Des mois de violence politique ont mené à un dénouement à tout le moins surprenant le 9 novembre au Guatemala, car les élections se sont tenues dans un calme relatif. Qui plus est, le résultat de l’élection a été pour l’essentiel positif, puisque le général Efrain RÃos Montt a perdu la présidence et s’est retrouvé en troisième place.
Évidemment, après une campagne sanglante comme on n’en avait pas vu depuis la fin du conflit militaire, les élections n’allaient pas se tenir dans la tranquillité
totale. Plus de 30 candidats et supporters politiques ont été assassinés depuis
novembre 2002, l’intimidation exercée par le Front républicain (FRG) de RÃos Montt
[Parti au pouvoir] s’est faite sentir dans tous les coins du pays, les paramilitaires ont menacé d’annuler les élections par la force et les Guatémaltèques ont craint une répétition des émeutes de juillet qui avaient permis à RÃos Montt d’inscrire illégalement sa candidature à la présidence.
Or, quand on sait le climat de violence et d’appréhension de fraudes électorales qui a précédé, il faut dire que les élections se sont assez bien passées. Les bulletins de vote ou les bureaux de vote ont été brà »lés dans au moins quatre municipalités par d’anciens paramilitaires craignant de perdre le régime de compensation promis par le gouvernement sortant. Des coups de feu ont été tirés et des personnes tuées dans des bureaux de vote à différents endroits. Malgré la lenteur des informations, on peut maintenant dire sans craindre de se tromper qu’il n’y a pas eu d’émeute, de massacre ou de perturbation majeure. Les votes ont été comptés et retransmis par les voies légitimes sous l’oeil d’observateurs nombreux.
Le calme inattendu a donné un résultat très attendu : le général RÃos Montt, dictateur militaire de la plus sombre période de l’histoire récente du Guatemala, a été défait. RÃos Montt a été membre du Congrès depuis avant la signature des accords de paix de 1996 et le 14 janvier prochain, lors de la passassion des pouvoirs, il perdra pour la première fois l’immunité diplomatique. Des poursuites en justice pour crimes de guerre et génocide l’attendent au Guatemala et en Espagne.
Les Guatémaltèques ont élu Oscar Berger de la Grande Alliance nationale (GANA) et Alvaro Colom de l’Unité nationale pour l’espoir (UNE). Au moment de la rédaction de cet article 94% des votes étaient comptés et Berger avait la première place avec 34% des votes et Colom en deuxième avec 26% des votes. Les deux s’affronteront dans un deuxième tour d’élection le 28 décembre.
Le calme et la régularité relatifs des élections ne doivent pas faire oublier la fraude qui a permis au FRG de s’accrocher à certains éléments du pouvoir. Durant les mois qui ont précédé l’élection la presse a rapporté de nombreuses manoeuvres d’achat de votes, mais on ne dénoncera sans doute jamais celles qui ont le mieux réussi. Dans la municipalité où je suis, trois partis de gauche détenaient les trois premières places dans les élections. Mais à la dernière minute, le candidat du FRG à la mairie aurait vendu sa maison pour se payer la victoire. Le FRG a donné 200 quetzals (25$) par vote, une somme que la plupart des Guatémaltèques des régions rurales ont très rarement l’occasion d’avoir entre les mains. Avec cette manoeuvre de dernière minute qui ne donne pas le temps de réfléchir, le FRG a réussi à obtenir les cinq postes éligibles. On dit que la même chose s’est produite dans la municipalité voisine et il y a fort à parier qu’on ne saura jamais combien de postes de mairie et de sièges au Congrès la FRG a achetés par ce procédé.
N’empêche que la carrière politique de RÃos Montt est terminée et que la présidence n’appartient plus au FRG. Après quatre années d’un gouvernement qui a tourné le dos aux programmes sociaux et aux accords de paix en faveur de l’appui à l’armée, au trafic de la drogue et au crime organisé, le prochain président du Guatemala ne peut que faire du bien. Que ce soit Berger ou Colom, la priorité nationale sera l’arrêt de la violence d’État, la démilitarisation, le rétablissement des accords de paix et la réparation du secteur des affaires.
Mais avec le système politique en place on ne doit pas s’attendre à des miracles.
Oscar Berger représente l’oligarchie guatémaltèque, l’élite économique qui a déjà été aux commandes de l’État et qui s’est enrichie au détriment de la majorité. Par
les transformations démocratiques et économiques néolibérales des années 80 et 90, l’oligarchie a accru son pouvoir politique et profité de la réintégration du
Guatemala dans le marché mondial. De 1996 à 1999, sous la présidence de Arzú, dont la famille détient le monopole dans l’industrie du sucre, l’oligarchie a négocié les accords de paix. Le cessez-le-feu lui a permis de reconquérir les faveurs de la
communauté internationale pour s’enrichir, mais il n’y a pas eu de réformes en
profondeur. En fait, la mise en oeuvre des accords de paix a été à toutes fins
pratiques arrêtée, sauf pour ce qui est des réformes financières qui faisaient
l’affaire de l’élite économique et du FMI. La présidence de Berger et de la Grande
Alliance nationale signalerait le retour de cette classe, empressée de rattraper le
temps perdu.
Alvaro Colom semble favoriser sincèrement le développement pacifique et progressiste du Guatemala. Mais son parti et ses conseillers sont en majorité des membres de l’élite économique, d’anciens militaires et des dissidents du FRG. En outre, il faut savoir que le système politique guatémaltèque a toujours été réfractaire à la réforme et Colom aurait affaire à des groupes puissants et bien en place dans différents secteurs qui ne céderont pas facilement leur emprise sur la richesse nationale.
N’en demeure pas moins qu’un chapitre de l’histoire du Guatemala vient de se
terminer et qu’un nouveau vient de s’ouvrir. RÃos Montt a finalement et décidément
été écarté et le FRG passera à l’histoire comme le gouvernement le plus brutal
depuis les accords de paix. Le prochain gouvernement ne peut que faire bonne figure, bien que Berger et Colom n’auront pas beaucoup de marge de manoeuvre. La pauvreté a atteint une ampleur inimaginable et elle continue de grandir et le Guatemala a l’honneur d’être le pays où la distribution de la richesse est la plus inéquitable au monde. Il sera très difficile de renverser la violence qui s’est généralisée ces dernières années, atteignant la même ampleur qu’en Colombie et au Honduras.
Oscar Berger consacrerait sans doute son mandat à rétablir le pouvoir un peu amoché de sa classe oligarchique. Colom, par contre, même s’il n’a pas les moyens d’instituer des changements importants, pourrait faire les premiers pas vers un développement véritable en faveur de la majorité oubliée de l’histoire. D’ici
l’élection du 28 décembre, toutefois, on aura sans doute droit à une absence de
violence politique, car les Guatémaltèques prendront le temps de savourer leur
victoire contre RÃos Montt et le FRG.
source : Znet (http://www.zmag.org), 12 novembre 2003.
Traduction : Le Marxiste Léniniste quotidien (Canada).