou de la terreur dans la population ou au sein d’un de ses groupes ou secteurs, pour porter atteinte à la sécurité nationale ou faire pression sur les autorités pour qu’elle prennent une décision  ».
Il est dangereux de faire référence au terrorisme comme une force qui cherche « à faire pression sur les autorités pour qu’elles prennent une décision  ». Le risque ici réside dans la tentation de confondre le terme terrorisme avec la contestation sociale. C’est sur base de cette tentante confusion qu’on explique les réactions immédiates des gouvernements colombiens et états-uniens de rejet de la reconnaissance des FARC comme force belligérante. C’est aussi sur cette base que l’on peut expliquer la réaction extrême de César Gaviria, leader aujourd’hui du Parti libéral (colombien) : « Les affirmations du président Chavez constituent une grave violation de la Charte démocratique interaméricaine  ». Une curieuse réaction, surtout que maintenant, au Mexique et sur tout le continent, les élites financières et industrielles, le système bancaire (qui a cessé d’être mexicain dans notre cas), les entreprises transnationales, les gouvernements des Etats-Unis, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale font pression sur toutes sortes d’autorités, avec de magnifiques résultats. Devant cette pression réelle pour que les autorités prennent « une décision  », la pression des « terroristes  » ressemblent à une farce.
[1] [NDLR] http://www.unhchr.ch/french/html/me....
Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), México, 17 janvier 2008.
Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).